Études-Consensus-Recommandations
Publié le 15 nov 2018Lecture 5 min
Traitement percutané de l’insuffisance mitrale ischémique : interpréter MITRA.FR et COAPT
Jean-François OBADIA, CHU de Lyon
L’IM secondaire est clairement associée à un mauvais pronostic avec une mortalité qui croît avec la sévérité de la régurgitation. Nous n’avions jusqu’à récemment aucune information pour définir si cette IM secondaire n’était qu’un marqueur de sévérité ou si elle participait activement au mauvais pronostic des insuffisances cardiaques sévères. Aujourd’hui, 7 années après Everest II, la première étude prospective randomisée (EPR) évaluant l’efficacité du MitraClip® dans le traitement de l’insuffisance mitrale primaire et secondaire, deux études, MITRA.FR et COAPT viennent enfin de sortir évaluant cette fois l’efficacité du traitement percutané des IM secondaires par le système MitraClip®.
MITRA.FR
(figure 1)
Cette étude a été simultanément présentée à l’ESC à Munich et publiée dans le NEJM le 27 août 2018. Elle randomisait 304 patients ayant eu au moins une hospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC) dans les 12 mois précédents avec une IM secondaire définie par une surface d’orifice régurgitant > 20 mm2 ou fuite de > 30 ml/battement, avec une fraction d’éjection entre 15 et 40 % confirmée par un laboratoire d’échographie centralisé. Tous les patients recevaient un traitement médical conforme aux recommandations incluant resynchronisation et défibrillateur. Le groupe traitement (152 patients) recevait en plus un MitraClip®. L’âge moyen était 71 ans avec 70 % d’hommes. Les stades NYHA 3 ou 4 représentaient 63 %, tous les patients avaient une IM sévère selon les critères européens.
Le traitement médical de départ était excellent dans les deux groupes, répondant aux meilleurs critères des recommandations, ce qui est souvent les cas dans les études randomisées contrairement aux situations de la vie quotidienne.
La sécurité d’implantation du clip déjà rapportée dans plusieurs registres a été confirmée. Aucune conversion vers une chirurgie urgente, aucun décès opératoire, 3,5 % de complications vasculaires périphériques, 1,4 % de tamponnade, 1,4 % d’AVC.
L’efficacité du clip a également été confirmée avec 92 % d’IM grade 2 ou moins à la sortie de l’hôpital et encore à 1 an 83 % d’IM grade 2 ou moins. En revanche, cette correction efficace de la fuite n’a eu aucun effet bénéfique sur le critère principal, décès de toutes causes ou réhospitalisations pour IC.
Les résultats sont également cohérents sur toutes les analyses secondaires, que ce soit en intention de traiter ou en per-protocole. En particulier, à 1 an les mortalités des deux groupes étaient comparables (intervention 24,3 % ; contrôle, 22,4 % ; HR = 1,11 ; IC95% : 0,69-1,77), de même que les réhospitalisations pour IC (intervention, 48,7 % ; contrôle, 47,4 % ; HR = 1,13 ; IC95% : 0,81-1,56).
Les résultats de MITRA.FR suggèrent que la cardiomyopathie sous-jacente dans les groupes sélectionnés était le principal élément péjoratif de cette population à risque et que la fuite mitrale n’était qu’un marqueur contingent.
Figure 1. Résultats de MITRA.FR. Évolution du critère principal (décès toutes causes ou première réhospitalisation pour insuffisance cardiaque à 1 an). Taux de suivi = 99 %. Différence non significative OR = 1,16 (0,73-1,84) ; p = 0,53.
COAPT
(figure 2)
Cette étude a été simultanément présentée au TCT à San Diego et publiée dans le NEJM le 24 septembre 2018.
Cette étude randomisait 614 patients ayant eu soit une hospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC) dans les 12 mois précédents, soit un BNP > 300 pg/ml ou proBNP > 1 500 pg/ml avec une IM secondaire définie par une méthode intégrative associant plusieurs éléments dont surface d’orifice régurgitant > 30 mm2, avec une fraction d’éjection entre 20 et 50 % et un diamètre télédiastolique du VG < 70 mm confirmée par un laboratoire d’échographie centralisé. Tous les dossiers devaient ensuite être validés par un comité centralisé. Tous les patients recevaient un traitement médical conforme aux recommandations, incluant resynchronisation et défibrillateur. Le groupe traitement (304 patients) recevait en plus un MitraClip®. L’âge moyen était 72 ans avec 67 % d’hommes. Les stades NYHA 3 ou 4 représentaient 58 %, tous les patients avaient une IM sévères selon les critères nord-américains.
