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Insuffisance cardiaque

Publié le 06 juin 2016Lecture 9 min

Télérespiration : de la BPCO à l’insuffisance cardiaque

J.-F. MUIR, Service de pneumologie & USIR, CHU de Rouen

La télémédecine n’est pas récente : dès la simplification de l’utilisation du téléphone électrique (inventé en 1876 par Graham Bell) et la création d’un premier rudiment de réseau téléphonique (début du XXe siècle), les médecins ont utilisé ce moyen de communication à distance pour faciliter les soins de leurs patients, et s’entourer des connaissances et compétences de leurs confrères extérieurs.

De nos jours, avec le réseau internet disponible en continu via les smartphones, qui facilitent considérablement la communication entre les professionnels de santé, la télémédecine fait partie du paysage quotidien. Les patients ne sont pas en reste, puisqu’ils nous questionnent de plus en plus lors des consultations ou par courriels… après avoir surfé sur internet. L’e-santé est d’ailleurs appréciée favorablement par nos concitoyens, et leurs médecins, généralistes comme spécialistes, se sont rapidement adaptés à cette demande. Les étudiants en médecine ont adopté ce mode d’accès rapide et efficace à la connaissance, dans le cadre de leur cursus ou lors de leur exercice professionnel. Les enseignants, en médecine comme ailleurs, se sont habitués à la présence dans les amphis des ordinateurs et des smartphones, grâce auxquels les étudiants sont en mesure de vérifier leurs dires, en instantané… Dans l’intervalle, un décret du 19 octobre 2010 a défini la télémédecine comme «un ensemble d’actes médicaux réalisés à distance au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication». Elle englobe donc téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance, téléassistance, et la réponse médicale dans le cadre de la régulation. La technologie spécifique ayant fait des pas de géant ces vingt dernières années, elle est capable de répondre de plus en plus facilement aux demandes des professionnels et des patients. Aussi l’essor de la télémédecine a-t-il suscité de nombreux projets : en 2013, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) ne relevait pas moins de 331 projets de soins à distance, dont 161 opérationnels, soit plus de 48 % de plus que l’année précédente. Parmi ceux-ci, 65 % concernaient la téléexpertise, 49 % la téléconsultation, 22 % la télésurveillance, 16 % la téléassistance médicale ; 9 % étaient des projets transversaux.   Quelles applications en pneumologie ?   Une des premières applications significatives a été l’utilisation des spiromètres connectés dans le cadre du suivi de patients transplantés et asthmatiques. Ces premières télémesures ont été étendues à la prise en charge des maladies respiratoires chroniques, initialement dans le cadre de leur surveillance et de leur suivi thérapeutique, puis plus récemment dans le cadre de la détection de signes d’alerte dans certaines maladies chroniques susceptibles de décompenser, comme les exacerbations de BPCO. Les montres et autres objets connectés qui se multiplient actuellement permettent cependant aussi d’évaluer le comportement au quotidien des patients (activité physique, marche), constituant ainsi de réels indicateurs de la «vraie vie». Ils sont d’ailleurs intégrés dorénavant comme marqueurs vitaux à l’évaluation du bénéfice apporté par de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux. Le suivi des patients utilisant un dispositif d’assistance respiratoire à domicile a été particulièrement développé ces dernières années dans le cadre de la télérespiration. Il concerne les sujets porteurs d’un syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) traités par pression positive continue (PPC), les insuffisants respiratoires chroniques (IRC) sous oxygénothérapie au long cours à domicile (OLD) et les IRC sous ventilation à domicile (VAD). À la suite des premiers essais de VAD par trachéotomie (VADT) à la fin des années 1960, puis du développement de l’OLD, sans oublier l’essor rapide du traitement du SAOS par PPC et de la ventilation non invasive (VNI) chez l’IRC, se sont créés les réseaux associatifs d’aide aux IRC fédérés en 1981 au niveau national par l’ANTADIR (Association nationale pour les traitements à domicile, l’innovation et la recherche), à côté desquels se sont développés depuis les réseaux privés. Leur mission première était de structurer au domicile des patients la logistique nécessaire à l’entretien des machines, la fourniture de consommables et d’oxygène, et la maintenance technique. Jusqu’à l’époque actuelle, les moyens de surveillance de l’observance thérapeutique étaient relativement rudimentaires, nécessitant