Publié le 01 mar 2019Lecture 7 min
Quand faire une coronarographie après un arrêt cardiaque ?
Christian SPAULDING, département de cardiologie, HEGP, Université Paris Descartes, Centre d’Expertise Mort Subite, Inserm U909, Paris
Pendant de nombreuses années, les survivants d’un arrêt cardiaque extrahospitalier sans cause extracardiaque évidente à l’arrêt étaient conduits immédiatement en salle de cathétérisme pour une coronarographie immédiate. Les dernières recommandations, en se basant sur des publications de grandes séries prônent toujours un rôle majeur pour la cardiologie interventionnelle dans la prise en charge de l’arrêt cardiaque, mais modulent l’heure de la coronarographie en fonction du contexte et de l’ECG obtenu après retour en rythme sinusal.
Le patient présentant un sus-décalage du segment ST est amené directement en salle de cathétérisme. Les patients sans sus-décalage du segment ST ou avec un ECG normal bénéficient d’une recherche rapide d’une cause extracardiaque de l’arrêt, avec en particulier réalisation d’un scanner cérébral et thoracique. Si cette recherche est négative la coronarographie est réalisée dans un deuxième temps. Des études randomisées prospectives sont actuellement en cours pour définir le meilleur moment pour réaliser la coronarographie en absence de sus-décalage du segment ST.
Coronarographie et arrêt cardiaque
En 1997, les équipes de cardiologie et réanimation médicale de l’hôpital Cochin et le Samu de Paris ont publié un article qui a permis une meilleure compréhension des causes des arrêts cardiaques extrahospitaliers (ACEH). Une coronarographie a été réalisée chez tous les survivants d’un ACEH, dès l’admission du patient pour établir la fréquence des causes coronaires d’ACEH. Des lésions coronaires (occlusion aiguë ou lésion instable) ont été retrouvés chez 60 des 84 patients, dont 40 occlusions coronaires aiguës (48 %).
De nombreux registres ont ensuite confirmé les résultats de cette étude pionnière : l’occlusion coronaire aiguë est la première cause d’ACEH.
Par ailleurs, l’angioplastie coronaire semble améliorer la survie des victimes d’ACEH. Ces études ont généré un enthousiasme chez les médecins du Samu qui prennent en charge ces patients. Un accès immédiat à la salle de cathétérisme a été demandé systématiquement chez les survivants d’un arrêt cardiaque dans l’espoir de trouver une occlusion coronaire aiguë qui pourrait améliorer le pronostic effroyable de ces patients. Cependant, des registres réalisés sur un nombre plus important de patients ont conduit à modifier ces pratiques. L’existence d’un sus-décalage du segment ST sur l’ECG réalisé après un retour en rythme sinusal est associée à une lésion coronaire (occlusion ou lésion instable) dans plus de 75 % des cas. À l’inverse, si les survivants présentent un sous-décalage du segment ST, ou des anomalies non spécifiques ou un ECG normal, la coronarographie ne retrouvera des lésions coronaires supposées responsables de l’arrêt que dans environ 20 % des cas.
Enfin, le pronostic des survivants d’un arrêt cardiaque est fortement lié à la prise en charge de l’arrêt (délai entre l’arrêt et le début d’une réanimation [no-flow], entre l’arrêt et la reprise d’une activité hémodynamique satisfaisante [low-flow] et des facteurs cliniques (âge, pathologies préexistantes).
En 2014, un groupe de travail du groupe Cardiologie interventionnelle de la Société européenne de cardiologie (EAPCI) a publié un consensus sur la prise en charge des survivants d’un arrêt cardiaque par les cardiologues interventionnels. La figure 1 résume leurs recommandations : en cas de sus-décalage du segment ST, le patient et amené directement en salle de cathétérisme pour une coronarographie immédiate. Dans les autres cas, le patient est admis en réanimation pour une recherche rapide (moins de 2 heures) d’une cause non cardiaque à l’arrêt, avec notamment la réalisation d’un scanner cérébral et thoracique pour rechercher un saignement cérébro-méningé, une embolie pulmonaire ou une dissection aortique). Si cette recherche est négative, le patient est amené en salle de cathétérisme pour une coronarographie. Enfin, la décision de réaliser une coronarographie peut être modulé par l’existence de facteurs pronostiques péjoratifs pour la survie sans séquelles neurologiques : sujet âgé, existence de comorbidités importantes, délais de prise en charge longs (notamment noflow supérieur à 10 minutes).
Figure 1. Arbre décisionnel pour la réalisation d’une coronarographie chez les survivants d’un arrêt cardiaque. La décision d’amener directement le patient en salle de cathétérisme est basé sur l’existence d’un sus-décalage du segment ST sur l’ECG réalisé après le retour en rythme sinusal. Cette décision peut être modulée par des facteurs qui influencent la survie sans séquelle neurologique.
Adapté de Noc M et al. Invasive coronary treatment strategies for out-of-hospital cardiac arrest: a consensus statement from the European Association for Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI)/Stent for Life (SFL) groups. EuroIntervention 2014 ; 10 : 31-7.
