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Congrès et symposiums

Publié le 14 mar 2016Lecture 11 min

Sports et cardiologie : un cocktail explosif - Quel bilan minimal pour le sportif du dimanche ?

Jean-Louis BUSSIÈRE, Cardiologue du sport, Paris


JESFC
Pour le patient en cardiologie, il y a tout d’abord l’acceptation de la maladie qui touche le coeur, organe riche de symboles de vie, de mort, siège des émotions. Et puis l’acceptation de l’intervention : « l’opération du coeur », il faut confier son corps à des personnes inconnues, dans un lieu inconnu et mystique, le bloc opératoire, pour un geste que l’on comprend à peine. Il est donc tout naturel d’avoir peur, d’être anxieux, voire angoissé face à l’intervention. 

Peuvent être classés dans les sportifs du dimanche, que les Anglais appellent à juste titre Weekend Warriors, le cadre stressé décidant de faire un match de tennis avec des copains d’enfance et n’ayant pas touché une raquette depuis 10 ans, ou bien un ou une senior décidant 2 ans après un infarctus du myocarde stenté et asymptomatique de partir dans 15 jours faire un trek au camp de base de l’Everest sans aucune préparation, ou encore plus banalement un sédentaire en surpoids, diabétique, à qui le médecin traitant a demandé la reprise de sortie en cyclotourisme, et l’assurance du club un certificat de non-contre-indication.   Le sport révèle ou exprime la cardiopathie sous-jacente   Avant 35 ans, le démarrage d’une activité inhabituelle en sport peut comme chez le jeune compétiteur révéler une cardiopathie congénitale ou rythmique (CMH, anomalie de naissance des coronaires, DAVD)(1). Chez tout individu de plus de 35 ans, le risque de mort subite est lié dans 80 % des cas à la déstabilisation de la plaque coronaire(2). Le sportif, même occasionnel, se prétend à juste titre « en forme » et suit l’adage qui veut que l’activité sportive maintient en bonne santé celui qui la pratique(3). Ce paradoxe du sport(4) oblige donc le cardiologue, d’une part, à jouer le gendarme et établir par un minimum d’exploration un constat qui l’engage juridiquement à autoriser le sport ou à l’interdire et, d’autre part, à prêcher en faveur du sport avec une approche individuelle, encourageant le sédentaire, même pour une activité modeste, et mettant un cadre limitatif aux « fondus » et « exchampions » qui se croient indéfiniment jeunes dans leurs artères (majoration du risque lors de sports soutenus, courbe en J)(5).   Grand écart entre mort subite rare et les millions de sportifs   D’un point de vue épidémiologique, nous sommes en France confrontés à l’impossibilité matérielle de suivre les recommandations et de faire un bilan à tous, car si l’on excepte les 14 000 sportifs de haut niveau, dont le bilan est réglementé, une partie des demandes de licences (12 millions par an) couvrent aussi bien un marathonien occasionnel qu’un mordu de pêche à la ligne s’inscrivant à la compétition de pêche à la truite de la saison. À ces demandes de visite de noncontre-indication (VCNI) à la pratique du sport en compétition, s’ajoutent environ 14 millions de pratiquants occasionnels venant de leur propre chef ou à la demande d’une assurance du club de fitness. Savoir limiter au strict nécessaire le bilan minimal pertinent pour un tiers de la population pour éviter un accident sur le « terrain » de pratique sportive représente un véritable problème de santé publique, d’autant qu’il faut souligner que la mort subite liée au sport reste rare (200 à 300 chez les moins de 35 ans, entre 1 500 et 2 000 au-delà de 35 ans, incidence de 1/25 000)(6).   