Publié le 15 mai 2019Lecture 7 min
Traiter la carence martiale du patient insuffisant cardiaque
C. LAMBERT, Paris
Fréquente chez les patients insuffisants cardiaques, la carence martiale est une comorbidité qui dégrade le pronostic de la maladie. Sur la base des études FAIR-HF(1), CONFIRM-HF(2) et EFFECT-HF(3), la HAS vient de reconnaître Ferinject® comme un traitement de première intention chez les patients insuffisants cardiaques à FEVG altérée associée à une carence martiale avec ou sans anémie. Le fer oral dans l’étude IRON-OUT-HF(4) n’a pas montré d’efficacité chez ces mêmes patients sur l’amélioration du pic de VO2.
Comme l’a rappelé le Dr Pascal de Groote (CHRU de Lille), le fer est un élément essentiel à la vie, en particulier pour le transport d’oxygène et la respiration cellulaire, mais aussi pour le transport d’électrons ou l’activité de certains enzymes. Les causes de la carence martiale (CM) chez le patient insuffisant cardiaque (IC) avec altération de la fonction systolique sont multiples, souvent intriquées, et peuvent être liées à : une carence d’apport (malnutrition, malabsorption, anorexie, etc.) ; une perte intestinale par hémorragie distillante favorisée par les antiagrégants plaquettaires ; un syndrome inflammatoire entraînant une augmentation de la sécrétion d’hepcidine, hormone synthétisée par les hépatocytes qui exerce un rétrocontrôle négatif sur l’absorption du fer ainsi que son piégeage par les macrophages. La carence martiale aggrave l’intolérance à l’effort, le déficit en fer étant associé à une diminution de la VO2 max, qu’il y ait ou pas d’anémie. Dans les tissus non hématopoïétiques, myocarde compris, le déficit de stockage du fer entraîne une diminution des capacités oxydatives et une dysfonction mitochondriale qui accentuent également l’intolérance à l’effort. Ainsi, la carence martiale affecte à la fois l’érythropoïèse, la myoglobine, certaines activités enzymatiques et la fonction mitochondriale.
Altération de la fonction mitochondriale
Dans le cardiomyocyte, des protéines de régulation agissent sur le récepteur à la transferrine, qui régulent l’entrée du fer dans la cellule, ainsi que sur la ferroportine qui contrôle le mouvement inverse. Le taux de ces protéines est abaissé chez les patients IC. Dans un modèle murin chez lequel ces protéines ont été expérimentalement déplétées, on constate un déficit d’entrée du fer dans la cellule ainsi qu’un accroissement des sorties, les deux concourant à une carence martiale intracellulaire. Celleci induit une dysfonction mitochondriale, une altération de la contractilité et une IC chez ces souris. La déplétion ferrique sur des cultures de cardiomyocytes humains entraîne également une diminution de la contractilité et une baisse de la vitesse de contraction et de relaxation, partiellement restaurées par l’apport de fer. Ces anomalies liées à une moins bonne utilisation de l’oxygène et une moindre production d’ATP s’accompagnent d’une altération morphologique de la mitochondrie.
Dans une étude ayant inclus 40 patients avec IC systolique (FEVG < 40 %) et carence martiale, mais une hémoglobine > 12 g/dl, l’apport de fer IV s’accompagne à la 12
semaine d’une amélioration des paramètres échographiques(5). Dans une autre étude en double aveugle chez des patients IC (FEVG ≤ 35 %) également en carence martiale, l’apport de fer injectable a permis à 6 mois une augmentation significative de la FEVG avec remodelage inverse du ventricule gauche, diminution de NT-proBNP et amélioration clinique avec baisse de la fréquence cardiaque(6). L’IRM permet d’analyser la FEVG, mais également le contenu en fer des cardiomyocytes par la séquence T2*. Des études ont montré une corrélation entre le T2* et la FEVG des patients avec IC systolique. La correction de la carence martiale ne passe pas par l’injection d’érythropoïétine qui, comme l’a montré l’étude REVEAL à 12 semaines après un infarctus, n’a aucun effet sur la FEVG ou le taux d’hémoglobine et peut même avoir un effet délétère avec un surcroît d’événements thrombotiques graves(7). On sait que la capacité à l’effort des patients IC est d’autant plus diminuée qu’il existe une carence martiale associée ou non à une anémie, ce premier facteur étant le plus prédicteur du pic de VO2 et de la pente VE/VCO2. Chez le patient IC, la carence martiale entraine une diminution de la force musculaire et une acidification plus importante du muscle avec fatigue musculaire accrue et récupération plus lente. La correction de la carence martiale par injection ou perfusion de fer intraveineux a des effets directs au niveau des muscles périphériques avec une amélioration du pic de VO2, comme l’a notamment montré l’étude EFFECT-HF conduite en ouvert chez 172 patients IC de classe II à III NYHA(3).
Diagnostic et prise en charge de la carence martiale
Le Dr Florence Beauvais (Hôpital Lariboisière, Paris) a souligné que les dosages de la ferritinémie et du coefficient de saturation de la transferrine (CST) sont recommandés par l’ESC dans le bilan de tout insuffisant cardiaque. La carence martiale est un marqueur infraclinique présent avant l’apparition d’une anémie ferriprive. Les valeurs seuils retenues pour le diagnostic de carence chez les patients IC avec FEVG altérée sont :
– ferritinémie < 100 mg/l quel que soit le CST ;
– ferritinémie entre 100 et 300 mg/l et CST < 20 %,.
