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Insuffisance cardiaque

Publié le 15 oct 2019Lecture 10 min

L’insuffisance cardiaque à l’ESC : le clou du congrès ?

Damien LOGEART, Paris

L’insuffisance cardiaque et sa prise en charge ont été l’objet de plusieurs résultats très importants présentés lors des « Hotlines » notamment. Au top, l’étude DAPA-HF a permis d’observer des résultats enthousiasmants.

DAPA-HF D’après McMurray J et coll. Un inhibiteur de SGLT2, antidiabétique de nouvelle génération, réduit la morbi-mortalité des insuffisants cardiaques non diabétiques. Les inhibiteurs de SGLT2 (co-transporteur du sodium et du glucose) sont une des deux nouvelles classes d’antidiabétiques qui ont rétrogradé les antidiabétiques traditionnels (metformine, etc.) pour une bonne raison : ils réduisent la morbidité et mortalité cardiovasculaire, ce que n’avaient jamais pu vraiment démontrer les autres classes. Les toutes nouvelles recommandations européennes 2019 placent dorénavant inhibiteurs de SGLT2 et agonistes de GLP-1 en première ligne, et même devant la metformine pour les diabétiques de novo. On rappelle que ces inhibiteurs de SGLT2 ont une AMM européenne et sont commercialisés dans la majorité des pays… mais pas en France. Chez les diabétiques, les essais cliniques ont montré que ces inhibiteurs de SGLT2 réduisent la morbimortalité cardiovasculaire et ceci, essentiellement par un effet sur l’insuffisance cardiaque et sa prévention (EMPAREG, CANVAS, DECLARE-TIMI 58). Ce bénéfice était intrigant et semblait insuffisamment expliqué par son seul effet antidiabétique lié à une action glycosurique et natriurétique. Plusieurs essais randomisés ont alors été mis en route dans l’insuffisance cardiaque. DAPAHF est le premier à livrer ses résultats avec la dapagliflozine. Cette étude, publiée le même jour dans le NEJM, a inclus 4 744 insuffisants cardiaques à FEVG < 40 % (et NT-proBNP > 600 pg/ml). L’âge moyen était de 66 ans, la FEVG de 31 %, 68 % étaient NYHA2, 31 % NYHA3 et seulement 45 % étaient diabétiques avérés, et les a randomisés entre dapagliflozine et placebo avec un suivi médian de 18,2 mois. Le critère principal de jugement était les décès cardiovasculaires et les hospitalisations/consultations non planifiées pour insuffisance cardiaque. Le risque de ces événements a été diminué de 26 % (HR 0,74 ; IC95 % : 0,65-0,85 ; p < 0,0001). Les courbes se sont différenciées rapidement et ont continué à s’écarter progressivement au cours du suivi (figure 1). Figure 1. DAPA-HF. Critère primaire composite. Traiter 21 patients permet d’éviter un événement. Le bénéfice était observé dans tous les critères secondaires y compris le questionnaire de qualité de vie KCCQ. Le risque d’aggravation de l’insuffisance cardiaque était diminué de 30 %. Les décès cardiovasculaires étaient diminués de 18 %, et même la mortalité toutes causes était significativement réduite de 17 % (figure 2). Figure 2. DAPA-HF. Mortalité totale. Enfin, le bénéfice s’est avéré le même, que les patients soient diabétiques ou non (figure 3). Figure 3. DAPA-HF. Sous-groupe des patients avec ou sans diabète. L’effet de la dapagliflozine dans ce contexte d’insuffisance cardiaque semble donc indépendant de son action antidiabétique. Par ailleurs, l’ampleur du bénéfice semblait indépendante d’un traitement associé par sacubitril/valsartan (sous-groupe de 500 patients seulement). Il n’y avait pas d’augmentation de risque d’événement indésirable. Il a noté que le mécanisme par lequel l’inhibiteur du SGLT2 apporte un bénéfice clinique dans l’insuffisance cardiaque reste à préciser. L’effet diurétique de cette classe peut avoir un rôle, qui existe surtout en début de traitement