l’envoi au domicile des patients, à une fréquence prévue par les forfaits officiels, de techniciens et/ou d’infirmières pour vérifier le bon fonctionnement du matériel, mais aussi – mission plus prosaïque – pour relever les «compteurs» horaires des respirateurs, des PPC, et des concentrateurs d’oxygène ou tout simplement pour comptabiliser et remplacer le nombre de bouteilles d’oxygène comprimé utilisées à domicile ou noter le poids d’oxygène liquide consommé. Si l’envoi de personnels paramédicaux à domicile uniquement pour surveiller l’utilisation des machines peut sembler archaïque aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que ce passage régulier, au-delà de la surveillance médicale et du lien humain qu’il implique, est essentiel pour améliorer le suivi des patients placés sous assistance respiratoire (comme sous d’autres dispositifs thérapeutiques). A contrario, à une époque contrainte sur le plan économique, il paraît plus adapté de renforcer cette surveillance lorsqu’une observance insuffisante est susceptible à terme de mettre la vie en danger de patients sévèrement atteints. La technologie actuelle offre une myriade de possibilités permettant de recueillir un relevé fiable de l’utilisation des matériels d’assistance respiratoire et de le transmettre 24 h/24 en temps réel au prestataire. Ce dernier peut en retour concentrer ses actions de suivi et de coaching sur les patients en difficulté, et à l’inverse les espacer et/ou en moduler le contenu chez ceux observant leur traitement. La maintenance technique à distance est accessible en parallèle aux seuls prestataires.   L’histoire tourmentée et néanmoins éclairante du télésuivi des SAOS sous PPC   Le développement rapide de l’offre technologique en matière de télémédecine et l’accroissement vertigineux de l’utilisation de la PPC chez les patients porteurs d’un SAOS (800 000 actuellement et 1 000 000 à horizon 2020) ont amené l’Assurance maladie et les professionnels de santé concernés à considérer l’apport du télésuivi chez ces patients dès 2011. Il était en effet important de s’assurer de la bonne utilisation des appareillages de PPC, représentant actuellement le traitement de référence du SAOS, source d’une importante morbi-mortalité lorsqu’il n’est pas traité. L’arrêté du 22 octobre 2013, né de cette réflexion, codifiait l’utilisation de la télésurveillance. Industriels et prestataires ont été rapidement et fortement incités, compte tenu du projet d’intégration dans le forfait de remboursement d’une somme supplémentaire destinée à la télémédecine, à développer des dispositifs innovants permettant de faire entrer la télésurveillance dans la réalité du traitement quotidien par PPC du patient porteur d’un SAOS, d’autant que ce texte en prévoyait la mise en place chez tous les patients dès le début 2016. Alors que les grands constructeurs avaient dès 2013 mis au point des PPC équipées en série d’un dispositif de télésuivi , systèmes dits «propriétaires», (figure 1), plusieurs sociétés, prestataires et start-up ont conçu en un temps record des systèmes externes dits « ouverts » (figure 2) pouvant être installés très simplement sur toute PPC existante. Dans les deux cas, ces dispositifs fonctionnaient de façon satisfaisante sous réserve d’une bonne couverture téléphonique (GPRS), et étaient en passe d’être installés chez plusieurs centaines de milliers de patients, mettant véritablement la télé-médecine en route à grande échelle au niveau national. Figure 1. Télésuivi des PPC: systèmes «propriétaires». Figure 2. Télésuivi des PPC: systèmes «ouverts». En complément, des logiciels de traitement ont été conçus à l’intention des prestataires pour traiter automatiquement la masse de données transmises via des serveurs agréés ASIP, et leur fournir en temps réel des indications pour détecter les patients insuffisamment observants et ainsi permettre de renforcer auprès d’eux le coaching destiné à améliorer leur durée d’utilisation de la PPC. Les divers systèmes de télésurveillance utilisant des systèmes ouverts se sont perfectionnés et permettent, grâce à la mise à disposition de mini-terminaux à domicile (figure 3), de surveiller aussi d’autres paramètres vitaux, en fonction des pathologies chroniques présentées (TA, débit de pointe, SaO2, glycémie, poids, etc.). Figure 3. Terminaux à domicile et plateforme de télémédecine. Suite à divers recours d’associations de patients s’inquiétant d’une possible atteinte aux libertés individuelles et du projet de subordination du remboursement de la prestation à une durée d’utilisation suffisante contenus dans ce texte, l’arrêté a été finalement suspendu par le Conseil d’État le 15 février 2014. Il n’y a pas pour le moment de décision nouvelle