Publié le 15 mai 2020Lecture 10 min
De l’étude du CASS à l’étude ISCHEMIA - Presque 40 ans de myopie dans la maladie coronaire stable
Joseph EMMERICH, Université de Paris, INSERM CRESS UMR 1153, Paris
Jeune interne en cardiologie au milieu des années 1980, nous vivions les bouleversements majeurs de notre spécialité qui entrait dans sa modernité, avec l’avènement de l’angioplastie et le développement des drogues qui restent encore les bases de la prévention cardiovasculaire actuelle : les antithrombotiques, les IEC puis les ARA2 et les statines. Pendant ce temps, les chirurgiens cardiaques arrivaient à maturité des pontages aorto-coronaires.
Dans ce contexte, en 1973 le NIH (National Heart, Lung and Blood Institute) avait débuté une étude randomisée pour comparer le bénéfice de la revascularisation chirurgicale au traitement médical : the Coronary Artery Surgery Study (CASS)(1). Le but de l’essai randomisé était d’évaluer de façon rigoureuse le bénéfice éventuel de la chirurgie sur la mortalité totale. Les critères d’inclusion de l’époque étaient d’être âgé de moins de 65 ans et d’avoir eu un angor (classe I ou II) avec ou sans antécédents d’infarctus du myocarde (IDM), ou un IDM bien documenté de plus de 3 semaines avant la randomisation. Les patients préalablement revascularisés étaient exclus ainsi que les patients avec une insuffisance cardiaque NYHA classe III ou IV, ou enfin ceux avec une espérance de vie estimée < 5 ans. Pour pouvoir être randomisé, la coronarographie diagnostique devait de plus mettre en évidence au moins une sténose > 70 % de l’une des trois artères coronaires ou une sténose > 50 % du tronc commun mais < 70 % (au-delà les patients étaient exclus). Enfin, les patients dont la fraction d’éjection ventriculaire gauche était < 35 %, ou ceux qui devait bénéficier dans le même temps d’un remplacement valvulaire ou d’une résection d’un anévrisme ventriculaire, étaient exclus. Les résultats du CASS ont été publiés en 1983 dans Circulation et elle avait alors agité le Landernau cardiologique. En effet, pour faire une longue histoire brève on peut résumer les résultats du CASS en une simple phrase : les patients avec une dysfonction ventriculaire gauche < 50 % et principalement en cas d’atteinte tritronculaire bénéficiaient de la chirurgie coronaire. Par contre, pour tous les autres il n’y avait pas de différence en termes de survie globale ou de survie sans IDM mortel (même après stratification sur l’âge, le nombre de vaisseaux atteints, l’existence d’une hypertension ou d’une insuffisance cardiaque). De plus, les résultats initiaux ont été confirmés par un suivi prolongé à 10 ans du CASS(2). Notons qu’à l’époque le meilleur traitement médical reposait sur les antithrombotiques (aspirine, AVK), les bêtabloquants, les nitrés, les inhibiteurs calciques et le contrôle des facteurs de risque. L’utilisation systématique du traitement « BASIC » n’était pas encore d’actualité. Soulignons, qu’un article très récent du New England Journal of Medicine, a confirmé l’intérêt de la revascularisation par pontage des patients coronariens avec une FEVG < 35 %(3). Le pontage associé au meilleur traitement médical par rapport au meilleur traitement médical seul entrainait une diminution de 27 % de la mortalité à 10 ans. Par contre de façon intéressante, et nous y reviendrons, il n’y avait aucune interaction dans cette étude entre la présence ou l’absence de viabilité myocardique et le bénéfice de la chirurgie, ni non plus d’association entre les modifications de la FEVG et la survenue des décès.
Avec l’angioplastie percutanée, qui est devenue mature et qui représente la modalité la plus fréquente de revascularisation myocardique du coronarien stable, il était indispensable de savoir si cette technique, moins invasive, était associée à un bénéfice sur la mortalité ou les événements coronaires. Plusieurs études randomisées ont été publiées durant ces 15 dernières années pour répondre à cette question fondamentale.
• La première est l’étude COURAGE, publiée en 2007(4). Cette étude a randomisé des patients ayant un angor stable associé à au moins une sténose coronaire > 70 %, avec une ischémie myocardique authentifiée. Les patients avec une FEVG < 30 % ou une revascularisation datant de moins de 6 mois ont été exclus. Au total, 2 287 patients ont été randomisés entre angioplastie et traitement optimal versus traitement optimal seul. Après 4,6 ans de suivi l’événement primaire (décès toutes causes + IDM non mortel) était de 19 % dans le groupe intervention versus 18,5 % dans le groupe traitement médical seul. En 2015, ces résultats ont été confirmés pour un suivi moyen de 6,2 ans(5).
