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Coronaires

Publié le 15 juin 2017Lecture 9 min

L’aspirine va-t-elle disparaître de l’ordonnance du coronarien ?

Michel ZEITOUNI, Jean-Philippe COLLET, Institut de cardiologie, Inserm UMRS-ICAN 1166, GH La Pitié-Salpêtrière, Paris

L’acide acétylsalicylique est recommandé par toutes les sociétés savantes internationales pour la prévention secondaire des maladies liées à l’athérosclérose. Malgré son faible coût, on lui reproche son efficacité biologique limitée par rapport aux inhibiteurs de la voie du P2Y12, et certains posent la question de sa disparition de l’ordonnance du patient coronarien. L’aspirine est ainsi mise à l’épreuve des avancées thérapeutiques.

Un peu d’histoire   L’acide acétylsalicylique tire son nom de salix, terme latin pour désigner le « saule », arbre dont l’écorce contient de l’acide salicyclique, qui servait dans l’Antiquité à traiter douleurs, céphalées et fièvres. La première étude qui le démontre date de 1876(1). La synthèse chimique de l’acide acétylsalicylique est réalisée en 1897 par Hoffmann et le brevet est déposé en 1899 par Bayer. C’est en 1967 que l’effet antiagrégant plaquettaire est démontré in vitro(2). Dès le début des années 1970, des études de registres montrent un bénéfice en prévention secondaire de l’infarctus du myocarde. En 1974, Elwood PC et coll.(3) réalisent la première étude randomisée aspirine contre placebo montrant un bénéfice en prévention secondaire pour l’infarctus du myocarde. En 1978, l’effet bénéfique de l’aspirine est démontré dans la prévention secondaire de l’AVC ischémique(4).   Mécanisme d’action   Après absorption gastroduodénale, l’aspirine acétyle de façon irréversible la cyclo-oxygénase plaquettaire COX1 dans la circulation porte. Ceci entraîne l’inhibition de la synthèse de prostaglandine H2 pendant 6 à 10 jours et donc de la synthèse de la thromboxane-A synthase en thromboxane A2. Cette inhibition empêche l’activation du récepteur de la prothrombine et donc l’agrégation plaquettaire et la vasoconstriction artérielle (figure 1). Plusieurs études ont montré qu’une dose d’aspirine de 75 mg à 100 mg suffit pour obtenir une inhibition complète de l’activité plaquettaire chez les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire(5). Les études évaluant une forte dose d’aspirine (150 mg-325 mg/j) contre une petite dose (75 mg), ont à chaque fois montré une augmentation de la mortalité toutes causes et des hémorragies (jusqu’à 10 % contre moins de 1 %), sans bénéfices sur les événements ischémiques(6,7). La résistance biologique à l’aspirine est une question récurrente. Biologiquement, il s’agit d’un phénomène exceptionnel. Il peut exister un échappement au cours du nycthémère, en particulier chez les patients diabétiques. Ainsi, l’étude ANDAMAN (NCT02520921) teste l’hypothèse d’un meilleur effet antiischémique avec une administration 2 fois par jour de 100 mg d’aspirine par rapport à une prise unique chez les patients diabétiques pris en charge pour un syndrome coronarien aigu. Figure 1. Mécanisme d’action des principaux antiagrégants plaquettaire. Indications actuelles   La métaanalyse de l’Antithrombotic Trialists Collaboration(8), réunissant 287 études sur 135 000 patients attribue à l’aspirine une diminution de 25 % de tous les événements ischémiques confondus. L’aspirine est recommandée au long cours chez tous les patients ayant une localisation de l’athérosclérose documentée et symptomatique. Ce bénéfice clinique est obtenu au dépend de complications hémorragiques essentiellement gastro-intestinales. Le tableau 1 montre la réduction absolue d’événement pour 1000 patients traités en prévention secondaire. La prévention primaire : un débat en cours   Il n’existe aucune AMM de l’aspirine en prévention primaire car le rapport bénéfice-risque est ténu et très différent de ce que l’on peut observer en prévention secondaire (tableau 1). La métaanalyse en données individuelles de tous les essais n’a pas réussi(9) à trouver un groupe de patients particuliers qui pourrait en bénéficier. Les différentes sociétés savantes donnent pourtant des recommandations contradictoires alors que les analyses portent sur les mêmes données ! La Société européenne de cardiologie a tranché en 2016 et ne recommande pas l’aspirine