Le traitement médical de départ était également excellent dans les deux groupes. La sécurité d’implantation du clip a là aussi été confirmée. Aucune conversion vers une chirurgie urgente, aucun décès opératoire, et peu de complications précoces.
L’efficacité du clip a également Groupe contrôle été confirmée avec 92,7 % d’IM, grade 2 ou moins à 30 jours, 94,8 % à 1 an et 99,1 % à 2 ans ce qui est même tout à fait exceptionnel et inédit car il n’y avait pas de récurrence de l’IM secondairement.
Contrairement à MITRA.FR, la correction efficace de la fuite a eu un effet bénéfique majeur sur l’ensemble des critères de l’étude. Pour le critère principal, total de réhospitalisations à 24 mois (p < 0,001, HR [IC95%] = 0,53 [0,40-0,70]), pour la mortalité avec 45,7 % dans le groupe intervention versus 67,9 % dans le groupe contrôle (HR [IC95%] = 0,57 [0,45-0,71] ; p < 0,001) et également tous les critères secondaires prédéfinis.
Figure 2. Résultats de COAPT. Évolution du critère principal (nombre cumulé de réhospitalisations pour insuffisance cardiaque à 2 ans). Taux de suivi = 99 %. Différence significative HR 0,53 ; p < 0,001.
Les résultats de COAPT sont donc apparemment diamétralement opposés à ceux de MITRA.FR, la correction d’une IM secondaire modifie significativement le pronostic des IM secondaires de l’insuffisance cardiaque dans le groupe de patients correspondant à leurs critères d’éligibilité.
Analyse comparée des deux études
(tableau)
Les deux études illustrent bien la sévérité des IM secondaires accompagnant les patients insuffisants cardiaques avec environ un quart de décès à 1 an et la moitié à 2 ans. Elles confirment la sécurité de la technique percutanée du traitement de l’IM par MitraClip®. L’efficacité est également confirmée dans MITRA.FR de façon classique et comparable aux registres Mitra-Clip® et même avec la chirurgie de réparation des IM secondaires. En revanche, la qualité de la correction de l’IM secondaire dans COAPT est tout à fait inédite, sans aucune récidive à 2 ans, ce qui est presque déconcertant compte tenu de l’ensemble d’une littérature abondante déjà publiée sur le sujet.
Les résultats cliniques apparemment contradictoires des deux études peuvent être réconciliés après une analyse comparée des deux populations. En effet, les critères d’inclusion sélectionnaient des populations très différentes. MITRA.FR correspond plus vraisemblablement à la vraie vie avec des patients plus graves ayant des VG plus dilatés (135 ml/m2 pour MITRA.FR vs 101 ml/m2 pour COAPT) et des régurgitations mitrales moins sévères (31 mm2 pour MITRA.FR vs 41 mm2 pour COAPT). De plus, la décision finale avant randomisation était laissée à l’appréciation des centres locaux dans MITRA.FR alors que pour COAPT un comité centralisé vérifiait de façon possiblement plus sélective les indications. En effet, le plus gros centre de COAPT (Cedar Sinai) a recruté 46 patients sur 5 ans soit moins de 1 patient par mois. C’est dire que pour espérer obtenir les résultats de COAPT il faut une sélection extrêmement rigoureuse.
In fine, ces deux études encouragent à traiter :
– les fuites sévères répondant à la définition nord-américaine et non les fuites plus modérées des recommandations européennes ;
– précocement, avant que les VG ne soient trop dilatés et éviter les situations dépassées.
En pratique
Ces deux études originales ont l’immense mérite de faire rentrer le traitement percutané de l’IM secondaire dans l’ère de l’« evidence based medicine ».
Leur apparente contradiction initiale peut être lue de façon complémentaire : MITRA.FR indique quand ne pas traiter les IM secondaires alors que COAPT décrit les bonnes indications.
Cette conclusion sans doute encore fragile devra être confirmée par une métaanalyse sur données et des études complémentaires pour mieux comprendre cette maladie complexe et protéiforme qu’est l’IM secondaire.
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