Publié le 14 mar 2016Lecture 4 min
Prophylaxie de l’endocardite : un retour aux antibiotiques ?
F. DELAHAYE, Service de cardiologie, CHU de Lyon
JESFC
C’est le thème d’une controverse à laquelle Bernard Iung (hôpital Bichat, Paris) et moi-même participions durant les Journées européennes de la Société française de cardiologie. Bernard Iung a raconté l’évolution des recommandations d’antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse lors de soins.
Pendant longtemps, aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni, en Suisse, en France, il était recommandé d’administrer des antibiotiques avant quelque soin que ce soit chez tous les patients à risque d’endocardite infectieuse.
En 2002, les Français ont révisé les recommandat ions qui avaient été élaborées durant une conférence de consensus en 1992. La recommandation a été de continuer l’antibioprophylaxie, quel que soit le type de soin, chez les patients à haut risque d’EI. Mais l’antibioprophylaxie est devenue optionnelle chez les patients à risque intermédiaire. Les arguments pour réduire les indications d’antibioprophylaxie étant que le risque d’EI lors de soins dentaires est faible, qu’il n’y a pas de preuves de l’efficacité clinique de l’antibioprophylaxie, et que le bénéfice possible de l’antibioprophylaxie doit être mis en balance avec ses risques.
Dans une étude récente, des rats ont reçu le même inoculum de Streptococcus intermedius, soit par bolus en 1 minute, soit par perfusion continue pendant 10 heures. La bactériémie de faible intensité, continue et prolongée, a induit des EI expérimentales. Le niveau de bactériémie nécessaire pour infecter une végétation après un bolus était beaucoup plus important que celui après perfusion continue.
Dans l’étude de Duval et al. sur l’estimation du risque d’EI lors de soins dentaires, dans le groupe des patients à risque intermédiaire, le risque d’EI après des soins dentaires sans antibioprophylaxie était de 1/50 000, le taux de décès hospitaliers dus à l’EI de 1/250 000, alors que le risque de décès par anaphylaxie à l’amoxicilline était de 1/75 000. Soit une balance bénéfice-risque en défaveur de l’antibioprophylaxie. Au contraire, chez les patients à haut risque d’EI, le risque d’EI après des soins dentaires sans antibioprophylaxie était de 1/10 000, le taux de décès hospitaliers dus à l’EI de 1/50 000, et le risque de décès par anaphylaxie à l’amoxicilline restant de 1/75 000. Soit une balance bénéfice-risque en faveur de l’antibioprophylaxie.
Les recommandations américaines de 2007 et européennes de 2009 ont maintenu le principe d’une antibioprophylaxie uniquement lors de soins dentaires, et ce seulement chez les patients à haut risque d’EI.
En 2008, les experts du NICE britannique (National Institute for Health and Care Excellence) ont supprimé toute antibioprophylaxie, quel que soit le geste et quelle que soit la cardiopathie à risque, du fait de l’absence de preuves de l’efficacité de l’antibioprophylaxie.
Rappelons que tous les textes de recommandations insistent sur les mesures non spécifiques de prévention de l’EI, et notamment la stricte hygiène buccodentaire et cutanée.
Lorsque les diverses sociétés savantes ont émis leurs recommandations, elles ont insisté sur le fait qu’il fallait des études épidémiologiques, pour voir si les limitations de l’antibioprophylaxie s’accompagnaient d’une augmentation de l’incidence de l’EI. En effet, bien entendu, il peut y avoir une augmentation de l’incidence de l’EI au Royaume-Uni du fait de l’absence de toute antibioprophylaxie, quel que soit le soin, quelle que soit la cardiopathie à risque, mais il peut aussi y avoir une augmentation de l’incidence de l’EI dans les autres pays puisqu’il n’y a plus d’antibioprophylaxie que lors des soins dentaires, et seulement chez les patients à haut risque d’EI.
Une dizaine d’études ont été publiées à ce jour. Voici les plus importantes.
En France, il y a eu des enquêtes épidémiologiques sur l’EI en 1991, en 1999 et en 2008. Alors que la limitation de l’antibioprophylaxie date de 2002, il n’y a pas eu d’augmentation de l’incidence de l’EI au cours du temps.
En Angleterre, l’équipe de Dayer et Thornhill a publié un article, très publicisé, dans le Lancet en 2015. Mais cette équipe avait déjà publié, dans le British Medical Journal, en 2011, une étude selon la même méthodologie. C’est la seule étude dans laquelle on dispose à la fois du nombre de patients hospitalisés pour EI et du nombre de prescriptions d’antibiotiques à titre prophylactique. Après les recommandations du NICE en 2008, il y a eu une chute très importante, de 80 %, de la prescription d’antibiotiques avant des soins dentaires. Dans l’étude publiée en 2011, portant sur la période 2000 à 2010, il y a une augmentation continue du nombre d’EI au fil du temps. Mais il n’y a pas de cassure dans cette augmentation après les recommandations du NICE. L’étude publiée en 2015 porte sur la période 2000 à 2013. Là, il y a une modification de la pente d’augmentation de l’incidence de l’EI au fil du temps.
La même année, en 2015, a été publiée une étude aux États- Unis, portant sur la période 2000 à 2011, et regroupant plus de 450 000 hospitalisations pour EI (!). Là aussi, il y a une augmentation continue du nombre d’EI au cours du temps, mais il n’y a pas de modification de la pente d’augmentation. Cependant, s’il n’y a pas d’augmentation de la pente pour les EI dues aux staphylocoques, il y a une augmentation de la pente pour les EI dues aux streptocoques.
Mais, aux États-Unis toujours, en utilisant d’autres données médico-administratives, DeSimone et coll. n’ont pas observé d’augmentation de la pente d’augmentation du nombre d’EI au fil du temps.
Donc, des données contradictoires. Une seule étude met en perspective le nombre de prescriptions d’antibiotiques à titre prophylactique et le nombre d’endocardites infectieuses. Toutes ces études utilisent des données médico-administratives. Même dans l’étude anglaise, l’observation d’une chute des prescriptions d’antibioprophylaxie et d’une augmentation de l’incidence de l’EI ne veut pas dire qu’il y a une relation causale entre les deux.
Nous devons continuer d’être prudents, et donc continuer de faire des études d’observation, afin de détecter un accroissement de l’augmentation de l’incidence des EI au cours du temps.
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