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Insuffisance cardiaque

Publié le 01 avr 2017Lecture 10 min

Nouvelles recommandations ESC 2016 - Ce qu’elles changent dans la prise en charge thérapeutique

Damien LOGEART, Paris

Par rapport aux précédentes recommandations de 2012, la principale modification des recommandations 2016 de l’ESC sur l’insuffisance cardiaque concerne l’introduction de la classe des inhibiteurs mixtes des récepteurs à l’angiotensine 2 et de la néprilysine dans l’algorithme de l’IC à FEVG réduite. On note également une indication pour le fer intraveineux. Pour les autres thérapeutiques plus anciennes, les changements sont à la marge. Nous aborderons succinctement l’ensemble des thérapeutiques disponibles. Enfin, la prise en charge de l’IC aiguë ou décompensée n’a pas vu de changement significatif.

Tout d’abord, il est important de rappeler la distinction du type d’insuffisance cardiaque selon la FEVG. L’essentiel des recommandations porte sur l’IC avec FEVG réduite (< 40 %). Pour l’IC à FEVG préservée (≥ 50 %), il n’y a pas encore eu d’essai randomisé ayant complètement emporté la conviction, et les recommandations restent très limitées et prudentes. Par ailleurs, les mécanismes physiopathologiques de ces 2 types d’IC ne sont pas suffisamment similaires pour extrapoler les recommandations de l’un à l’autre. De façon intéressante, l’ESC a souhaité individualiser la catégorie de patients avec IC et FEVG intermédiaire, entre 40 et 49 %. En effet, ce groupe de patients a finalement été peu pris en compte dans les différents essais cliniques (FEVG ≤ 40 % dans la plupart des essais) et le niveau de preuves y est donc très faible. Les études à venir nous diront si cette catégorie de patients à FEVG intermédiaire est à assimiler à l’IC à FEVG réduite ou à rapprocher plutôt de l’IC à FEVG préservée ou à considérer complètement à part. Insuffisance cardiaque à FEVG réduite Traitements médicamenteux • Débuter par IEC et bêtabloquants simultanément (recommandation de classe I) Pour tout patient avec FEVG < 40 % et quel que soit son stade NYHA, le point de départ est l’association IEC et bêtabloquants. Alors qu’en 2012, il était proposé de débuter avec les IEC puis les bêtabloquants, les nouvelles recommandations proposent de les initier en même temps. Il est bien sûr conseillé de rechercher la dose maximale tolérée de façon progressive. Pour la classe des bêtabloquants, qui est pharmacologiquement hétérogène, ce sont toujours les 4 mêmes agents qui peuvent être prescrits : carvedilol, bisoprolol, metoptolol succinate, nebivolol. Les ARA2, au moins le candesartan et le valsartan, ne sont à prescrire qu’en cas d’intolérance aux IEC (angiœdème ou toux). • Diurétiques (classe I) Les diurétiques sont à utiliser chez tous les patients congestifs, ce qui correspond habituellement à une NYHA ≥ II, et il n’y a rien de neuf concernant cette classe de traitement. Ce sont les diurétiques de l’anse qui sont utilisés dans la très grande majorité des cas, mais les thiazidiques sont également présents dans les textes de recommandations. Il est habituel de conseiller de prescrire la dose efficace la plus faible possible, mais il faut rester prudent quand à leur arrêt éventuel chez un patient (semblant) asymptomatique. La poursuite de l’escalade thérapeutique se justifie si la FEVG reste ≤ 35 %. • Antagonistes des récepteurs aux minéralo-corticoïdes si NYHA ≥ II persistante et FEVG ≤ 35 %(classe I) Comme en 2012, spironolactone ou eplerenone à faibles doses (25 à 50 mg/j) sont à proposer chez tous les patients restant avec une FEVG ≤ 35 %en classe NYHA ≥ II sous IEC, bêtabloquants et diurétiques de l’anse. Au décours immédiat d’un infarctus avec FEVG altérée, les ARM sont également recommandés. En pratique, cela signifie que la grande majorité des patients avec dysfonction systolique relève