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Thérapeutique

Publié le 14 nov 2016Lecture 7 min

La résistance à l’aspirine chez le coronarien : comment le clinicien fait-il son diagnostic ?

J.-G. DILLINGER, P. HENRY, Hôpital Lariboisière, Paris

Si la résistance aux inhibiteurs P2Y12, notamment le clopidogrel, est largement connue des cliniciens, celle à l’aspirine est plus confidentielle. Cependant, quel cardiologue n’a pas vu un patient coronarien présenter une thrombose de stent sous aspirine à l’arrêt programmé de l’inhibiteur P2Y12 ? Un tel accident ne correspond-il pas à une résistance à l’aspirine ? Voici les principaux éléments pour appréhender la résistance à l’aspirine chez vos patients.

Une notion physiopathologique de l’aspirine à connaître L’aspirine dans ses études a souffert des méconnaissances de sa pharmacodynamie. En effet, cette dernière a principalement été étudiée chez les volontaires sains et la notion très répandue d’une durée d’action de plusieurs jours, exacte chez le volontaire sain, ne l’est en fait pas chez un grand nombre de sujets malades. L’aspirine va acétyler de façon irréversible la cyclooxygénase (COX-1) des plaquettes inhibant la synthèse du thromboxane A2, mais l’aspirine n’inhibe pas la voie de signalisation intraplaquettaire (les récepteurs plaquettaires au thromboxane restent fonctionnels). Les plaquettes acétylées sont donc activables par toute autre source de thromboxane (autres cellules comme les leucocytes et mêmes les nouvelles plaquettes non acétylées). L’efficacité de l’aspirine est donc très liée au renouvellement plaquettaire (figure 1). C’est notamment le cas chez les patients après une chirurgie de pontage coronarien (renouvellement accéléré des plaquettes après la CEC et inflammation), les patients atteints de thrombocytémie essentielle (hyperproduction plaquettaire médullaire primitive), les patients coronariens avec un syndrome métabolique ou encore les patients atteints de diabète de type 2. Ainsi, il ne s’agit pas d’une « vraie résistance » mais le plus souvent d’un effet non optimal en termes d’efficacité et/ou de durée d’action. Pour plus de clarté, le mot résistance sera utilisé dans cet article pour définir toutes les diminutions de l’effet attendu. Figure 1. Mécanisme d’action de l’aspirine chez les volontaires sains et chez les patients avec turnover plaquettaire accéléré (diabète, AOMI, postopératoire, thrombocytémie, etc.). La présence de plus de 20 % de plaquettes non acétylées permet de déclencher l’agrégation plaquettaire avant la nouvelle prise d’aspirine. Comment définir la résistance à l’aspirine ? La résistance clinique à l’aspirine est définie par toute récidive de la maladie athérothrombotique chez un patient sous aspirine. Bien évidemment, cette définition est très large car les causes sont multifactorielles. Les tests d’agrégation plaquettaire, réalisés dans certains centres experts, mesurant l’incapacité de l’aspirine à inhiber la production de thromboxane A2 par les plaquettes, permettent de mieux appréhender cette résistance à l’aspirine. En pratique, pour le clinicien, tout nouvel événement thrombotique chez un patient sous aspirine doit faire suspecter une résistance à l’aspirine. Quelles sont les causes de la résistance à l’aspirine ? Les causes pouvant expliquer la résistance à l’aspirine sont multiples, constitutionnelles (génétique, sexe) et/ou acquises soit tenant au patient (observance, habitudes de vie…), soit à ses pathologies (athérosclérose étendue, diabète, etc.) ou encore à ses traitements concomitants (AINS, IPP...). Les principales causes sont résumées dans le tableau ci-dessous. Causes constitutionnelles • Causes génétiques La résistance à l’aspirine possède un substrat génétique. La COX-1 présente plusieurs polymorphismes, le plus étudié étant le C50T. D’autres polymorphismes des récepteurs plaquettaires ont été incriminés dans la résistance à l’aspirine (récepteurs au collagène, au vWF, GP2b3a, etc.). Toutefois, le rôle de la résistance génétique est mineur et correspond à moins de 5 % de la population. • Sexe féminin Si l’efficacité de l’aspirine a toujours été bien mise en évidence chez l’homme, son efficacité chez la femme est plus controversée. Dans la Women’s Health Study, l’aspirine diminue le risque d’AVC de 24 % mais sans réduction significative sur l’infarctus du myocarde. Dans l’étude HOT, il existe une réduction de 42 % des événements ischémiques chez l’homme mais aucune différence significative chez la femme. Une différence du risque liée à la protection cardiovasculaire « naturelle » présente chez les femmes pourrait expliquer une telle différence. Toutefois, d’autres hypothèses ont pu être avancées sans qu’aucune d’elles ne soit réellement convaincante. Causes acquises • Observance Le manque d’observance du traitement est probablement la cause la plus fréquente qu’il faut envisager chez tous les patients. La forme galénique (poudre) la plus fréquemment utilisée en France ainsi que les doses (similaires à celles utilisées chez le nourrisson ou l’enfant) ne facilitent pas la compliance et nuisent à l’image du sérieux de la molécule. Il existe depuis peu en France des formes en comprimé dites « gastroprotégées » qui peuvent faciliter l’observance. L’augmentation du risque cardiovasculaire spécifiquement lié à la non-observance à l’aspirine est multipliée environ par 2. • Mauvaise absorption L’aspirine est absorbée par la muqueuse gastrique et le début de l’intestin grêle. L’aspirine peut être hydrolysée par les estérases sous forme d’acide salicylique inactif. Une activité élevée des estérases (ex : le patient diabétique) peut être associée à un manque d’efficacité des plus faibles doses d’aspirine chez