en prévention primaire de façon systématique(10) (classe III, niveau B). La figure 2 résume les modalités pratiques d’utilisation de l’aspirine en prévention primaire. Dès lors que le risque annuel d’événement excède 2 %, on peut utiliser l’aspirine à faible dose en l’absence de sur-risque d’hémorragie digestive (antécédent d’ulcère hémorragique, etc.). Il faut rappeler que le risque n’est pas une propriété intrinsèque individuelle mais une construction basée sur ce que l’on connaît de l’individu en termes de facteurs de risque et de maladie existante. La question pratique qui revient en permanence est celle des lésions dites asymptomatiques dépistées à l’imagerie non invasive (scanner ou échographie Doppler). Il faut retenir qu’il n’y a aucun lien établi entre le score calcique coronaire et le bénéfice de l’aspirine en prévention primaire. L’aspirine n’a aucun bénéfice en cas de lésion asymptomatique de l’aorte et de membres inférieurs. L’aspirine doit être prescrite en cas de lésion carotidienne supérieure à 50 % en raison de son effet sur la prévention des AVC et surtout des infarctus du myocarde. Il faut attendre 2018 où les résultats ASCEND, ASPREE, et ARRIVE permettront d’y voir enfin clair avec l’aspirine. La prévention primaire est aussi testée avec le ticagrelor dans l’étude THEMIS(11) versus placebo chez des patients de plus de 50 ans, diabétiques et à haut risque cardiovasculaire. Seuls les événements ischémiques sont regardés dans cette étude. Figure 2. Aspect pratique de la prescription de l’aspirine en prévention primaire. Coronaropathie et FA : l’aspirine déjà évincée (tableau 2) Entre 6 et 8 % des patients stentés pour un SCA ou maladie coronaire stable ont une indication à recevoir un anticoagulant(7) (FA, valve mécanique, maladie thromboembolique veineuse). Le sur-risque hémorragique lié à une triple association aspirine-inhibiteur du P2Y12- anticoagulant a été bien souligné par l’étude WOEST(12) qui a démontré que l’aspirine pouvait être évincée de l’ordonnance très précocement, dès le premier mois suivant l’angioplastie. L’étude ISAR-TRIPLE(13) a démontré qu’un traitement de 6 semaines de clopidogrel était aussi efficace et aussi bien toléré que 6 mois après angioplastie sous AVK et aspirine. PIONEER-AF(14) a démontré que le rivaroxaban a une meilleure tolérance que les AVK dans le contexte d’une trithérapie après stenting coronaire, et ce indépendamment de sa durée. Cette étude exploratoire qui a éliminé les patients les plus à risque (en particulier ceux ayant un antécédent d’AVC) ne permet pas de conclure en ce qui concerne le risque ischémique. REDUALPCI(15) évalue le dabigatran et AUGUSTUS l’apixaban versus AVK dans le contexte de l’angioplastie coronaire chez un patient en fibrillation atriale. Les données poolées de l’ensemble de ces études permettront de se faire une idée plus précise sur la place des AOD dans ce contexte. Depuis 2016, la Société européenne de cardiologie indique que la durée de l’association triple doit être de 1 mois par défaut en raison du haut risque hémorragique de ces patients et peut être poursuivie jusqu’à 3 ou 6 mois lorsque le risque ischémique dépasse largement le risque hémorragique. Après un an et en cas de maladie coronaire stable et en l’absence de haut risque anatomique, l’anticoagulation seule est poursuivie (figure 3). Figure 3. Recommandations de traitement chez les patients stentés sous anticoagulants. L’aspirine mise à l’épreuve en prévention secondaire de la maladie coronaire (tableau 3) L’éviction de l’aspirine au profit des AOD ou d’une monothérapie par le ticagrelor ou le prasugrel en faisant l’hypothèse d’un meilleur effet antithrombotique et d’une meilleure tolérance digestive est en cours d’évaluation. L’étude de phase II GEMINI-ACS-1(16), randomisée en double aveugle, a inclus 3 000 patients admis pour SCA pour comparer une petite dose de rivaroxaban (2,5 mg x 2/j) associée à un inhibiteur du P2Y12 (clopidogrel, ticagrelor, prasugrel) à l’association DAPT classique comprenant l’aspirine. Le critère de jugement principal est un critère de sécurité concernant la survenue d’une hémorragie. Le critère de jugement secondaire est un critère composite de mort cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC et thrombose de stent. Présentés en mars 