L’interrogatoire traque les risques de rupture de plaques   L’interrogatoire reste fondamental et va rechercher : - les antécédents cardiovasculaires (infarctus, maladie coronarienne, pose de stent, souffle et valvulopathie, troubles du rythme, cardiopathie congénitale opérée, présence d’un stimulateur ou défibrillateur) ; - les symptômes pouvant orienter vers un sur-risque à l’effort : essoufflement à la marche rapide, en côte), douleurs thoraciques, palpitations, existence de malaises, leur fréquences, leur mode de déclenchement. On recherchera un éventuel dysfonctionnement d’un cardiofréquencemètre qui peut révéler une authentique TV au pic de l’effort, ou une FA paroxystique ; - un nouveau symptôme, même transitoire, peut signer une rupture partielle de plaque : douleur ou dyspnée inhabituelle « lors de la dernière randonnée, mais je me suis arrêté et les symptômes ont disparu. Ce n’est donc rien et je dois courir le 10 km du patronage la semaine prochaine, docteur ! » Il ne faut pas négliger : - les pathologies annexes, surtout les problèmes musculo-squelettiques, la prise de médicaments (des anti-inflammatoires pour des douleurs du genou, on pense rarement à le dire au cardiologue) ou de produits d’amélioration de la performance (achetés en bidons sur Internet) ; - le type de sport envisagé, l’intensité et la fréquence de la pratique, la notion de durée et de compétition. Il faut essayer d’évaluer (souvent à une seconde consultation où le sportif se livre) sa motivation à faire du sport. Le profil psychologique est un élément très important à déterminer, profil A n’écoutant pas son corps et les signaux d’alerte, et voulant à tout prix terminer une compétition, profil D peu motivé qu’il faut éduquer à une pratique sportive « pas n’importe comment ». La seconde partie de l’interrogatoire doit identifier les facteurs de risque cardiovasculaires qui se cumulent et multiplient le risque d’existence d’une athérosclérose sous-jacente et donc d’un risque aléatoire de mort subite à l’effort. Le questionnaire de pré-screening américain en identifie une dizaine : • Y a-t-il dans la famille proche un infarctus avant 55 ans (père ou frère) ou 65 ans (mère ou soeur) ? • Êtes-vous un homme de 45 ans ou plus ? • Êtes-vous une femme de 55 ans ou plus, ou avez-vous eu une hystérectomie ou une ménopause précoce ? • Êtes-vous fumeur ? ou ancien gros fumeur ? • Votre pression artérielle estelle élevée, au-dessus de 140/90 mmHg au repos ? • Avez-vous du cholestérol (C total > 2,4 g/l) ou un HDL-cholestérol bas ? • Êtes-vous diabétique ou prenez- vous des traitements pour gérer votre taux sanguin de sucre ? • Êtes-vous physiquement inactif (moins de 30 min de marche moins de 3 jours par semaine) ? • Avez-vous un excès de poids (surpoids défini par IMC > 26, obésité > 30) ? • Êtes-vous soumis à un stress important et difficile à gérer en ce moment (travail ou vie personnelle) ? Les principaux facteurs (HTA, tabac, cholestérol) en fonction du genre et de l’âge sont regroupés dans l’indicateur SCORE, recommandé par la Société européenne de cardiologie et permettent d’évaluer le risque cardiovasculaire fatal à 10 ans. L’examen clinique est nécessaire mais rarement contributif, sauf pathologie cardiaque déjà existante. On recherchera un souffle cardiaque systolique ou diastolique permanent, non fonctionnel, un click associé, une asymétrie des pouls radiaux ou fémoraux, une pression artérielle élevée, un rythme irrégulier ou des extrasystoles. D’autres éléments pouvant orienter comme une obésité abdominale, un profil morphologique marfanoïde, des anomalies ostéoarticulaires, une auscultation pulmonaire anormale, des problèmes ORL ou dentaires.   L’électrocardiogramme est recommandé et nécessaire   Contrairement à l’approche américaine où le bilan de pré-screening se conclut par une déclaration écrite du patient, l’approche européenne, suite aux travaux italiens qui avaient permis de réduire de 90 % les risques de mort subite, comprend, avant d’autoriser la pratique du sport, un électrocardiogramme. En dépit de critiques récentes en raison de la spécificité des travaux ciblés sur une région vénitienne à haut taux de dysplasie arythmogène du VD(4), les travaux italiens ne convainquent pas car basés sur des revues journalistiques a posteriori et les recommandations européennes prévalent toujours. Pour le « sportif du dimanche », on recommandera la pratique de l’ECG pour toutes les licences, tous les 3 ans de 12 à 20 ans, puis tous les 5 ans, chez tous les sportifs symptomatiques, pour toute reprise de l’activité sportive et enfin pour tous les sujets à haut risque cardiovasculaire(7). À partir de l’ECG, la découverte d’anomalie est assez fréquente, d’autant plus que le sujet fait (même occasionnellement) du sport soutenu et/ou intense. Les nouvelles recommandations définies