Publié le 01 mar 2020Lecture 6 min
Revascularisation du patient pluritronculaire dans le syndrome coronarien aigu avec sus-décalage du segment ST
Étienne PUYMIRAT, département de cardiologie, Hôpital européen Georges Pompidou, Paris
JESFC
Près de 50 % des patients pris en charge pour un syndrome coronarien aigu avec sus-décalage du segment ST (SCA ST+) sont pluritronculaires. Les recommandations actuelles préconisent un traitement de reperfusion par angioplastie primaire de l’artère coupable (culprit lesion). La revascularisation des lésions associées est en revanche plus controversée à la fois sur la stratégie à utiliser et sur les délais de réalisation.
Définition et prévalence des lésions pluritronculaires dans le SCA avec sus-décalage ST
L’atteinte pluritronculaire chez les patients présentant un SCA ST+ se définit par la présence d’une lésion coupable (culprit lesion) sur l’un des trois vaisseaux épicardiques principaux (artère interventriculaire antérieure, artère circonflexe ou coronaire droite) associée à une atteinte significative d’au moins un des deux autres vaisseaux épicardiques. On définit ainsi les patients comme monotronculaires (un seul vaisseau atteint), bitronculaires (deux vaisseaux atteints) ou tritronculaires (trois vaisseaux atteints).
Une lésion du tronc commun gauche s’apparente à une atteinte de deux vaisseaux. Le caractère significatif des lésions peut être défini angiographiquement (par une sténose présentant un rétrécissement de plus de 70 % de diamètre), par une évaluation fonctionnelle intracoronaire (mesure de la réserve coronaire ou FFR, Fractional Flow Reserve) ou par un test d’ischémie non invasif (échocardiographie de stress/ d’effort, scintigraphie myocardique, IRM de stress).
La prévalence des lésions pluritronculaires dans le SCA ST+ varie selon les études entre 40 et 65 % des patients(1-3). Cette proportion dépend essentiellement des caractéristiques cliniques de la population étudiée, et en particulier de l’âge (plus la population est jeune, plus la proportion de patients monotronculaires est importante). Par ailleurs, la présence d’une atteinte pluritronculaires est associée à un plus mauvais pronostic(1-4).
Dans le registre français FASTMI (The French registry of Acute ST elevation or non-ST-elevation Myocardial Infarction) en 2015, 45 % des patients hospitalisés pour un SCA ST+ étaient pluritronculaires, 47 % étaient monotronculaires et 8 % n’avaient pas de lésion coronaire significative (figure 1).
Figure 1. Résultats de la coronarographie initiale chez les patients présentant un syndrome coronarien aigu avec sus-décalage ST, d’après le registre FAST-MI 2015.
Parcours de soins initial des SCA avec sus-décalage ST
Les recommandations des sociétés savantes européennes et américaines préconisent l’angioplastie primaire comme traitement de reperfusion de première intention sous réserve que la procédure puisse être réalisée dans les 120 minutes après l’interprétation de l’ECG (niveau de recommandation I-A)(1,2) (figure 2). Si ce délai ne peut être respecté, la fibrinolyse doit alors être privilégiée en l’absence de contre-indication. En effet, la fibrinolyse précoce est associée à un meilleur pronostic qu’une angioplastie primaire tardive. En France, l’utilisation de la fibrinolyse est en net recul depuis les 20 dernières années et ne concerne plus que 6 % des patients en 2015 avec toutefois une augmentation importante des angioplasties primaires réalisées au-delà les délais recommandés (> 120 minutes).
Figure 2. Choix du traitement de reperfusion d’après les recommandations de la Société européenne de cardiologie pour la prise en charge des syndromes coronariens avec sus-décalage ST.
Le choix du traitement de reperfusion est capital pour déterminer le traitement antithrombotique initial (le ticagrelor et le prasugrel ne pouvant pas être utilisés en cas de fibrinolyse à cause du risque hémorragique). L’angioplastie primaire consiste à recanaliser l’artère responsable de l’infarctus. La procédure doit être affectée de préférence par voie radiale pour limiter les complications hémorragiques. Le recours à la thromboaspiration ne doit plus être systématique et l’implantation de stent(s) actif(s) de dernière génération doit être privilégiée par rapport à l’utilisation de stent(s) non actif(s) ou à l’angioplastie au ballon seul.
Revascularisations complémentaires
Quelles options thérapeutiques ?
La prise en charge des lésions associées peut être envisagée de trois manières différentes (figure 3) :
– par une revascularisation complète lors de la procédure initiale (angioplastie de la lésion coupable puis des lésions associées) ;
– par une revascularisation complémentaire réalisée lors d’une seconde procédure au cours de la même hospitalisation ou à distance ;
– par un traitement conservateur des lésions associées. Les revascularisations complémentaires pouvant être réalisées selon les résultats des tests d’ischémie non invasifs demandés au cours du suivi clinique.
