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Risque

Publié le 01 sep 2017Lecture 9 min

Arrêter de fumer rend heureux

Olivier STCHEPINSKY, Centre hospitalier Mémorial France/États-Unis, Saint-Lô ; Centre William Harvey, Saint-Martin d’Aubigny

Nombreux sont les arguments en faveur du lien entre dépression et tabagisme. La prévalence de la dépression sur la vie entière est 2 fois supérieure chez les fumeurs (6,1 %) comparativement à ceux qui n’ont jamais fumé (2,9 %) (p < 0,001). Ce lien s’établit tôt au cours de l’adolescence et persiste à l’âge adulte.

Le risque relatif de dépendance à la nicotine est significativement plus élevé pour la dépression associée à une pathologie anxieuse (RR : 4,38). Il existe une relation entre la sévérité des symptômes dépressifs et le tabagisme : les fumeurs avec antécédent dépressif qui tentent un sevrage tabagique éprouvent plus de difficultés et échouent plus souvent (p < 0,05). A.H. Glassman a montré une moindre fréquence d’arrêt du tabagisme chez les sujets avec antécédent de dépression majeure (14 % d’ex-fumeur, si dépressif, 28 % d’ex-fumeur, si antécédent dépressif et 31 % d’ex-fumeur chez les sujets sans antécédent psychiatrique). De nombreuses études ont montré ainsi que la dépression est prédictive du tabagisme et que le tabagisme est prédictif de la dépression. Les liens entre tabagisme et dépression sont donc bien connus, mais le sens et le lien causal de cette association était jusqu’à présent fort discuté. La métaanalyse d’études observationnelles de Taylor publiée en 2014 et 2015 portant sur 26 études, évaluant la santé mentale des fumeurs à l’arrêt du tabac, et l’enquête longitudinale américaine étudiant la relation entre tabagisme et tentative de suicide publiée par I. Berlin en 2015 apportent des arguments forts pour considérer que le tabagisme serait à l’origine des troubles psychologiques avec un bénéfice considérable de l’arrêt du tabac sur la santé mentale des fumeurs. Après l’accident cardiaque, nos patients ex-fumeurs ne doivent plus craindre les difficultés à gérer leur stress et leur anxiété sans la cigarette mais au contraire doivent être rassurés sur l’amélioration de leur état psychologique garant d’un meilleur contrôle des événements de la vie.   Le tabagisme : automédication de la dépression ?   Depuis les années 1990, de nombreux auteurs ont soutenu un modèle complexe d’automédication qui débuterait dès l’adolescence avec une initiation au tabagisme en raison de symptômes dépressifs ou d’humeur négative. Les symptômes dépressifs seraient un facteur de risque pour la dépendance au tabac, tant au moment de l’initiation tabagique que plus tard lorsque la consommation est plus régulière. L’effet antidépresseur de la nicotine a été évoqué avec l’efficacité du patch transdermique nicotinique, mais sur des petits effectifs de patients et sur des durées très courtes (7 jours) améliorant l’humeur des patients dépressifs avec une amélioration de plus de 40 % du score du test de Hamilton dépression (1998). V. Knott en 2012 a mis en évidence par une étude EEG, des possibles effets antidépresseurs de la nicotine, annulant les effets perturbateurs de l’humeur déclenchés par une déplétion volontaire en tryptophane : plusieurs études expérimentales ont suggéré cet effet psychotrope et antidépresseur de la nicotine avec amélioration possible de l’état dépressif par la cigarette. Et pourtant, de très nombreux essais thérapeutiques dans les années 1990-2000 ont étudié les antidépresseurs (IRS) associés aux substituts nicotiniques pour améliorer le sevrage tabagique dans une population générale de fumeurs, mais sans jamais apporter d’effets significatifs versus les substituts nicotiniques seuls, à l’exception de quelques études positives uniquement pour la population des patients fumeurs et dépressifs.   