• La seconde étude est BARI 2D, publiée en 2009, chez des diabétiques de type 2, avec une maladie coronaire stable, pouvant être revascularisés soit par angioplastie, soit par pontage(6). En effet, la randomisation des 2 368 patients était stratifiée selon la méthode de revascularisation (pontage ou angioplastie), qui était déterminée a priori par le médecin responsable de la prise en charge du patient. L’événement principal analysé était la mortalité totale et l’événement secondaire était les MACE (décès ou IDM ou AVC). Globalement, après 5 ans de suivi, il n’y avait aucune différence statistiquement significative pour ces deux événements, entre le groupe revascularisé (par angioplastie ou pontage) par rapport au traitement médical seul. Dans le groupe angioplastie (1 605 patients), il n’y avait aucune différence avec le traitement médical seul. Dans le groupe pontage (763 patients), la revascularisation des diabétiques était supérieure au traitement médical, mais ceci était vrai pour les MACE, sans bénéfice significatif sur la mortalité totale.
• La troisième étude est FAME 2 publiée en 2012, souvent prise comme référence par les partisans de la revascularisation du coronarien stable(7). Cette étude a inclus des coronariens stables, candidats à une angioplastie et ayant à la coronarographie une atteinte mono-, bi- ou tritronculaire. Les patients étaient ensuite randomisés après une mesure de FFR des sténoses susceptibles d’être dilatées (si la FFR était inférieure à 0,80 après une hyperhémie induite par l’adénosine). Les patients étaient ensuite randomisés entre angioplastie + traitement optimal versus traitement médical optimal seul. L’évènement analysé était une combinaison des décès toutes causes, IDM non mortel et hospitalisation non programmée conduisant à une revascularisation urgente durant les deux ans suivant la randomisation. Le recrutement a été arrêté prématurément après la randomisation de 888 patients, car il y avait plus d’événements dans le groupe médical (12,7 % versus 4,3 %). Une analyse détaillée des résultats montre cependant l’absence de différence pour les événements lourds que sont les décès et l’IDM, la différence étant uniquement liée aux revascularisations urgentes (11,1 % versus 1,6 %). Soulignons que cet événement a pu ou dû être influencé par le fait que les cliniciens savaient si leur patient avait été revascularisé ou pas et par conséquence a sans doute favorisé une revascularisation secondaire.
• La quatrième étude est ORBITA, publiée en 2018(8). Il s’agit d’une petite étude qui n’a randomisé que 200 patients avec un angor stable symptomatique lié à une sténose ≥ 70 %, mais très rigoureuse dans son protocole. En effet, il s’agit de la première étude en double aveugle ayant pour but de démontrer l’efficacité de l’angioplastie sur l’angor, sachant que l’on sait qu’un effet placebo est plus fort pour les procédures invasives que les non invasives (comme un médicament). Les patients de cette étude devaient souffrir d’un angor stable lié à une sténose ≥ 70 % d’au moins une coronaire. Après inclusion, une première phase consistait à optimiser le traitement antiangineux pendant 6 semaines. Dans la seconde phase, une mesure de la FFR était réalisée durant la coronarographie pour tous les patients, puis les patients étaient à ce moment-là randomisés entre angioplastie ou « fausse angioplastie », le patient restant 15 minutes sédaté sur la table. Six semaines plus tard une épreuve d’effort était effectuée ainsi que la fréquence de l’angor selon le questionnaire de Seattle. Chez ces patients majoritairement monotronculaires sur l’IVA, avec une FFR moyenne à 0,69, aucune différence entre les deux groupes n’a été mise en évidence, tant sur la fréquence de l’angor que sur l’épreuve d’effort.
• La dernière étude, qui restera sans doute comme l’un des essais majeurs de la cardiologie pour cette décennie, est bien sûr l’étude ISCHEMIA, présentée au congrès de l’AHA en novembre dernier mais non encore publiée(9). Au total, 5 719 patients avec une maladie coronaire stable et une ischémie authentifiée et quantifiée comme moyenne à sévère ont été randomisés (plus de 300 centres dans 37 pays) entre revascularisation et meilleur traitement médical versus meilleur traitement médical seul. Le but de l’étude est de montrer s’il y a un éventuel bénéfice à la coronarographie et la revascularisation coronaire (par angioplastie ou pontage) chez des patients stables ayant une ischémie myocardique d’intensité moyenne ou sévère, par rapport au traitement médical optimum. Un coroscanner était réalisé de façon à éliminer une sténose non protégée du tronc commun supérieure à 50 % (critère d’exclusion) et également pour authentifier l’existence de sténoses coronaires responsables de l’ischémie. Les patients correspondant aux critères d’éligibilité étaient ensuite randomisés entre une stratégie invasive comprenant outre la mise en place du traitement médical optimal, une coronarographie et si réalisable une revascularisation myocardique ou une stratégie conservatrice par le seul traitement médical optimal avec la réalisation d’une coronarographie uniquement si le traitement médical optimal n’était pas efficace. Les patients avec une FEVG < 35 % étaient exclus, ainsi que ceux avec une insuffisance cardiaque NYHA III-IV, une clairance < 35 ml/min (étude à part : CKD ISCHEMIA) et ceux ayant un angor