Publié le 12 nov 2024Lecture 6 min
ESC 2024 : retour sur les études SENIOR RITA et SCOFF
Édouard DESJOBERT, Hôpital privé du Confluent, Nantes
Le congrès de l’European Society of Cardiology de 2024 (ESC) a été l’occasion de présenter les résultats de nombreuses études en lien avec la prise en charge de la cardiopathie ischémique. Faut-il favoriser un traitement médical ou invasif chez les patients âgés avec un syndrome coronarien sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI) ? Un patient doit-il être nécessairement à jeun avant une intervention coronaire percutanée programmée ou la pose d’un dispositif électronique implantable cardiaque ?
SENIOR RITA : une stratégie invasive a-t-elle sa place dans le syndrome coronarien aigu chez les patients âgés ?
Les patients les plus âgés sont souvent exclus des études portant sur les bénéfices d’une revascularisation coronaire dans le cadre d’un syndrome coronarien aigu. Ce manque de données peut conduire à une prise en charge non optimale de ces patients, une approche conservatrice étant souvent préférée compte tenu de leur comorbidité et de leur fragilité.
À l’instar de l’étude FIRE et de la méta-analyse EARTH-STEMI, SENIOR RITA s’est attachée à déterminer la meilleure stratégie thérapeutique chez ces patients fragiles(1).
Méthodes
L’essai SENIOR-RITA était un essai prospectif, multicentrique et randomisé mené dans 48 sites au Royaume-Uni(2).
Pour être inclus, les patients devaient :
– être âgés de 75 ans ou plus ;
– présenter un infarctus du myocarde sans élévation du segment ST (NSTEMI).
Les patients étaient exclus s’ils présentaient :
– un infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST, un angor instable ou un choc cardiogénique ;
– une espérance de vie ≤ 12 mois.
Les patients étaient alors randomisés en 1:1 pour bénéficier d’un traitement médical seul (stratégie conservatrice) ou d’une coronarographie associée à une revascularisation en plus du traitement médical (stratégie invasive).
Le critère de jugement principal était composite et comprenait les décès cardiovasculaires ou les récidives d’infarctus du myocarde. Les critères de jugement secondaires comprenaient les complications périprocédurales et intrahospitalières.
Dans le groupe « stratégie invasive », la revascularisation était effectuée 3 à 7 jours après la coronarographie à la suite d’une réunion pluridisciplinaire. Une revascularisation était tout de même possible en cas de dégradation clinique dans le groupe « stratégie conservatrice ».
Résultats
Au total, 1 518 patients ont été inclus entre novembre 2016 et mars 2023 avec 753 patients dans le groupe « stratégie invasive » et 765 dans le groupe « stratégie conservatrice ».
L’âge moyen était de 82,4 ans avec 72 % des patients âgés de 80 ans ou plus (le plus âgé ayant 103 ans). Les groupes étaient comparables : 45 % de femmes, 80 % des patients étaient classés comme pré-fragiles ou fragiles, plus de 60 % des patients souffraient de troubles cognitifs et la majorité avaient un indice de comorbidité ≥ 5, indiquant de multiples affections concomitantes à long terme.
Le traitement médical était le même entre les deux groupes. Dans le groupe invasif, 90 % ont bénéficié d’une coronarographie et 50 % ont subi une revascularisation (pour lesquels 3 % de pontages aorto-coronariens ont été réalisés).
Les résultats ont montré qu’au terme d’un suivi médian de 4 ans, le critère de jugement principal est survenu chez 193 (25,6 %) patients du groupe « stratégie invasive » contre 201 (26,3 %) patients du groupe « stratégie conservatrice », soit une différence statistiquement non significative sur le critère de jugement principal avec un HR = 0,94 [IC95% 0,77-1,14], p = 0,53 (figure 1).
Figure 1. Incidence du critère de jugement principal dans le groupe « stratégie invasive » (rouge) et « stratégie conservatrice » (bleu).
La stratégie invasive était cependant associée à une réduction statistiquement significative des récidives d’IDM non fatals avec un HR = 0,75 [IC95% 0,57- 0,99], p = 0,53 (figure 2).
Figure 2. Incidence des nouveaux IDM non fatals dans le groupe « stratégie invasive » (rouge) et « stratégie conservatrice » (bleu).
Conclusion
L’essai SENIOR-RITA a échoué à démontrer les bénéfices d’une stratégie invasive sur un critère composite de mortalité cardiovasculaire et de récidive d’IDM chez les patients de ≥ 75 ans pris en charge pour un NSTEMI.