2017 au congrès de l’American College of Cardiology, les résultats de l’étude sont neutres et ne montrent ni augmentation ni diminution des événements hémorragiques avec la stratégie comprenant le rivaroxaban. L’étude randomisée GLOBAL LEADERS(17) (n = 16 000 patients) teste la supériorité d’une monothérapie par ticagrelor (avec 1 mois d’aspirine au début) versus la bithérapie habituelle dans les suites d’une angioplastie coronaire. Le critère de jugement principal associe le décès toutes causes et l’infarctus du myocarde. Sur le même principe, l’étude TWILIGHT(18) évalue la suppression de l’aspirine 3 mois après une angioplastie chez le patient à haut risque avec comme critère de jugement principal, les hémorragies. COMPASS (NCT01776424) a comparé le rivaroxaban 5 mg x 2 seul versus le rivaroxaban 2,5 mg x 2 plus aspirine versus aspirine seule en prévention secondaire de la maladie coronaire stable ou d’une AOMI sur un critère associant la survenue d’événements ischémiques ou d’une hémorragie majeure. L’étude a été interrompue prématurément après la randomisation de 27 402 patients en raison de la démonstration de la supériorité de l’un des bras rivaroxaban par rapport à l’aspirine seule sur la réduction des événements ischémiques.   Remplacer l’aspirine : un échec dans les AVC/AIT et dans l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs   En juillet 2016, paraissait l’étude SOCRATES(19), une belle étude internationale, multicentrique, randomisée en double aveugle, incluant 13 999 patients ayant eu un AVC ischémique en 2 bras : un groupe traité par aspirine versus un groupe traité par ticagrelor. Malgré un nombre d’événements ischémiques inférieurs, et un nombre d’hémorragies similaire, l’étude n’est pas parvenue à montrer une supériorité du ticagrelor face à l’aspirine dans cette indication. De même, en novembre 2016, l’étude EUCLID(20) ne parvient pas à montrer un bénéfice supérieur du ticagrelor dans l’AOMI.   L’aspirine n’a pas joué toutes ses cartes !   Le cœur n’a pas le monopole des bienfaits de l’aspirine dont les effets pléiotropies bénéfiques sur les autres organes sont déjà démontrés (figure 4). Les oncologues s’intéressent à l’aspirine donnée au long cours pour prévenir la survenue d’un premier cancer(21). De nombreuses études cas-témoins et de cohorte font le lien entre traitement par aspirine et diminution du risque de cancer(22,23), notamment colo-rectal(24). En 2010, le Lancet publiait une métaanalyse(25) comparant aspirine versus placebo chez 14 033 patients de 5 études montraient une diminution significative du risque de cancer colorectal à 20 ans (HR = 0,76, IC95% : 0,60-0,96, p = 0,02). Quatre études randomisées sont en cours pour étudier cet effet protecteur en prévention primaire et secondaire contre les récidives (NCT00565708, NCT02394769, NCT02467582, NCT00002527). L’aspirine au long cours pourrait aussi réduire le déclin cognitif(26) et les phénomènes neurodégénératifs(27) par l’effet anti-inflammatoire sur le tissu cérébral via l’inhibition de COX2. Cette hypothèse est testée dans l’étude ASPREEE, randomisée contre placebo en double aveugle, qui inclut actuellement des patients de plus de 70 ans. Son critère de jugement principal est l’apparition d’une démence, d’un handicap et le décès toutes causes.   Figure 4. Les effets pléiotropes de l’aspirine.  En pratique   L’aspirine garde une place de choix sur l’ordonnance de nos patients coronariens. Son bénéfice dans l’athérosclérose et ses complications aiguës, son prix accessible, le recul de plus de 30 ans en font une molécule incontournable. On lui reproche beaucoup et certains font le pari de sa disparition de l’ordonnance du coronarien au profit d’une association AOD et nouveaux anti-P2Y12. Malgré des premiers résultats neutres dans l’étude GEMINI-ACS, la prescription seule du ticagrelor ou même d’AOD chez le coronarien stable est une hypothèse sérieuse en cours d’évaluation. Toutefois, l’aspirine n’a pas joué toutes ses cartes. Son effet préventif sur les tumeurs solides mais aussi sur le déclin cognitif est une hypothèse sérieuse faisant l’objet de nombreuses études randomisées qui pourraient lui donner une nouvelle jeunesse.   Références disponibles sur demande à : biblio@axis-sante.com

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