Figure 3. Stratégies de revascularisation des patients pris en charge pour un syndrome coronarien avec sus-décalage ST.
Ces trois stratégies présentent chacune des avantages et des inconvénients qui sont listés dans le tableau. Ces stratégies ont été comparées deux à deux dans une large métaanalyse en 2011 regroupant les données de plus de 40 000 patients (14 essais cliniques au total)(5). Cette étude montre qu’en termes de mortalité à court terme (critère de jugement principal) et à long terme, la revascularisation complémentaire différée était supérieure par rapport aux deux autres stratégies.
Deux études anglaises (PRAMI et CULPRIT) ont ensuite comparé la revascularisation complémentaire (immédiate ou différé) par rapport à la prise en charge conservatrice des lésions associées chez respectivement 465 et 265 patients présentant un SCA ST+(6,7). Les résultats de ces études montrent que la revascularisation complète est associée à une réduction de 65 % des événements cardiovasculaires majeurs dans l’étude PRAMI associant les décès d’origine cardiovasculaire, les récidives d’infarctus et/ou les angors réfractaires (HR = 0,35 ; IC95% : 0,21-0,58 ; p < 0,001) ; et une réduction de 55 % dans l’étude CULPRIT des décès toutes causes, des récidives d’infarctus, des revascularisations guidées par un test d’ischémie et/ou des hospitalisations pour insuffisance cardiaque(HR = 0,45 ; IC95% : 0,24-0,84 ; p = 0,009). Ces résultats doivent toutefois être pris en compte avec beaucoup de précautions car le groupe de référence (revascularisation incomplète) ne reflète pas les pratiques habituelles et est très discutable en cas de lésions serrées proximales. Les recommandations de la Société européenne de cardiologie préconisent depuis la revascularisation des lésions complémentaires de façon différée avant la sortie de l’hôpital avec un niveau de recommandation II-a A(1).
Dernièrement, l’étude COMPLETE a comparé également chez 4 041 patients avec un SCA ST+, la revascularisation complète à la revascularisation de la lésion coupable seule(8). Les résultats sont aussi en faveur d’une revascularisation complète avec une réduction des décès CV et des récidives d’infarctus de 26 % à 3 ans (HR = 0,74 ; IC95% ; 0,60-0,91 ; p = 0,004) ; et une réduction de 49 % à 3 ans des décès CV, des récidives d’infarctus et des revascularisations guidées par un test d’ischémie. À noter l’absence de complications (insuffisance rénale aiguë, thrombose de stent, saignement majeur, AVC) entre les deux stratégies. Enfin, les bénéfices de la revascularisation complémentaire ont été observés quel que soit le timing (durant le séjour initial ou à distance).
Existe-t-il une place pour la FFR ?
La mesure de réserve coronaire (ou FFR) ne permet pas d’évaluer le caractère fonctionnel d’une sténose coronaire dans un territoire infarci (risque de surestimation par une atteinte de la microcirculation). En revanche, la FFR peut tout à fait s’envisager pour évaluer les lésions présentes sur les autres vaisseaux épicardiques soit lors de la procédure initiale, soit à distance(1).
Deux études (DANAMI 3 et COMPARE ACUTE) ont comparé la revascularisation complète guidée par la FFR au traitement conservateur des lésions associées chez 627 et 825 patients respectivement pris en charge pour un SCA ST+(9,10). Ces deux études ont montré une supériorité de la revascularisation guidée par la FFR avec une réduction de 44 % des événements CV majeurs à 2 ans dans DANAMI 3 (mortalité toutes causes, récidive d’infarctus et/ou revascularisation complémentaire guidée par un test d’ischémie) et une réduction de 65 % des événements CV majeurs à 12 mois dans COMPARE ACUTE (mortalité toutes causes, récidive d’infarctus, AVC et/ou revascularisation complémentaire guidée par un test d’ischémie). Là encore, le choix du groupe de référence (traitement conservateur) est très critiquable…
Enfin, l’étude FLOWER MI a comparé la revascularisation des lésions associées guidée par la FFR à la revascularisation guidée par l’angiographie chez 1 170 patients pris en charge pour un SCA ST+ après traitement de la lésion coupable (NCT02943954). Les résultats de cette étude française sont attendus en fin d’année.
En pratique
Près de 50 % des patients pris en charge pour un SCA avec sus-décalage ST présente des lésions associées sur les autres vaisseaux épicardiques principaux (pluritronculaires).
L’angioplastie primaire est le traitement de reperfusion de référence.
La prise en charge des lésions associées doit être réalisée préférentiellement lors d’une seconde procédure (au cours de l’hospitalisation initiale ou à distance).
La FFR peut être utilisée pour définir le caractère fonctionnel (ou non) des lésions associées et guider ainsi la revascularisation complémentaire.
La revascularisation complète est associée à un meilleur pronostic que le traitement de la lésion coupable seul.
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