Cependant l’immense majorité des patients éligibles n’ont pas été inclus (4/5), le plus souvent par choix de l’investigateur, ce qui rend difficile une extrapolation des résultats à l’ensemble de la population âgée.
Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence du choix d’un critère de jugement « dur » tel que la mortalité CV plutôt que des critères de qualité de vie pour juger des bénéfices d’une stratégie invasive chez les patients les plus âgés.
SCOFF : le jeûne est-il encore nécessaire avant un cathétérisme cardiaque ?
Les recommandations actuelles préconisent un jeûne de 6 heures d’alimentation solide et 2 heures pour les liquides avant une intervention cardiaque sous sédation. Cette pratique est la règle en dépit du manque de preuves scientifiques, car elle permettrait de réduire le risque d’inhalation en cas de complications graves nécessitant une intubation. Cependant l’immense majorité des procédures coronaires sont faites sous anesthésie locale et par voie radiale et les complications nécessitant une réanimation demeurent exceptionnelles. Encouragée par les résultats d’autres études monocentriques telles que l’étude TONIC(3), l’étude SCOFF a pour objectif de déterminer la non-infériorité d’une stratégie d’alimentation libre par rapport au jeûne avant les interventions coronariennes percutanées(4).
Méthodes
Il s’agit d’un essai randomisé de non-infériorité, multicentrique mené en Australie, en ouvert, avec une évaluation en aveugle du critère de jugement principal.
Les patients inclus devaient bénéficier d’une coronarographie, d’une angioplastie percutanée ou de la pose d’un dispositif électronique implantable cardiaque.
Les patients étaient alors randomisés en 1:1 dans un groupe « alimentation libre » où la prise d’un repas était encouragée mais non obligatoire et un groupe « jeûne classique » respectant un jeûne de 6 heures pour les solides et 2 heures pour les liquides clairs.
Le critère de jugement principal était un critère de sécurité composite associant pneumopathie d’inhalation, hypotension et hyper/hypoglycémie.
Les critères d’évaluation secondaires comprenaient le score de satisfaction des patients, la nécessité d’avoir recours à une ventilation (non invasive et invasive), les réadmissions en unité de soins intensifs, les réadmissions à 30 jours, la mortalité à 30 jours et les pneumopathies à 30 jours.
Résultats
Au total, entre 2022 et 2023, 716 patients ont été randomisés avec 358 patients dans chaque groupe. Les patients du groupe « jeûne classique » avaient un jeûne aux solides (13,2 contre 3,0 heures) et aux liquides (7,0 contre 2,4 heures) significativement plus long (figure 3).
Figure 3. Durée de jeûne chez les patients du groupe « jeûne classique » (rouge) et « alimentation libre » (bleu).
Le critère d’évaluation principal composite est survenu chez 19,1 % des patients du groupe à jeun et 12,0 % des patients du groupe sans jeûne, soit une différence significative en faveur d’une stratégie d’alimentation libre avec un rapport de vraisemblance à - 5,2 % (IC95% -9,6 à -0,9] (figure 4).
Figure 4. Résultat du critère de jugement composite principal dans le groupe « jeûne classique » (rouge) et « alimentation libre » (bleu).
Ce résultat confirme la non-infériorité (probabilité a posteriori > 99,5 %) et la supériorité (probabilité a posteriori à 99,1 %) de l’absence de jeûne pour le critère de jugement principal.
De plus, le groupe « alimentation libre » a enregistré des scores de satisfaction plus élevés avec une différence moyenne postérieure de 4,02 points (IC95% 3,36 à 4,67, facteur de Bayes > 100).
Conclusion
L’étude SCOFF a démontré la sécurité d’une alimentation libre avant une intervention coronaire percutanée par rapport à un jeûne classique ainsi que l’amélioration du confort des patients. Cette étude plaide pour un changement des pratiques avant une intervention pouvant simplifier l’organisation dans les services tout en bénéficiant aux patients.
EN PRATIQUE
- SENIOR RITA : pas de bénéfice d’une stratégie invasive par rapport à un traitement médical seul sur la mortalité CV ou les récidives d’IDM chez les patients de plus de 75 ans présentant un NSTEMI.
- SCOFF : Pas de sur-risque à l’absence de jeûne chez les patients devant bénéficier d’une coronarographie, d’une angioplastie percutanée ou de la pose d’un dispositif électronique implantable cardiaque.
Liens d’intérêts : aucun.
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