par un travail commun américain et européen(8) a mis au point 2 profils selon des anomalies bénignes (pattern I) ou anormales (pattern II) et des critères intermédiaires à considérer comme bénins si isolés, et anormaux si 2 ou plus. Ainsi on a pu déterminer plus clairement les sportifs où l’ECG est anormal et nécessite des explorations complémentaires (figure 1). Figure 1. Critères affinés chez l’athlète normal. A. Variants normaux et borderline. B. Variants borderline et modifications sans lien avec l’entraînement justifiant d’autres investigations. D’après Chandra N et al. JACC 2014 ; 63 : 2 028. La position du Club des cardiologues du sport est que l’ECG est nécessaire à partir du moment où il va déterminer plus de 90 % des anomalies (CMH par exemple) chez un sujet jeune, et une partie importante des pathologies des seniors et vétérans (CMD, ischémie coronaire). Combien sont fréquentes les découvertes d’une ischémie chez un diabétique asymptomatique voulant jouer au foot le weekend suivant ! À ce stade, la réalisation d’une échographie cardiaque à partir de l’ECG anormal permet chez les sujets jeunes, mais parfois aussi chez un sujet d’âge mur jamais exploré et ne pratiquant pas souvent le sport, de découvrir une authentique CMH. S’il y a des troubles du rythme ou conductifs, le Holter de 24 h, avec si possible un enregistrement pendant l’activité physique, peut identifier le trouble avec certitude.   Faut-il faire une épreuve d’effort pour la VNCI à la pratique sportive ?   Cette question est l’une des plus fréquemment posées par le médecin traitant au cardiologue, surtout pour un sujet voulant reprendre le sport à 50 ans. Le consensus est de ne pas prescrire inutilement de test d’effort si les 3 assertions suivantes sont réunies : moins de 45 ans (H) ou moins de 55 ans (F), absence de facteur de risque, et entraînement adéquat et bien conduit à la pratique sportive. En revanche, l’indication de demander une épreuve d’effort est recommandée en cas de désir de compétition (surtout pour un premier marathon !). Cette indication est formelle dans chaque assertion : - s’il y a 2 facteurs de risque ou une consommation régulière de tabac seule ; - en cas de reprise du sport après une interruption prolongée ; - en cas de sport à haut risque (groupe III C de la classification de Mitchell) ; - au-delà de 45 ans chez l’homme et 55 ans chez la femme ; - en cas d’ECG anormal. La position de l’ESC est claire à partir de l’ECG(9). Si celui-ci est anormal, il faut réaliser une épreuve d’effort. Si l’épreuve d’effort est anormale, il faut poursuivre encore le bilan (scanner, coronarographie ou IRM, qui ne seront pas abordés ici). Pour prendre en compte un test d’effort « normal », il faut s’assurer de bonnes conditions de réalisation, non pas à la FMT (220 - âge) mais à épuisement pour se rapprocher de conditions de terrain. Il faut toujours se rappeler qu’un test négatif n’élimine pas totalement le risque car justement fait en labo et non sur un champ de course, pendant des durées très longues où les électrolytes sont perturbés. Un test d’effort identifiera assez bien une ischémie myocardique avec un angor d’effort, mais inconstamment un trouble du rythme ventriculaire, et très mal un risque aléatoire de rupture de plaque.   Sport et coronaropathie, que peut-on autoriser ?   Dans le cas du sportif occasionnel « du dimanche », le test d’effort a un rôle capital chez un coronarien stabilisé pour lui permettre la reprise d’activité physique, il entre dans la stratification du risque de refaire un accident cardiovasculaire et on définit 3 niveaux de risque : faible, intermédiaire et élevé. • Faible si le candidat au sport a moins de 55 ans, pas plus de 1 facteur de risque sous contrôle, et un test d’effort normal sans ischémie résiduelle, ni arythmie, ni sténose significative (si une coronarographie a déjà été réalisée). La décision d’autoriser le sport, même en compétition, est possible avec révision annuelle de l’aptitude sauf pour les sports à haute contrainte statique III A à C qui sont à éviter, et on se référera aux recommandations de l’ESC(10). • Intermédiaire pour un individu de moins de 55 ans, mais avec 2 facteurs de risque sous contrôle, et s’il y