Croyance des fumeurs par rapport aux conséquences de l’arrêt du tabac sur leur humeur   Dans une récente étude de H.J. Aubin, les obstacles à l’arrêt sont essentiellement liés aux peurs de l’arrêt sur des conséquences psychiques : ainsi, l’étude retrouve 70 % de peur du stress, 51 % de peur d’être irritable, 42 % la peur d’état anxieux et dans seulement 14% la peur de la dépression. Les fumeurs pensent souvent que fumer améliore leur humeur en réduisant leur stress et leur dépression car ils se fondent sur leur observation que fumer permet d’éviter le manque secondaire à l’arrêt momentané de la prise de nicotine. La croyance très répandue en cette hypothèse du tabac bénéfique sur l’humeur, pourtant sans aucune donnée de la littérature, favorise le développement de la dépendance et la persistance du phénomène de dépendance et constitue un des freins principaux aux tentatives de sevrage.   Le tabagisme cause de la dépression ? Les premières pistes   Déjà A.J. Boden en 2010 sur une étude prospective néozélandaise ayant suivi des participants sur plus de 30 ans avait mis en évidence par une approche statistique reposant sur des modèles structuraux que le tabac pouvait être la cause de la dépression et non l’inverse. H.H. Yong, en 2010, retrouvait également une augmentation de la capacité d’apprécier les plaisirs simples, de la capacité à se calmer et à contrôler la colère chez les fumeurs à l’arrêt du tabac. P. Hajek en 2010 avait montré une diminution importante de l’impression de stress chez les patients abstinents du tabac à un an d’un post-infarctus ou après pontage aorto-coronaire. Certains, tels que J.A. Stapleton en 2011 ont trouvé des bases communes, génétiques dans le lien entre dépendance au tabac et dépression expliquant que les troubles de l’humeur sont associés à une plus grande difficulté d’arrêter de fumer. Et R.D. Goodwin, en 2011, sur des travaux analysant les troubles anxieux ou les troubles de l’humeur de type dépression dans la population souffrant de BPCO, a suspecté que la consommation de tabac pouvait être une cause prédominante du lien BPCO et affection anxio-dépressive.   2014-2015 : un vrai changement de paradigme ? L’arrêt du tabac améliore les troubles anxio-dépressifs   La métaanalyse de A.E. Taylor Celle-ci, réalisée en 2014 sur des études observationnelles, a retenu 26 études qui ont évalué la santé mentale par des questionnaires conçus pour mesurer l’anxiété, la dépression, la qualité psychologique de vie, l’humeur positive et le stress. Le suivi des scores de santé mentale a été mesuré entre la 7e semaine et 9 ans (médiane de 6 mois) après la mesure initiale. L’arrêt du tabac a été associé à une réduction de 25 % de la dépression, de 37 % de l’anxiété, de 31 % de l’anxiété associée à la dépression et de 27 % du stress avec amélioration de l’humeur et de la qualité de vie. Cette métaanalyse a utilisé la différence moyenne standardisée (DMS) qui permet de comparer dans une métaanalyse des études évaluant les mêmes résultats sur des échelles psychométriques différentes et ainsi permettre la normalisation d’une échelle pour exprimer l’ampleur des effets constatés. La DMS est la différence absolue moyenne du score entre le groupe intervention et le groupe témoin divisé par la déviation standard de toutes les mesures selon le critère utilisé : l’ampleur de l’effet est faible pour une valeur de 0,2 à 0,3, modérée de 0,3 à 0,8 et importante si elle est supérieure à 0,8. Dans cette métaanalyse de Taylor, l’impact de l’arrêt du tabac sur la santé mentale se situe entre 0,22 et 0,40 pour l’anxiété, la dépression, le stress, la qualité de vie psychologique et les affects positifs, donc comparables à l’effet d’un antidépresseur sur la santé mentale. En effet, deux revues de métaanalyses publiées l’une en 2008 par I. Kirsch et l’autre en 2012 par S. Leucht dans le British Journal of Psychiatry ont observé que les différences moyennes standardisées des traitements antidépresseurs se situaient autour de 0,32, soit une amélioration de 32 % des symptômes anxio-dépressifs équivalents à l’effet de l’arrêt du tabac. En 2016, R. Rodriguez-Cano a confirmé la baisse des symptômes dépressifs (BDI II) dès le premier mois de sevrage qui s’accentue jusqu’au 3e mois avec ensuite une stabilité de l’humeur à 12 mois. En cas de rechute tabagique, l’étude montrait une remontée rapide des symptômes dépressifs au niveau initial avant le sevrage.   • Tabagisme et tentative de suicide Yvan Berlin vient conforter ce lien causal entre tabagisme et dépression. Cet article publié en 2015 porte sur le risque de tentative de suicide lié au tabagisme à partir d’une enquête longitudinale américaine comportant 2 vagues de recueil de données à 3,6 ans d’intervalle. Les résultats montrent que par rapport à ceux qui n’ont jamais fumé, les fumeurs persistants entre les deux vagues de l’enquête ont 89 % de risque de plus de connaître une tentative de suicide (OR : 1,89), le risque étant encore supérieur pour les nouveaux fumeurs entre les deux vagues (OR : 3,16). Cependant, le risque le plus élevé est celui des exfumeurs de la première vague redevenus fumeurs lors de la seconde, donc en rechute (OR à 4,66). Ce lien entre dépendance à la nicotine et tentative de suicide suit une corrélation linéaire avec la quantité de cigarettes consommées : le risque de suicide augmente de 24 % pour chaque augmentation de 10 cigarettes par jour. K.H. Thomas en 2013 (BMJ) sur 120 000 fumeurs, puis D. Kotz en 2015 sur 164 000 fumeurs et A. Antonelli en 2016 comparant patch nicotinique, varénicline et bupropion ont montré, en particulier dans l’étude d’A. Antonelli, une diminution des symptômes dépressifs et des tentatives de suicide avec une diminution de 35 % des symptômes dépressifs et de 40 % des tentatives de suicide pour la varénicline et de 20 % des symptômes dépressifs et 10 % des tentatives de suicide pour le bupropion versus le patch nicotinique qui était le traitement de référence confirmant cette amélioration considérable de l’humeur à l’arrêt du tabac. Un article de R.A. Grucza (2014) montre que la réduction du tabagisme, induite par une politique forte de contrôle du tabac, a un effet de réduction sur le risque de suicide. De nombreuses études (Schener 2011, Yaworski 2011, Li 2012 et Covey 2012) avaient déjà montré des résultats prouvant que les exfumeurs à long terme (supérieur à 4 ans) avaient un risque de comportement suicidaire inférieur aux fumeurs persistants.   • Plusieurs hypothèses sont évoquées Ce lien de causalité entre tabagisme et risque de tentative de suicide est étayé par les points suivants : L’une concerne le fait que le tabagisme est associé à une réduction de l’activité des monoamines oxydase A et B et qu’une faible activité de ces enzymes a été associée à une perturbation de la régulation des émotions et du contrôle cognitif. L’autre concerne le fait que le tabagisme est responsable d’hypoxie à l’origine d’une baisse de la sérotonine (observée également dans la BPCO, dans l’asthme ou dans les populations vivant en altitude) et de phénomènes inflammatoires, mais des études plus précises sont nécessaires pour confirmer ces hypothèses. Enfin, le tabagisme entraîne une dérégulation du système de stress par le biais de la tolérance à la nicotine et surtout du syndrome de sevrage responsable d’une hyperactivité des systèmes de stress et ainsi possiblement des symptômes dépressifs et anxieux.   En pratique   Toutes ces études confirment que le tabac n’est pas une automédication anxiolytique ou antidépressive comme cela était évoqué depuis près de 20 ans, mais au contraire que le tabagisme augmenterait le risque de dépression et d’anxiété. Nous sommes donc face à un véritable changement de paradigme. L’arrêt du tabac dans les métaanalyses récentes est associé à une réduction de 25 % de la dépression, de 37 % de l’anxiété, de 27 % du stress et à une amélioration de l’humeur et de la qualité de vie équivalente à l’effet thérapeutique des antidépresseurs (32 %) avec réduction de 35 à 40 % des tentatives de suicide. Ainsi, les fumeurs ne doivent plus appréhender le sevrage tabagique avec la crainte d’un rebond d’anxiété, de tendance dépressive, mais espérer au contraire une amélioration de leur état psychologique et de leur humeur : « L’arrêt du tabac améliore la santé mentale et la capacité à gérer le stress quotidien ». Ce message d’espoir doit être porté haut et fort à tous nos patients cardiaques qui craignent tant une recrudescence de stress et d’anxiété.  

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