et s’estompe ensuite. Le bénéfice pourrait passer par une action favorable sur le métabolisme du myocarde, notamment en favorisant la voie des corps cétoniques au détriment de la glycolyse, aussi par des effets sur les flux ioniques, voire la fibrose et les adipokines… Bref, il y a encore du travail pour comprendre cette surprenante efficacité ! Ce qui est très intéressant est que pour la première fois, il s’agit d’un bénéfice ne passant pas par la modulation de systèmes hormonaux et de peptides vasoactifs. Une des questions va aussi être de savoir si ce médicament pourrait avoir la même efficacité dans l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée. Et cet effet de la dapagliflozine sera-t-il aussi observé avec les autres inhibiteurs du SGLT2 ? De nombreuses études sont en cours avec les différents membres de cette classe de médicaments, qui devraient répondre à la question dans l’avenir. PARAGON D’après Solomon SD et coll. Le sacubitril/valsartan ne réussit pas à démontrer un bénéfice clair dans l’IC à FEVG préservée, contrairement à ce qui avait été démontré dans l’IC à FEVG réduite. C’est un des essais dont les résultats étaient très attendus bien qu’en partie dévoilés au milieu de l’été par un communiqué de presse. PARAGON a inclus 4 822 patients de plus de 50 ans avec une IC NYHA 2 à 4 et une FEVG ≥ 45 %. Les patients devaient avoir aussi un taux de NT-proBNP augmenté, une HVG et/ou dilatation de l’OG à l’écho, un traitement diurétique. Ils ont été randomisés entre valsartan à la dose cible de 160 mg x 2/j et sacubitril/salsartan à la dose cible de 97/103 mg x 2/j. Comme pour PARADIGM, il y avait d’abord une phase de run-in de 2 semaines avec chaque des 2 molécules pour s’assurer de leur tolérance, et à l’ issue de cette période, 925 patients ont été exclus de la randomisation. Le suivi minimum était de 26 mois et critère principal de jugement était le mortalité CV ou les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (pas juste la première, mais toutes les hospitalisations). Le sacubitril/valsartan a réduit la survenue de ce critère de 13 % (HR 0,87 ; IC95 % : 0,75-1,01) ce qui n’a donc pas permis d’atteindre le seuil de significativité statistique (p = 0,056). Le taux d’hospitalisations était réduit de 15 % (HR 0,85 ; IC95 % : 0,72-1,00) et le taux de décès CV de 5 % seulement. La mortalité totale n’était pas différente entre les 2 groupes avec des taux de décès de 14,2 et 14,6 %. Il y avait amélioration une amélioration significative pour ce qui est des changements de classe NYHA et du score KCCQ. Cet essai fait ainsi suite à une liste croissante d’essais négatifs ou mitigés dans l’IC à FEVG préservée et ayant testé des modulateurs des systèmes hormonaux (CHARM preserved, PEP-CHH, I-PRESERVE, TOPCAT). À la différence de ces autres essais, il n’y avait pas de bras placebo dans PARAGON ce qui a probablement joué dans ce résultat. Si une extrapolation est faite via CHARM ou I-PRESERVE qui avait testé des ARA2 contre placebo et avec un bénéfice d’environ 10-12 %, on pourrait imaginer que l’ampleur du bénéfice du sacubitril/valsartan aurait d’environ 20 % par rapport à un placebo… Mais on ne peut pas refaire le match dans ce type de sport. L’IC à FEVG préservée inclut des phénotypes différents et on peut comprendre que ce type de médicament n’apporte rien dans certains phénotypes où existe une forte fibrose ou infiltration cardiaque par d’autres composants (type amylose). À l’inverse, il est probable que beaucoup de patients à FEVG préservée ont une physiopathologie plus proche de celle de l’IC à FEVG réduite et bénéficient donc des mêmes médicaments. Deux autres études intéressantes avec le sacubitril/valsartan ont