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HTA

Publié le 30 mai 2018Lecture 7 min

HTA : les nouvelles recommandations américaines - Est-ce raisonnable ?

Thierry DENOLLE, Centre d’excellence d’hypertension artérielle, Rennes-Dinard

En novembre dernier, l’ACC/AHA publiait les nouvelles recommandations américaines sur la prise en charge de l’hypertension artérielle chez l’adulte simultanément dans le JACC et dans Hypertension.

Les seuils d’intervention Depuis le Joint National Committee (JNC) on Detection, Evaluation, and Treatment of High Blood Pressure publié pour la première fois en 1977 qui recommandait un traitement médicamenteux seulement lorsque la pression artérielle diastolique était supérieure à 105 mmHg sans recommandation sur la systolique (car « cela risquerait de complexifier la prise en charge »), comme pour la dyslipidémie, les seuils d’intervention ont baissé de manière importante. En 2003, le JNC 7 recommandait en effet une prise en charge médicamenteuse dès que la pression artérielle était supérieure à 140/90 mmHg et même à 130/80 mmHg chez le patient diabétique ou avec une insuffisance rénale chronique. Le traitement en première intention recommandé était alors le diurétique thiazidique, même si l’efficacité des autres classes était reconnue et que la plupart des patients nécessitait plus d’une classe d’antihypertenseurs. En 2014, le JNC 8 recommandait de traiter les patients âgés de plus de 60 ans si leur pression artérielle dépassait 150/90 mmHg. Les recommandations européennes de l’ESH/ESC de 2013 proposaient un seuil à atteindre de 140/90 mmHg quels que soient le risque et les comorbidités. Les recommandations françaises de la SFHTA en janvier 2013 proposaient quant à elles d’atteindre une PAS entre 130 et 139 mmHg et une PAD inférieure à 90 mmHg, y compris chez les diabétiques et en présence de maladies rénales, et après 80 ans, une PAS inférieure à 150 mmHg. Cette fois-ci, ces recommandations américaines vont encore plus loin, définissant l’hypertension artérielle de grade 1 dès 130/80 mmHg et préconisent un traitement chez les patients à haut risque (maladie cardiovasculaire clinique, diabétiques ou risque de développer une maladie athéromateuse : infarctus du myocarde, AVC ou mortalité coronarienne à 10 ans supérieure à 10 %) dès ce niveau tensionnel. Pour les patients à plus faible risque, le niveau d’intervention médicamenteuse reste à 140/90 mmHg avec des conseils hygiéno-diététiques pour une PA > 130/80 mmHg. La prise en charge Lorsqu’un traitement est nécessaire, il convient d’utiliser l’une des 4 classes thérapeutiques : thiazidiques, inhibiteurs calciques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (donc pas les bêtabloquants) en commençant d’emblée par une bithérapie si l’HTA est de grade 2 (> 140/90 mmHg avec plus de 20/10 mmHg au-dessus du seuil à atteindre). Le seuil à atteindre pour tous les patients quels que soient leur risque et leur âge est de 130/80 mmHg. Autre nouveauté pour les Américains (et non pour les Européens), la mise en avant des techniques de mesure de pression artérielle en dehors du cabinet de consultation (MAPA et automesure) à la fois pour le diagnostic mais aussi l’adaptation du traitement en association éventuelle avec la télémédecine ou des interventions cliniques ! L’application de ces nouvelles recommandations devrait entraîner une mise sous traitement antihypertenseur de 1,9 % de plus d’Américains, soit 4,2 millions de plus qu’avec le JNC 7 ! Quelles populations ? Alors que toutes les enquêtes épidémiologiques, en particulier en France, ne retrouvent guère plus de 50 % des patients hypertendus traités sous le seuil de 140/90 mmHg, est-il justifié de diminuer encore ce seuil à 130/80 mmHg pour tous les patients ? Cela ne va-t-il pas entraîner des surcoûts liés aux traitements supplémentaires, à la diffusion des appareils d’automesure et une augmentation des effets secondaires liés à cette baisse accrue de pression artérielle pour quelle preuve d’efficacité supérieure ? En se basant sur le risque à 10 ans, cela va entraîner un surtraitement des patients âgés et un sous traitement des patients plus jeunes, cette discrimination est-elle justifiée ? Les études épidémiologiques ont bien démontré une relation linéaire entre le risque cardiovasculaire et le niveau de pression artérielle systolique et diastolique avec pour chaque augmentation de 10 mmHg de systolique et 5 mmHg de diastolique une augmentation de la mortalité par AVC de 40 % et de maladie coronarienne de 30 % dès des valeurs de pression de 115/75 mmHg. Mais ces recommandations américaines s’appuient surtout sur les résultats de l’étude SPRINT et sur certaines métaanalyses publiées depuis pour justifier ce renforcement drastique de prise en charge. Comme dans