a déjà eu infarctus. Là encore, reprise du sport possible si le test d’effort est normal, la fonction VG au-dessus de 50 %, absence d’arythmie, absence de sténose significative sur imagerie coronaire. On se limitera par contre aux sports à contrainte modérée en dynamique et basse en statique (classe I A et IB) selon la classification ESC. • Le risque est élevé s’il y a plusieurs facteurs de risque quel que soit l’âge, s’il y a ischémie résiduelle au test d’effort, persistance de symptômes à l’effort, arythmie ventriculaire, sténose à plus de 70 % sur un tronc coronaire ou à 50 % et plus sur le tronc. Dans ce cas aucun sport n’est autorisé en compétition, et le sport de loisirs doit être orienté vers des activités non collectives sans contrainte élevée en dynamique comme en statique. Il est possible que la mise à jour américaine de décembre 2015(11) remette en cause partiellement la limitation des efforts sportifs surtout dans la classe intermédiaire, car elle prend en compte la cicatrisation complète possible d’un infarctus et la recanalisation stable d’une coronaire par angioplastie avec le plus souvent un stent. Sauf en période proche de l’accident, il serait possible de reprendre plus largement la compétition, sous contrôle périodique. Ceci n’est pas encore validé selon la position européenne et française.   Rôle d’information du cardiologue   Comme nous l’avons souligné en introduction, la mission du cardiologue est aussi d’informer le sportif « du dimanche » sur les bonnes conduites (s’hydrater, s’échauffer, consulter en cas de symptômes) et sur les risques potentiels (tabac, fièvre, grand froid, forte chaleur). Ces recommandations mises au point après enquêtes auprès des sportifs(12) sont réunis dans les dix règles d’or du Club des cardiologues du sport.   Aspects médico-légaux et économiques du bilan   Le coût économique des bilans pèse dans la balance financière de la santé publique. Selon l’étude américaine de Fuller(13), l’examen clinique et l’interrogatoire coûtent 84 000 euros pour un accident mortel évité par an, si on ajoute l’ECG c’est 44 000 euros de plus. L’échographie en plus coûterait environ 200 000 euros. S’en tenir à la VCNI avec l’ECG est donc la position la plus cost effective actuellement. Cependant, en cas de survenue d’accident et pour éviter le risque de procès et de demande de dommages et intérêts, le médecin a tendance à demander plus facilement une échographie, un Holter, un test d’effort, finalement plus dans le but d’être couvert que pour véritablement écarter un risque aléatoire très difficile à déterminer, tant la rupture de plaque est imprévisible. Par ailleurs, les assurances des salles de sport et des clubs sportifs préfèrent ouvrir le parapluie et exiger un bilan fourni, d’où une inflation des dépenses. Ceci n’est pas universel. Le Danemark par exemple, eu égard à une population peu importante et à la relative rareté des accidents mortels, préfère ne demander aucun bilan en pré-screening. La question est récurrente aux États-Unis sur la nécessité de faire des bilans à tous les sportifs(14).   En pratique   Pour reprendre la position française, le bilan du sportif « du dimanche » doit être modulé. Il est capital de réaliser un interrogatoire soigneux et de scorer les facteurs de risque en plus d’un examen clinique et une approche empathique pour comprendre la motivation et le profil psychologique du candidat au sport. L’ECG est recommandé et inscrit dans la loi. Il permet effectivement de repérer la plupart des sujets à risque, et de compléter les examens à bon escient. Le test d’effort à la recherche de l’ischémie coronaire garde une place très importante chez le sujet d’âge mur avec des facteurs de risque qui vont croissant. Les recommandations du médecin au sportif gardent enfin une place très importante pour éviter les accidents, même si on n’empêchera jamais une bande de copains de faire le pari de terminer leur marathon ! Figure 2. D’après Borjesson M et al. Eur J Cardiovasc Prev Rehabil 2011 ; 18 : 446-58. Figure 3. Task Force 8 : classification des sports. D’après Mitchell JH et al. JACC 2005 ; 45 : 1 364-7. *FMV : force maximale volontaire.

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