d’un traitement par ARM. On peut en profiter pour rappeler ici que cette recommandation était très insuffisamment suivie dans les dernières enquêtes de prescription en France. Dans ces recommandations ESC, à noter qu’il n’y a pas de contre-indication formelle pour ce qui est de la fonction rénale mais bien sûr des précautions et une surveillance rigoureuse. En cas d’intolérance aux ARM et seulement dans ce cas, il reste possible de prescrire une association IEC-ARA2. • Switcher l’IEC ou ARA2 pour un inhibiteur des récepteurs à l’angiotensine 2 et de la neprilysine en 2e ligne (classe I) Au vu de la supériorité du LCZ696 sur l’enalapril dans l’essai PARADIGM (mortalité totale et CV notamment), la recommandation de l’ESC peut sembler un peu restrictive car elle ne propose pas de débuter directement le traitement de l’IC à FEVG réduite par cette nouvelle classe mais uniquement si le patient reste symptomatique malgré l’association IEC-bêtabloquant-ARM et diurétiques. Les recommandations américaines (AHA/ACC) publiées simultanément sont moins directives (ou plus floues) sur ce point. En fait, les recommandations ESC reprennent le schéma de l’essai PARADIGM où le LCZ696 avait montré sa supériorité par rapport à l’enalapril chez des patients restant symptomatiques alors qu’ils étaient déjà sous traitement optimal, et s’étaient montrés capables de tolérer un IEC. Il faut aussi garder en mémoire qu’un certain nombre de patients s’améliore très significativement sous l’association classique avec une FEVG augmentant à plus de 40 %. Une étude randomisée — PARADISE — va tester la supériorité du LCZ696 par rapport à un IEC dans le post-infarctus avec FEVG altérée ce qui nous aidera à préciser ultérieurement la pertinence du LCZ696 en début de prise en charge et/ou chez les patients asymptomatiques. En pratique, le switch de l’IEC pour Entresto® nécessite un arrêt de l’IEC pendant 36 h pour éviter l’excès potentiel de risque d’angioedème (cette précaution n’est pas nécessaire en cas d’ARA2 puisque le LCZ696 contient déjà du valsartan). Le choix initial entre les 3 doses du LCZ696 peut se faire en fonction de la dose préalable d’IEC ou ARA2 et du niveau tensionnel. Le plus souvent, la dose intermédiaire peut être utilisée. La surveillance spécifique est la même que celle d’un IEC ou ARA2 (pression artérielle et biologie « rénale »). • L’ivabradine peut être utilisée en cas de rythme sinusal avec FC ≥ 70 bpm et FEVG ≤ 35 % (classe IIa) Comme en 2012, l’ESC propose d’utiliser l’ivabradine en cas de FC ≥ 70 bpm, malgré les bêtabloquants et sous réserve que le rythme soit sinusal. On rappelle que dans l’AMM européenne ou française, le seuil de rythme sinusal était relevé à 75 bpm. En cas de contre-indication ou d’intolérance aux bêtabloquants (environ 10 à 15 % des patients) et de rythme sinusal ≥ 70 bpm, les nouvelles recommandations ESC conseillent de prescrire l’ivabradine (classe IIa versus IIb en 2012). Traitements non médicamenteux • Réadaptation cardiaque à l’effort et prise en charge multidisciplinaire spécifique (classe I pour toute IC) Comme en 2012, les recommandations insistent sur l’importance de la réadaptation à l’effort de tous les IC, pour un bénéfice essentiellement fonctionnel mais également de réduction du risque d’hospitalisation. Concernant la prise en charge multidisciplinaire et coordonnée, les recommandations 2016 indiquent dorénavant une recommandation de classe I qui n’existait pas avant. Les contenus possibles de ce type de prise en charge sont assez larges, vont de l’organisation de la sortie d’une hospitalisation à l’éducation thérapeutique en passant par la place de l’infirmière à domicile, mais un point essentiel est la qualité de la coordination. Il existe encore une marge considérable d’amélioration en France. • Défibrillateur automatique implantable si FEVG ≤ 35 % et NYHA < IV (classe I) Cette recommandation forte est identique à celle de 2012 et reste sous réserve que le contexte (âge, comorbidité, NYHA) laisse espérer un réel bénéfice. Il faut indiquer ici que les résultats de l’essai DANISH ont été publiés quelques mois après ces recommandations et que ces résultats indiquaient l’absence de bénéfice global (mortalité CV et totale) du défibrillateur en cas de cardiopathie non ischémique. L’analyse en sousgroupe suggère que ce bénéfice existe quand même chez les moins de 59 ans. On verra ce que diront les prochaines recommandations mais d’ores et déjà, on peut y voir une incitation à nuancer nos indications et ne pas se précipiter en cas de cardiopathie non ischémique, ne serait-ce qu’attendre 3 mois après optimisation du traitement médicamenteux et vérification de la FEVG. À nouveau, une proportion significative de patients améliore leur FEVG sous traitement. Concernant la LifeVest ou équivalent en attente d’une implantation (dans le post-infarctus immédiat avec FEVG altérée notamment), celle-ci est évoquée mais sans recommandation par défaut d’études. • Resynchronisation ventriculaire : relative simplification des critères (FEVG ≤ 35 %, NYHA ≥ II, durée QRS ≥ 130 ms) Les nouvelles recommandations diffèrent légèrement de celles de 2012. D’une part, la distinction NYHA II vs NYHA III-IV est supprimée sauf en cas de FA où seuls les NYHA III-IV pourraient être resynchronisés. D’autre part, il n’y a plus que deux seuils de durée de QRS qui sont pris en compte : 130 et 150 ms. En cas de BBG, tous les patients avec NYHA ≥ II et QRS ≥ 130 ms doivent être resynchronisés. En cas de non-BBG, la recommandation est de classe IIa (≥ 150 ms) ou IIb (130-149 ms). En cas de BAV (et donc de risque de stimulation VD permanente), la resynchronisation biventriculaire est également fortement recommandée. Enfin, rappelons que ces indications ne sont portées qu’après réévaluation sous traitement médicamenteux optimal… • Assistance ventriculaire gauche (LVAD) (classe IIa) Sans rentrer dans trop de détails, ces assistances sont recommandées en pont vers la transplantation ou de façon définitive en cas de contre-indication à la greffe chez des patients soigneusement sélectionnés. Le niveau de recommandation est de classe IIa dans les deux cas. Insuffisance cardiaque à FEVG préservée Comme en 2012, il n’y a pas de recommandation autre que de prescrire des diurétiques en cas de congestion et de traiter les comorbidités. La liste des essais cliniques négatifs est maintenant longue et nécessite de reconsidérer ses mécanismes. Traitements des comorbidités • Rechercher une carence martiale et la traiter (nouvelle recommandation de classe IIa) La carence martiale est très fréquente chez ces patients et deux essais randomisés assez récents ont montré un bénéfice clinique de sa correction par fer injectable, et ce, qu’il y ait ou non une anémie associée. Le bénéfice semble davantage lié à une amélioration du métabolisme musculaire squelettique qu’à une augmentation du taux d’hémoglobine. Les recommandations 2016 proposent donc dorénavant de suivre le protocole de ces essais avec du fer injectable (une à plusieurs injections nécessaires) en cas de ferritinémie < 100 mg/l ou de ferritinémie entre 100 et 299 mg/l avec saturation de la transferrine < 20 %. Sans que cela soit mentionné dans les recommandations ESC, on peut conseiller un dosage sanguin de la ferritine tous les ans. À l’inverse, on peut pointer que la correction d’une anémie par érythropoïétine de synthèse n’est pas recommandée. • Diabète : metformine en 1re intention (classe IIa) et contreindication des glitazones La metformine est le traitement de première intention en cas d’IC, et notamment le plus fiable, alors même qu’elle était historiquement plutôt déconseillée chez toute personne « fragile ». Les fortes doses d’insuline sont à