l’étude SPRINT, les patients avec une maladie cardiovasculaire ou avec un haut risque (> 15 % à 10 ans suivant Framingham dans SPRINT) sont ceux qui sont particulièrement visés par ces renforcements thérapeutiques, cette étude ayant démontré un bénéfice d’atteindre un seuil inférieur à 120 mmHg par rapport à 140 mmHg avec une diminution de mortalité toutes causes de 27 %, cardiovasculaire de 43 % et d’insuffisance cardiaque de 38 % malgré l’absence d’effet significatif sur la survenue d’infarctus ou d’AVC. Ce bénéfice d’atteindre une pression artérielle inférieure à 130 mmHg par rapport à 140 mmHg comme proposé dans ces recommandations américaines a été retrouvé effectivement aussi dans une métaanalyse publiée en 2016 qui incluait l’étude SPRINT et comprenant des patients à haut risque avec des antécédents coronariens, de diabète, d’AVC et d’insuffisance rénale chronique. Analyse critique Néanmoins, ces nouvelles recommandations américaines peuvent aussi être critiquées car beaucoup d’extrapolations de résultats positifs ont été faites sur des populations non analysées dans ces études et avec une méthodologie différente de notre pratique. Ainsi, les résultats de SPRINT en faveur d’un seuil à atteindre inférieur à 120 mmHg par rapport à 140 mmHg ont été obtenus avec une méthode de mesure de la pression artérielle clinique rarement utilisée : la majorité des patients bénéficiait de mesures automatiques en dehors de la présence du médecin permettant ainsi de limiter l’effet blouse blanche mais ce qui correspond en fait à une PAS clinique habituelle de 130 à 140 mmHg pour ceux inclus dans le bras de PAS < 120 mmHg. D’autre part, l’objectif tensionnel reposait sur la systolique dans cette étude si bien que la force des recommandations sur le seuil diastolique est faible et reconnue d’ailleurs simplement comme avis d’experts dans les recommandations… Quant aux résultats favorables en faveur d’une PAS < 130 mmHg obtenus dans les métaanalyses, ils sont d’autant plus faibles que le seuil à atteindre est bas avec une augmentation des arrêts de traitements par effets secondaires. Le bénéfice d’atteindre une PA en dessous de 130/80 mmHg chez les patients hypertendus à faible risque cardiovasculaire repose d’après le texte même des recommandations sur des données scientifiques faibles pour la systolique et de nouveau sur de simples avis d’expert pour la diastolique car ces patients étaient rarement inclus dans ces études cliniques. Malgré les résultats négatifs de l’étude ACCORD chez les diabétiques traités de manière agressive et le peu d’arguments pour traiter les patients âgés en particulier fragiles, les recommandations américaines ont extrapolé les résultats favorables obtenus chez les patients à haut risque à l’ensemble des patients quels que soient leurs comorbidités et leur âge. Enfin, une courbe en J a été retrouvée chez ces patients à haut risque dans l’étude PROVE IT puis dans une étude de cohorte chez les patients hypertendus coronariens stables avec un sur-risque pour une PA obtenue inférieure à 120/70 mmHg. Cette courbe en J apparaît clairement pour la PA sur la mortalité toutes causes et cardiovasculaires, sur l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, mais n’existe pas sur l’AVC chez les patients à haut risque dans les études ONTARGET et de TRANSCEND. En pratique Il apparaît que ces recommandations américaines qui poussent à une augmentation importante de l’utilisation des traitements médicamenteux pour atteindre une PA < 130/80 mmHg reposent souvent sur des avis d’experts, des preuves de faible niveau scientifique, sur une interprétation discutable des résultats de l’étude SPRINT et leur extrapolation à des populations non concernées par cette étude. En attendant la publication l’été prochain des recommandations européennes et en décembre prochain lors des Journées de l’HTA, des recommandations françaises sur les seuils à atteindre chez l’hypertendu, il paraît raisonnable d’en rester aux recommandations françaises de 2013 qui proposaient d’atteindre une PAS entre 130 et 139 mmHg et une diastolique inférieure à 90 mmHg confirmées par une mesure en dehors du cabinet et de prendre en compte une possible courbe en J particulièrement chez les patients hypertendus coronariens chroniques ou à haut risque en évitant de baisser leur pression artérielle en dessous de 120/70 mmHg. Mais, à ce jour, la priorité pour nous tous devrait déjà d’améliorer le pourcentage de patients hypertendus équilibrés (< 140/90 mmHg) en France qui stagne depuis 2007, voire semble régresser en dessous de 50 %. La CNAM et l’enquête française FLASH relève d’ailleurs une diminution du nombre de traitements prescrits… Une mobilisation de tous est indispensable ! 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