Bien sûr le taux d’hémoglobine est dosé mais la carence martiale n’est pas toujours associée à une anémie. On estime qu’un patient sur 2 avec IC à FEVG altéré présente une carence martiale, une comorbidité d’autant plus fréquente que l’IC est sévère. Celle-ci est responsable d’une diminution de la tolérance à l’effort avec un pic de VO2 abaissé, d’une altération de la qualité de vie et d’un pronostic plus sévère en termes d’hospitalisations et de décès. Par voie orale, l’absorption du fer est limitée, en particulier chez les patients IC du fait de l’oedème intestinal et de l’inflammation. De plus, les effets indésirables sont fréquents (diarrhée, constipation, dyspepsie, etc.) et le traitement doit être prolongé de 3 à 6 mois pour espérer une correction de la carence martiale, qui n’est obtenue que dans 30 % des cas chez ces patients sans modification du pic de VO2-étude IRON-OUT-HF(4). Il existe différentes formes de fer intraveineux qui varient selon les ligands utilisés, ces derniers ayant une influence sur la pharmacocinétique des produits et sur la dose maximale pouvant être administrée en une seule injection. Les 3 études cliniques les plus importantes qui ont évalué le traitement intraveineux sont celles du carboxymaltose ferrique : FAIR-HF(1), CONFIRMHF(2) et EFFECT-HF(3). Ces travaux ont amené la preuve des bénéfices de ce traitement avec : une amélioration de la tolérance à l’effort et de la qualité de vie dans FAIR-HF, que les patients soient ou non anémiques ; même résultats dans CONFIRMHF avec une amélioration pronostique se traduisant par une diminution de 60 % des hospitalisations ; et dans EFFECT-HF avec une absence de dégradation de tolérance à l’effort par rapport au placebo, une amélioration de la classe NYHA et une baisse de NT-proBNP.
L’administration de fer injectable doit être réalisée sous surveillance dans un milieu sécurisé du fait du risque de choc anaphylactique. Le patient sera surveillé 30 minutes après l’injection ou la perfusion.
Un traitement de première intention
Le Pr Alain Cohen-Solal (Lariboisière, Paris) a indiqué que la métaanalyse des études de correction de la carence martiale par du carboxymaltose ferrique, qui a concerné 839 patients, montre une réduction de 41 % des hospitalisations et de la mortalité cardiovasculaire, une diminution de 46 % des hospitalisations cardiovasculaires et de 59 % de celles pour décompensation de l’IC(8). Avant 2019, la HAS recommandait la prise de fer oral pour le traitement de la carence martiale, sauf en cas d’inefficacité de ce dernier, ce qui imposait, pour en juger, un délai d’au moins 3 mois, ou en cas de nécessité d’une action rapide, par exemple chez un coronarien présentant une anémie. La Commission de Transparence de la HAS a très récemment modifié sa stratégie en constatant : que, en cas de carence martiale absolue avérée, Ferinject® doit être utilisé en première intention dans cette indication et que le fer administré par voie orale est inefficace (IRON-OUT-HF(4)). Il faut auparavant avoir éliminé d’autres causes inflammatoires curables ou réversibles. La Commission souligne la difficulté du diagnostic de carence martiale fonctionnelle liée à un syndrome inflammatoire en interrogeant le seuil d’une ferritine entre 100 et 300 mg/l lorsque CST < 20 %, des critères toutefois validés par de nombreuses sociétés savantes dont l’ESC. Le traitement par fer intraveineux est le plus souvent délivré au cours d’une hospitalisation (79 % des cas), mais il peut l’être également en hôpital de jour (17 %), en soins de suite et de réadaptation (3 %) et en HAD (1 %). En effet, les médicaments de la réserve hospitalière, comme c’est le cas pour les fers IV, doivent être administrés dans un établissement de santé incluant l’hospitalisation à domicile selon les mêmes modalités d’injection et de surveillance qu’à l’hôpital.
Dans une étude médico-économique en cours de publication, le Pr Alain Cohen-Solal et ses collaborateurs ont évalué l’impact budgétaire pour l’Assurance Maladie française d’un traitement par carboxymaltose ferrique pour les patients atteints d’une insuffisance cardiaque chronique et d’une carence martiale. L’analyse a porté sur un modèle d’environ 190 000 patients avec IC sur 5 ans (NYHA II à III) et carence martiale (Hb moyenne : 11,9 g/dl). En prenant en compte les coûts des traitements, les hospitalisations et les coûts de suivi, il apparaît que le traitement par fer carboxymaltose permet une économie de 881 834 euros pour l’Assurance maladie sur 5 ans, soit 5 euros par patient. Le gain est surtout lié à la diminution de 12 % du nombre des hospitalisations dues à une aggravation de l’IC et, de façon moins marquée d’une diminution des coûts de suivi. Ces économies compensent le coût lié à l’administration du fer carboxymaltose.
Article réalisé suite au Forum Cœur, Exercice et Prévention, mars 2019
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