été présentées, publiées dans le JAMA en parallèle, pour essayer d’apporter quelques éléments mécanistiques. On rappelle que les mécanismes de l’efficacité du sacubitril/valsartan restent incomplètement expliqués. EVALUATE-HF D’après Desai AS et coll. Le sacubitril/valsartan n’améliore pas la rigidité aortique par rapport aux IEC. Cet essai randomisé a comparé en double aveugle sacubitril/valsartan et énalapril (comme dans PARADIGM) sur la rigidité aortique chez 464 insuffisants cardiaques à FEVG altérée. Cette rigidité de l’aorte centrale était mesurée par tonométrie par aplanation et calcul de l’impédance aortique, 4, 12 et 24 semaines après la randomisation. D’autres paramètres notamment échographiques étaient également évalués. L’hypothèse était que le bénéfice clinique de l’inhibition de la néprilysine (en sus de l’inhibition du SRA) passe par un effet bénéfique sur la rigidité artérielle et donc sur le couplage ventriculo-artériel via la modulation de divers peptides vasoactifs, dont les peptides natriurétiques. On rappelle que ce couplage VG-aorte est altéré dans l’IC à FE réduite. Ceci pourrait alors expliquer une large part du bénéfice observé dans PARADIGM. Et cela paraissait d’autant plus plausible qu’un tel effet vasculaire de l’inhibition de la néprilysine avait déjà été montré dans l’HTA, d’une part, et d’autre part, des analyses posthoc de PARADIGM ont montré une réduction des marqueurs sériques de fibrose. Il n’y a eu aucune différence entre sacubitril/valsartan et énalapril sur ce paramètre de rigidité aortique, et ceci malgré une baisse de PA systolique plus marquée sous sacubitril/valsartan. Sur les paramètres écho, il n’y avait pas non plus de différence entre les deux bras sur les paramètres éjectionnels et donc sur le couplage ventriculo-artériel. En revanche, il y avait une réduction modeste, mais significative des volumes ventriculaire et atrial gauches et une amélioration de quelques paramètres de remplissage. Il est possible que la durée de l’étude ait été insuffisante (6 mois) pour permettre une amélioration de la rigidité aortique. Néanmoins, il semble bien que ce n’est pas tellement sur cet aspect physiopathologique que l’inhibition de la néprilysine apporte un gros avantage. Au vu du bénéfice clinique et de l’effet sur les paramètres écho, il peut y avoir d’autres mécanismes en jeu expliquant l’avantage de l’inhibition de la néprilysine : bénéfice sur le remodelage ventriculaire indépendamment d’un effet sur la postcharge et probablement aussi réduction de la volémie. PROVE-HF D’après Januzzi J et coll. Le sacubitril/valsartan a un effet bénéfique sur le remodelage VG et de façon proportionnelle sur la baisse des taux de NT-proBNP. Il s’agit ici d’une étude en ouvert avec donc d’emblée les limites que cela comporte pour conclure. L’étude a inclus 794 IC à FEVG < 40 % qui ont eu un switch entre IEC ou ARA2 et sacubitril/valsartan (presque 200 patients n’étaient pas sous IEC ou ARA2 avant). Une échographie et des dosages du NT-proBNP étaient réalisés avant le switch puis au cours du suivi et à 12 mois. Il y avait un corelab pour l’écho et 654 patients ont pu compléter toutes les mesures. Les auteurs ont rapporté une amélioration de la FEVG de 9,4 % (IAR 8,8-9,9) et une réduction des volumes télédiastoliques du VG et de l’OG de 12,25 ml/m2 (IQR 11,58-12,92) et 7,57 ml/m2 (IQR 7,15-7,98) respectivement et une réduction du ratio E/e’ de 1,30 en moyenne. On peut aussi noter de façon intéressante que les variations étaient environ deux fois moindres à 6 mois. Enfin, ces variations étaient globalement similaires que le patient ait été naïf ou non de traitement IEC ou ARA2 au préalable. Les taux de NT-proBNP