Angioplastie chez les survivants d’un arrêt cardiaque extrahospitalier
Le taux de thromboses de stent est plus élevé en post-procédures chez les survivants d’un ACEH comparé à des patients avec un syndrome coronarien aigu (SCA) sans arrêt cardiaque préalable (figure 2). L’équipe de Cochin a comparé les résultats des angioplasties réalisées chez des survivants d’un ACEH à celles faites pour SCA ST + : le taux de thromboses de stent atteint 10,9 % dans l’ACEH comparé à 2 % chez les patients atteints de SCA ST+.
Le taux important de thrombose de stent post-procédure dans l’ACEH a conduit le consensus du groupe EAPCI à recommander une angioplastie en urgence uniquement si le vaisseau coupable a été clairement identifié (occlusion récente, plaque rompue avec image de thrombus). Dans tous les autres cas, l’angioplastie est différée ; le patient peut être repris pour angioplastie en cas d’aggravation du tableau hémodynamique ou de modifications de l’ECG avec apparition d’un sus-décalage.
Figure 2. A. Lésion critique de la coronaire droite considérée comme responsable d’un arrêt cardiaque extrahospitalier. B. Résultat après pose de 3 stents actifs. C. Thrombose de stent 4 heures après la procédure. D. Résultat après angioplastie au ballon et administration d’anti-GPIIb-IIIa.
Études en cours
Plusieurs études randomisées sont actuellement en cours pour déterminer le meilleur moment pour réaliser une coronarographie chez un survivant d’un arrêt cardiaque sans sus-décalage du segment ST sur l’ECG enregistré après un retour en rythme sinusal. En France, EMERGE est une étude multicentrique qui randomise les survivants d’un arrêt cardiaque sans sus-décalage du segment ST et sans cause extracardiaque évidente d’arrêt à une coronarographie immédiate versus une coronarographie 2 à 4 jours plus tard. Les résultats de ces études sont attendus pour 2020.
Cas particuliers : spasme coronaire et origine toxique
Le spasme coronaire est une entité mal connue et sous-estimée des cardiologues interventionnels. Et pourtant, plusieurs études ont démontré que le spasme coronaire survenant sur des artères coronaires supposées saines est une cause non négligeable d’ACEH. Le diagnostic peut être fait lors de la coronarographie initiale qui montre des sténoses qui disparaissent après injection de dérivés nitrés. Si la coronarographie initiale est normale et que le patient survit sans séquelles neurologiques majeurs, une nouvelle coronarographie doit être refaite 2 à 4 semaines après l’arrêt avec un test de provocation du spasme coronaire (méthylergonovine ou acétylcholine). Les spasmes coronaires responsables de mort subite sont souvent résistants au traitement médical et peuvent parfois nécessiter la mise en place de défibrillateurs implantables pour éviter une récidive mortelle.
De nombreux médicaments ou toxiques ont été incriminés dans la genèse des ACEH. La cocaïne est responsable d’occlusions coronaires brutales par spasme coronaire et modifications de l’hémostase. Le traitement est difficile avec une formation itérative de thrombus au cours de la procédure d’angioplastie (figure 3) et des difficultés pour obtenir un sevrage chez les survivants.
Figure 3. Coronarographie réalisée après un arrêt cardiaque chez un cocaïnomane. A. Occlusion de l’IVA et thrombus dans la circonflexe. B. Réouverture de l’IVA avec pose de deux stents actifs. Le thrombus persiste dans la circonflexe malgré de nombreuses inflations de ballon, thromboaspiration et administration d’anti-GPIIB-IIIA.
Au total
Des études randomisées sont en cours pour définir le meilleur moment pour réaliser une coronarographie chez les survivants d’un ACEH.
En attendant, la décision de réaliser une coronarographie chez les survivants d’un ACEH peut se baser sur l’ECG : un sus-décalage conduit à une admission directe en salle de cathétérisme. Dans les autres cas, un bilan rapide (moins de 2 heures) recherche une cause extracardiaque (scanner cérébral et thoracique). En cas de recherche négative, la coronarographie est effectuée. Ce schéma peut être modulé par des éléments pronostiques (âge, comorbidités, délais longs dans la prise en charge préhospitalière).
En pratique
L’occlusion coronaire est la première cause d’arrêt cardiaque extrahospitalier.
L’angioplastie coronaire augmente la survie dans des séries non randomisées.
Un sus-décalage du segment ST sur l’ECG réalisé après reprise d’une activité hémodynamique satisfaisante est associé à la présence d’une lésion coronaire responsable de l’arrêt dans plus de 75 % des cas et doit conduire à une coronarographie immédiate.
L’absence de sus-décalage du segment ST est associée à une lésion coronaire considérée comme coupable dans moins de 25 % des cas, une cause extracardiaque à l’arrêt doit être d’abord recherchée (scanner cérébral et thoracique).
L’absence de cause extracardiaque conduit à la réalisation d’une coronarographie.
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