certains patients. Par ailleurs, l’utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons peut augmenter l’efficacité des estérases et réduire l’absorption entérique de l’acide acétylsalicylique (forme active). Une étude rétro spective de cohorte au Danemark a montré après ajustement qu’un cotraitement par inhibiteurs de la pompe à protons augmente le risque d’événements cardiovasculaires (risque relatif = 1,46). • Compétition avec les antiinflammatoires non stéroïdiens Cette interaction est largement sous-estimée. L’ibuprofène, l’indométacine, le naproxène et probablement d’autres AINS empêchent l’aspirine d’accéder à la cyclo-oxygénase et diminuent son action du fait de la très courte durée de vie de l’aspirine (quelques heures après l’ingestion). Nous avons montré récemment que même quelques jours après l’arrêt des AINS, l’effet de l’aspirine peut être perturbé chez certains sujets. • Sévérité de la maladie artérielle Les situations aiguës telles le syndrome coronarien aigu ou l’arrêt cardiaque sont associées à une fréquence plus importante de résistance à l’aspirine. Les mécanismes sont multiples : turnover plaquettaire accéléré, syndrome inflammatoire, production extraplaquettaire de thromboxane, netose, etc. L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs est aussi fréquemment associée à la présence d’une résistance à l’aspirine du fait de l’hyperréactivité plaquettaire. • Diabète Le diabète est un facteur de risque majeur de résistance à l’aspirine. Chez les patients coronariens diabétiques avec un des critères suivants (tabagisme actif, taux de plaquettes > 270 g/l, syndrome inflammatoire), la résistance biologique peut atteindre 40 %. Cela pourrait expliquer les résultats négatifs des études de prévention des événements ischémiques chez les patients diabétiques avec artériopathie comme dans l’étude POPADAD. • Accélération du renouvellement plaquettaire Nous avons démontré dans une cohorte de patients avec une thrombocytémie essentielle (dont on sait que le renouvellement plaquettaire est extrêmement rapide) que pratiquement tous les patients sont résistants à l’aspirine. Par ailleurs, les patients avec un taux de plaquettes élevé (> 270 g/l), comme par exemple en postopératoire ou après une infection, ont plus fréquemment une résistance à l’aspirine. Quelles options thérapeutiques pour vaincre la résistance ? Vérifier l’observance Les premières étapes pour vaincre la résistance à l’aspirine sont de rechercher des causes en théorie faciles à corriger : - vérifier et améliorer la compliance ; - éviter à tout prix les arrêts intempestifs, comme par exemple pour des chirurgies mineures ; - vérifier l’absence de prescription concomitante d’AINS. Utiliser un inhibiteur P2Y12 Une autre option est de remplacer l’aspirine par une autre molécule antiagrégante. La seule qui se soit comparée à l’aspirine est le clopidogrel. Le prasugrel et le ticagrelor ont pour l’instant toujours été donnés en addition au traitement par aspirine. L’étude CAPRIE montre une réduction significative des événements, notamment chez les patients atteints d’une artérite des membres inférieurs ou diabétiques (ce qui correspond aux patients les plus fréquemment résistant à l’aspirine). Malheureusement, on connaît bien les limites du clopidogrel et sa forte variabilité interindividuelle. Augmentation des doses d’aspirine Les études avec différentes doses d’aspirine notamment CURRENT-OASIS (75-100 mg vs ≥ 300 mg d’aspirine) n’ont pas montré de supériorité des fortes doses d’aspirine mais, en revanche, l’augmentation d’effets indésirables, notamment hémorragiques et digestifs (ulcères gastroduodénaux). Cependant, on peut se poser la question de l’utilisation de la plus faible dose (75 mg) chez certains patients (ex : diabétiques avec activité estérase augmentée, co-médications). Augmentation de la fréquence d’administration L’idée d’augmenter la fréquence des prises est en droite ligne des travaux concernant l’accélération du turnover plaquettaire. Notre équipe et d’autres ont confirmé une supériorité biologique de la prise d’aspirine en 2 prises par jour chez les patients diabétiques, mais aussi chez les patients avec thrombocytémie essentielle. Toutefois, il faut rappeler qu’actuellement il n’y a pas de données scientifiques pour valider une telle attitude clinique. L’étude multicentrique Andaman que nous coordonnons a pour but de répondre à cette question (figure 2). Cette étude prospective incluant plus de 2 500 patients diabétiques après un SCA compare l’aspirine protect 100 mg (une prise vs deux prises par jour) avec un critère composite principal d’événements ischémiques à 18 mois.  Figure 2. Design de l’étude ANDAMAN comparant l’aspirine protect 100 mg le matin versus aspirine protect 100 mg matin et soir chez les patients diabétiques après un syndrome coronarien aigu. En pratique Toute récidive d’un événement athérothrombotique chez un patient traité par aspirine doit faire évoquer une résistance à l’aspirine. Les problèmes d’observance et la compétition avec les anti-inflammatoires doivent être systématiquement recherchés. Chez certains patients, notamment ceux présentant un syndrome inflammatoire une AOMI et/ou un diabète, l’aspirine est souvent en défaut. La durée de l’effet biologique de l’aspirine a été surestimée dans ces populations. La présence d’un turnover plaquettaire accéléré ne permet pas à une seule dose journalière d’aspirine d’exercer son effet pharmacodynamique antiplaquettaire. Ceci pourrait conduire à l’avenir à proposer d’augmenter le nombre de prises quotidiennes d’aspirine, mais aucune preuve clinique n’existe actuellement et les études sont en cours.

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