diminuaient dès J14 de 30 % puis légèrement plus au fil du temps jusque 37 % à 12 mois (médiane à 816 à l’inclusion et 455 pg/ml à 12 mois). Il y avait une corrélation significative bien que modeste entre le niveau de réduction du NT-proBNP et l’amélioration des paramètres écho comme cela a pu être observé avec d’autres molécules. Contrairement à l’essai EVALUATE, l’effet du sacubitril/ valsartan sur les paramètres écho que ce soit la FEVG ou les volumes, est ici très important. Les deux essais sont différents. PROVE-HF est une étude en ouvert dont le contrôle est simplement la mesure à l’inclusion avant mise sous sacubitril/valsartan ce qui peut avoir magnifié l’ampleur des résultats. Dans les deux cas, on observe toujours un effet bénéfique sur le remodelage et l’estimation des pressions de remplissage VG. GALACTIC Les vasodilatateurs n’arrivent décidément pas à démontrer de bénéfice dans l’insuffisance cardiaque aiguë. Dans l’insuffisance cardiaque aiguë (OAP, insuffisance cardiaque dite globale), les recommandations insistent sur les vasodilatateurs qu’il faudrait prescrire tant que la PA systolique n’est pas trop basse (> 110 mmHg environ), ceci étant basé surtout sur un rationnel et des résultats hémodynamiques aigus. La vasodilatation est censée diminuer la postcharge et améliorer le couplage ventriculo-artériel et donc le travail VG, etc. On a néanmoins tous en mémoire les déboires récents de plusieurs nouveaux vasodilatateurs incapables de démontrer un bénéfice clinique fort dans des essais randomisés contrôlés contre placebo de phase 3 (neseritide, serelaxine ou encore ularitide par exemple). Une des raisons invoquées dans ces échecs répétés est la survenue d’hypotensions délétères et le manque de pertinence d’un traitement hémodynamique de 24-48 h sur des critères cliniques à moyen terme. GALACTIC (Goal-directed After-Load Reduction in Acute Congestive Cardiac Decompensation) est un essai institutionnel, sans support industriel, initiée par nos amis suisses il y a plusieurs années. L’objectif était de démontrer un bénéfice d’un traitement vasodilatateur intensif et prolongé de plusieurs jours au cours d’une décompensation cardiaque en utilisant des médicaments disponibles : dérivés nitrés (en patch notamment), urapidil, IEC/ARA2. Cet essai a randomisé 781 patients entre une stratégie standard et un traitement vasodilatateur intensif et précoce par voie sublinguale, orale et transdermique (basée sur des nitrés, hydrazalazine, IEC et sacubitril/valsartan) avec comme critère de jugement principal la mortali é toutes causes et /ou réhospitalisations pour insuffisance cardiaque à 180 jours. Les critères d’inclusion associaient une IC en NYHA 3 ou 4, avec BNP > 500 ou NT-proBNP > 2 000 pg/ml et une PA systolique > 100 mmHg. Il s’agissait de patients peu sélectionnés avec un âge médian de 77 ans, une FEVG et un NT-proBNP médians de 37 % et 5 336 pg/ml respectivement. Las, il n’y a eu aucune différence sur le critère de jugement principal : 30,6 % dans le groupe vasodilatation intensive versus 27,8 % dans le groupe placebo (HR 1,07 ; IC95 % : 0,83-1,39, p = 0,589). Pas de différence y compris en début de suivi ou quelle que soit la tranche d’âge ou de FEVG. Les vasodilatateurs intensifs en systématique n’ont finalement pas d’avantage et devraient être probablement proposés de façon plus précautionneuse chez des patients avec poussée hypertensive bien sûr ou encore dans des OAP essentiellement redistributifs (sans réelle hypervolémie). C’est ce qui est déjà fait dans la « vraie » vie puisque le taux de prescription de vasodilatateurs IV est très modeste dans les différents registres.

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