surveiller, surtout en cours de décompensation, en raison d’un effet positif sur la rétention hydrosodée. Les glitazones sont clairement contreindiquées. La sécurité des gliptines (inhibiteurs de DPP4) et des agonistes du GLP-1 semble poser moins de problèmes que les glitazones mais reste à mieux vérifier. Enfin, et suite aux résultats récents de l’essai EMPA-REG, l’empagliflozine pourrait être dorénavant le traitement de choix mais n’est pas encore commercialisé en France. • Fibrillation atriale : AOD possible, voire à privilégier (classe IIa) La nouveauté est bien sûr la classe des AOD qui est maintenant autorisée dans l’IC avec FA, voire à préférer en raison de leur meilleure balance bénéfice/risque que les AVK (classe IIa) en dehors d’une contre-indication (prothèse valvulaire mécanique…). Pour le contrôle de rythme sinusal, les bêtabloquants sont le traitement de 1re intention (classe I) sauf en cas d’IC NYHA-IV ou décompensée, où la digoxine, voire l’amio darone IV ont leur place (classe IIa). L’intérêt d’une réduction systématique est très faible dans les recommandations (classe IIb seulement), sauf en cas d’événement causal ou de mauvaise tolérance. La dronédarone et les antiarythmiques de classe I restent contre-indiqués et l’utilité de l’amiodarone au long cours devrait être régulièrement reconsidérée. L’ablation de la FA est considérée avec une recommandation seulement de classe IIb. • Digoxine et oméga-3 continuent d’être peu recommandés (classe IIb) Leur niveau de recommandation reste en classe IIb comme en 2012. Pour la digoxine, les études sont anciennes avec un bénéfice modeste qui est devenu peu convaincant avec le temps et l’émergence d’autres molécules plus efficaces. À réserver donc en cas de fibrillation atriale rapide. Pour les oméga-3, le seul essai positif — GISSI-HF — donnait un résultat tout juste significatif et seulement après multiples ajustements statistiques. • Statines sans intérêt évident À défaut de stopper une prescription ancienne pour coronaropathie, il n’y a pas d’intérêt à les débuter en cas d’IC à FEVG réduite. • Syndrome d’apnée du sommeil, prudence dans les indications d’appareillage Le SAS est fréquent dans l’IC. Il peut être purement obstructif ou essentiellement d’origine centrale. C’est dans ce dernier cas que la ventilation auto-asservie s’est avérée récemment délétère dans l’essai SERVE-HF et est dorénavant interdite. Les autres modes de correction (CPAP, O2) peuvent être envisagés à visée symptomatique en sachant qu’il n’y a pas de preuve pour un bénéfice sur le risque de mortalité ou d’hospitalisation. • Contre-indication des AINS et inhibiteurs de Cox2. • Contre-indication des inhibiteurs calciques (sauf amlodipine et felodipine si HTA non contrôlée). Insuffisance cardiaque aiguë ou décompensée Pour la prise en charge thérapeutique de l’IC aiguë, les recommandations ESC n’ont guère évolué. On note le retour de la vieille classification des patients en 3 catégories : « chaud humide », « froid humide » et froid sec ». À nouveau, les experts insistent sur la place des vasodilatateurs IV — dérivés nitrés le plus souvent — et les conseillent jusqu’à un niveau de PA systolique très bas… de 90 mmHg, ce qui est un peu provocateur et reste loin de nos habitudes. À l’inverse, les inotropes doivent être réservés au choc cardiogénique. Il est intéressant ou surprenant de noter que tous les thérapeutiques du choc cardiogénique — inotropes, vasopresseurs, assistance circulatoire — n’ont qu’une recommandation de classe IIb, ce qui sous-entend la nécessité d’en réserver l’usage aux situations « extrêmes ». L’utilisation de la ventilation non invasive — CPAP ou BiPAP — est conseillée dès que possible en cas de détresse respiratoire (classe IIa) pour éviter l’intubation. Les opiacés ne sont pas conseillés. Figure.

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