dans ce domaine ; un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales consacré à « la pertinence et l’efficacité des outils de politique publique visant à favoriser l’observance », remis en juillet 2015 ouvre une lueur d’espoir, préconisant de « développer une offre de télésuivi-accompagnement fiable (…) et d’organiser l’accompagnement (…) en finançant les services de télésuiviaccompagnement à la performance, faisant de la bonne observance et de la fidélisation des patients des marqueurs de la qualité de l’accompagnement ». Cette proposition, si elle est entérinée, offre au patient la possibilité d’être suivi de façon continue sous traitement, et permettra aux prestataires de concentrer leurs efforts sur les 15 à 20 % de malades peu observants que l’on rencontre au quotidien.   Autres applications   En marge de la pression positive continue, la télérespiration est en cours de développement pour l ’oxygénothérapie de longue durée, la ventilation assistée à domicile et la réhabilitation respiratoire. Pour l’OLD, la télérespiration concerne la maintenance et le suivi à distance par liaison GPRS de l’utilisation des concentrateurs fixes et portables, et de la consommation d’oxygène liquide par peson électronique connecté. Une autre technologie naissante, centrée sur les moniteurs portatifs d’oxygénothérapie, est maintenant disponible et permet de surveiller par l’entremise d’un module électropneumatique intercalé entre la source et le patient l’utilisation réelle quotidienne de l’oxygène par le patient ; ces modules permettent aussi, à l’aide d’un capteur de mouvement et de position incorporé dans certains modèles, de confronter la durée d’utilisation de l’OLD en fonction de l’activité quotidienne, et notamment à l’effort (figure 4). Ces dispositifs, dont certains sont disponibles sur le marché, peuvent être utilisés lors de l’instauration de l’OLD, ou à la demande dans le cadre du suivi. Pour la VAD, essentiellement représentée de nos jours par la ventilation non invasive, des modules similaires à ceux de la PPC sont actuellement en cours de mise au point pour évaluer en priorité l’observance. Les respirateurs de dernière génération sont totalement connectés (Wifi/bluetooth) et peuvent être pilotés par l’entremise d’une tablette ou d’un smartphone (figure 5), voire réglés à distance. Une véritable polygraphie sous VNI peut ainsi être obtenue par le centre prescripteur et/ou le prestataire à la demande. La réhabilitation respiratoire, qui doit impérativement être au long cours à domicile, a récemment fait l’objet d’études tout à fait positives. Un autre volet de la télérespiration est la détection précoce de l a dégradation d’affections chroniques comme les exacerbations de la BPCO à l’aide de capteurs simples de mouvement, d’oxymétrie et de position portés par des patients à risque. Cette méthodologie se développe dans le cadre de la télérespiration dans une optique préventive et pourra accompagner le programme Prado – BPCO pour freiner l’incidence croissante de cette situation pathologique qui accompagne l a progression attendue de la BPCO dans notre pays. Figure 4. Moniteurs d’observance pour l’OLD. Figure 5. Respirateur de dernière génération connecté. Conclusion   La télérespiration est donc une réalité, et la technologie est au rendez- vous. Ce concept ne peut se concevoir sans son insertion au sein d’une véritable plateforme de télémédecine qui va bousculer le paysage traditionnel des soins à domicile. La prise en charge financière de cette nouvelle façon de pratiquer la médecine fait encore débat, même si diverses études en montrent l’intérêt. Comme dans d’autres spécialités, la télémédecine est une des solutions permettant de faire face au défi sanitaire que représentent les déserts médicaux, et la détection ainsi que la prise en charge des maladies chroniques respiratoires qui concernent des centaines de milliers de patients dans notre pays. L’auteur adresse ses remerciements à D. Forêt, Directeur médico-technique de l’ANTADIR, pour ses conseils et les illustrations communiquées. Pour en savoir plus : • J.O. Décret du 19 octobre 2010. • J.O. Arrêté du 22 octobre 2013. • Lopez A, Compagnon C. Pertinence et efficacité des outils de politique publique visant à favoriser l’observance. Rapport de l’IGAS, 2015-037R, 161 p. • Melloni B et al. Sources d’oxygène à domicileÉ: techniques et matériels. Info Respiration 2013 ; 116 : 13-6. • Hoaas H et al. Adherence and factors affecting satisfaction in longterm telerehabilitation for patients with chronic obstructive pulmonary disease: a mixed methods study. BMC Med Inform Decis Mak 2016 ; 16(1) : 26.  "Publié dans OPA Pratique"

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