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Insuffisance cardiaque

Publié le 10 jan 2017Lecture 6 min

L’insuffisance cardiaque et la carence martiale

G. GERTNER, Paris


L’insuffisance cardiaque s’accompagne fréquemment de nombreuses comorbidités. Une des plus récentes, identifiée comme telle, est la carence martiale, qu’elle s’accompagne ou non d’une anémie. Les dernières études, présentées lors du congrès de l’American Heart Association en novembre 2016, ont fait d’ailleurs la preuve que la supplémentation en fer chez ces patients entraînait de manière significative une amélioration fonctionnelle. Cependant, ces bénéfices ne sont obtenus qu’à condition que la supplémentation en fer s’effectue par voie parentérale et non par voie orale.

Le bilan initial d’un patient insuffisant cardiaque comporte non seulement un examen clinique et une évaluation de la sévérité de la maladie, avec si besoin un test d’effort ou un test de marche, mais aussi un bilan biologique, un ECG et une échocardiographie Doppler. Mais il s’agit également de rechercher des causes déclenchantes de décompensation et les comorbidités (insuffisance rénale, BPCO, diabète, syndrome métabolique, fibrillation atriale, apnée du sommeil, angor, HTA, dépression, pathologie hépatique, etc.). Parmi ces dernières, la carence martiale se retrouve dans 37 à 68 % des cas, selon les études(1-3). Cette carence en fer est plus fréquente chez les patients présentant une anémie, même si elle est également présente chez plus d’un tiers des patients qui n’ont pas d’anémie. Par ailleurs, cette carence martiale est d’autant plus fréquente que la maladie est plus sévère. Carence martiale : des conséquences sévères Un déficit en fer réduit les capacités à l’exercice, qu’il existe ou non une anémie. On observe une diminution du pic de consommation en oxygène et une réduction de la distance parcourue au test de marche de 6 minutes. On comprend dès lors que la fatigue exprimée par les patients insuffisants cardiaques puisse s’expliquer, au moins en partie, par ce déficit en fer. Par ailleurs, cette carence martiale est associée à un risque accru d’hospitalisation et multiplie environ par trois le risque de décès(2) (figure 1). Figure 1. Carence martiale et pronostic de l’insuffisance cardiaque(2). Le bilan biologique Dans le guide du parcours de soins de l’insuffisant cardiaque (juin 2014), la HAS préconise de réaliser un bilan biologique qui comporte le dosage d’un peptide natriurétique (BNP ou NT-proBNP) devant des symptômes évocateurs. Ce bilan doit être complété par les examens suivants : hémogramme, natrémie, kaliémie, créatininémie et débit de filtration glomérulaire, albuminémie, urée, bilan lipidique, enzymes hépatiques, glycémie et TSH. Désormais, il est indispensable d’y ajouter un dosage de la ferritine, qui reflète les stocks de fer dans l’organisme et du coefficient de saturation de la transferrine (ou de la sidérophiline) qui est le transporteur plasmatique du fer. Ainsi, une ferritinémie inférieure à 100 µg/l définit une carence martiale absolue. Un coefficient de saturation de la transferrine diminué de 20 %, et une ferritinémie entre 100 et 299 µg/l, signifie que le fer circulant est inefficace et signe une carence martiale fonctionnelle. Ces dosages sont d’autant plus importants que l’anémie est une conséquence relativement tardive de la carence en fer. Pourquoi une carence en fer a-t-elle un impact sur l’insuffisance cardiaque ? Le fer est impliqué dans de nombreux processus métaboliques. Il est indispensable dans l’érythropoïèse lors de la transformation des érythroblastes en réticulocytes. C’est un cofacteur enzymatique, un constituant de plusieurs cytochromes et il permet l’utilisation de l’oxygène par les enzymes de la chaîne respiratoire mitochondriale. Il permet le transport de l’oxygène par l’hémoglobine et son stockage par la myoglobine. Mais le fer joue aussi un rôle essentiel dans le métabolisme oxydatif au niveau du muscle squelettique périphérique et vraisemblablement cardiaque. C’est pourquoi les effets bénéfiques de la supplémentation par fer I.V. s’observent