cliniquement non acceptable malgré le traitement médical. L’événement primaire analysé combinait : décès cardiovasculaire, IDM, hospitalisation pour angor instable, insuffisance cardiaque et arrêt cardiaque ressuscité. La force de cette étude, outre le nombre de patients et sa puissance est l’extrême rigueur de sa réalisation avec des comités indépendants pour évaluer l’ischémie, le coroscanner, les événements cliniques, ainsi qu’un rappel intense des centres pour s’assurer que le meilleur traitement médical était bien implémenté. La durée moyenne de l’étude était de 3,3 ans. L’âge moyen des patients était de 64 ans, dont 23 % de femmes et 41 % de diabétiques. La fréquence des patients avec angor symptomatique était importante puisque 44 % en souffrait plusieurs fois par mois, 22 % quotidiennement ou plusieurs fois par semaine et 34 % avaient une ischémie sans angor. Durant le suivi de l’étude, 96 % du groupe invasif et 28 % du groupe médical ont eu une coronarographie, avec un pourcentage de revascularisation qui était respectivement de 80 % et 23 %. L’événement primaire n’était pas statistiquement différent entre les deux groupes avec une fréquence de 13,3 % dans le groupe invasif versus 15,5 % dans le groupe traitement médical seul (p = 0,34). Les résultats étaient similaires dans l’ensemble des sous-groupes analysés et notamment sans différence entre les patients tritronculaires ou monotronculaires, IVA proximale, les diabétiques… La fréquence de décès cardiovasculaires ou d’IDM était également similaire, respectivement 11,7 % et 13,9 % (p = 0,21). Le traitement invasif était associé à un sur-risque d’événements durant les 6 mois (+ 2 %) et un bénéfice à 4 ans (- 2 %), bien visible sur les courbes qui se croisent. La mortalité totale était respectivement de 6,4 % et 6,5 % (p = 0,67). La survenue d’infarctus périprocédure était trois fois plus fréquents dans le groupe invasif. Inversement, une amélioration de la qualité de vie était observée chez les patients angineux, mais pas chez les patients asymptomatiques. Bien sûr, les partisans de l’angioplastie clament qu’une fréquence de près d’un quart des patients devant secondairement témoigne du bénéfice de la revascularisation initiale. Inversement, il nous semble plutôt important de souligner que trois quarts des patients du groupe invasif sont revascularisés sans bénéfice. Quoi qu’il en soit ISCHEMIA confirme clairement, dans la lignée des études ci-dessus, depuis celle du CASS, que la revascularisation myocardique du coronarien stable avec ischémie moyenne ou sévère (> 3 segments /17) n’apporte aucun bénéfice en termes de mortalité ou de morbidité. Ceci ne fait d’ailleurs que confirmer les métaanalyses qui ne prenaient pas encore ISCHEMIA en considération(10). Il restera à savoir si sur le suivi au long cours d’ISCHEMIA, l’attitude invasive pourrait avoir un bénéfice, en raison du croisement des courbes.
Les résultats de l’étude ISCHEMIA, dans la suite des essais précédents, ouvrent plusieurs réflexions importantes :
• Si la revascularisation coronaire est indiscutablement le traitement de référence du syndrome coronaire aigu, c’est par contre un traitement symptomatique sans bénéfice démontré sur la morbi-mortalité coronaire dans la maladie coronaire stable, même avec ischémie importante objectivée. Autrement dit, la revascularisation coronaire n’est pas une option majeure de la prévention cardiovasculaire.
• Bien sûr chez le patient qui reste angineux malgré un traitement bien conduit, et qui est handicapé dans sa vie par la fréquence ou l’intensité des symptômes, une revascularisation bien discutée restera indiquée (mais est-ce la majorité des patients revascularisés actuellement ?).
• Le traitement médical optimal est le traitement de référence qui diminue la mortalité et la morbidité du coronarien stable (et bien sûr aussi après un SCA). Pour cela le cardiologue et les médecins doivent réellement s’efforcer d’obtenir les objectifs thérapeutiques préconisés.
• Ces données questionnent l’intérêt de la recherche d’une ischémie myocardique chez les patients à risque cardiovasculaire élevé, comme par exemple les diabétiques ou les patients avec d’autres localisations athéroscléreuses. Dans la mesure où une ischémie, même importante, ne modifie pas les résultats d’ISCHEMIA on doit clairement se poser la question de l’intérêt de la recherche de l’ischémie asymptomatique lorsqu’un traitement optimal est déjà institué. S’il ne l’était pas, le seul intérêt serait de tout faire pour l’instituer… Mais pas pour faire une coronarographie.
• Enfin, si la recherche d’ischémie n’a sans doute pas beaucoup d’intérêt, le coroscanner en a. Outre le fait qu’il authentifie une maladie coronaire stable par la mise en évidence de sténoses serrées sur les artères épicardiques, son principal intérêt est d’éliminer une sténose > 50 % du tronc commun.
Il est donc temps, chez le coronarien stable ou chez les sujets à haut risque cardiovasculaire, de mettre nos pratiques cliniques en accord avec les données factuelles. C’est d’autant plus important que si les cardiologues ne s’y attèlent pas maintenant, ce sera certainement demain les payeurs et les tutelles qui feront ce travail. C’est d’ores et déjà le cas dans de nombreux pays dans le monde où les indications de revascularisation sont plus sélectives et plus justifiées.
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