aussi bien chez les patients anémiés ou non. On comprend dès lors qu’un déficit en fer puisse réduire les capacités fonctionnelles d’un patient insuffisant cardiaque (figure 2). Figure 2. Impact de la carence martiale sur la capacité fonctionnelle dans l’insuffisance cardiaque. L’actualité thérapeutique Or, au cours des dernières années, les preuves que la correction de la carence en fer chez un insuffisant cardiaque est efficace se sont accumulées. Ainsi, dès 2009, l’étude FAIR-HF(4) avait montré que l’administration de fer, sous forme de carboxymaltose ferrique, par voie I.V. versus placebo, qu’il y ait ou non une anémie, améliorait les symptômes, la qualité de vie et le test de marche de 6 minutes (50 % versus 28 %). Depuis, l’étude CONFIRM-HF(5) a renforcé ces résultats dans une étude effectuée avec la même molécule pendant 1 an, dans les mêmes conditions, en montrant non seulement les mêmes améliorations que dans l’étude FAIR-HF, en termes de symptômes, qualité de vie et test de marche, mais également une réduction des réhospitalisations (critère secondaire) pour insuffisance cardiaque, et ce, toujours en comparaison avec un placebo. Le fer I.V. : une nouvelle confirmation Au cours du dernier congrès de l’American Heart Association qui s’est tenu du 12 au 16 novembre 2016 à la Nouvelle-Orléans (États-Unis), les résultats de l’étude EFFECT-HF(6) ont été présentés. Il s’agit d’une étude prospective multicentrique, randomisée, en intention de traiter et per-protocole, carboxymaltose ferrique I.V. versus traitements de référence : placebo ou fer par voie orale (excluant le fer I.V.), effectuée pendant 24 semaines, visant à confirmer que ce traitement améliorait les possibilités physiques et les capacités à l’exercice ainsi que la qualité de vie de patients insuffisants cardiaques carencés en fer, avec ou sans anémie. Les patients étaient en classe II ou III NYHA, avec une FEVG en moyenne à 32 %, un VO2 max à 13 ml/kg/min, un BNP aux environ de 800 pg/ml ou un NT-proBNP à 2 500 pg/ml, une hémoglobine < 13/dl, un débit de filtration glomérulaire aux alentours de 50 ml/min/1,73 m2. La ferritine était à 62 µg/l et un coefficient de saturation de la transferrine à 20 %. Les patients avaient en moyenne 63 ans. Les principales comorbidités étaient l’HTA, la fibrillation atriale, un diabète ou un infarctus du myocarde. La très grande majorité des patients étaient traités par diurétiques, IEC ou ARA2, bêtabloquants, voire antagoniste de l’aldostérone. Les résultats ont montré à l’issue de l’étude une amélioration franche du VO2 max, critère primaire de l’étude ainsi que du test de marche de 6 minutes. En revanche, l’étude IRONOUT(7) dont les résultats ont également été présentés lors du congrès de l’AHA, a montré que la supplémentation en fer par voie orale versus placebo n’est pas efficace tant sur la VO2 max que sur la ferritinémie chez les patients insuffisants cardiaques dont la FEVG est réduite. Ces résultats s’expliquent, entre autres, par la mauvaise absorption intestinale du fer. En pratique Il apparaît tout d’abord essentiel, chez tout patient insuffisant cardiaque, d’inclure dans le cadre de son bilan biologique, le dosage de la ferritine et du coefficient de saturation de la transferrine. Par ailleurs, les preuves apportées par les dernières études effectuées tant avec du fer par voie orale que par voie injectable, montrent définitivement que la voie injectable est à privilégier, d’autant que les résultats bénéfiques apparaissent de manière relativement précoce, au bout de d’une quinzaine de jours. Il reste bien entendu à confirmer ces résultats chez des patients insuffisants cardiaques à FEVG préservée et d’évaluer les effets de cette supplémentation en fer en termes de morbi-mortalité et de réhospitalisations. Enfin, les recommandations dans ce domaine, au vu des résultats des dernières études, risquent d’évoluer vers une prescription de fer injectable en première intention chez les patients insuffisants cardiaques en carence martiale, qu’ils présentent ou non une anémie.

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