Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 01 déc 2021Lecture 8 min
Détection précoce de la FA : que disent les dernières données ?
Séverine PHILIBERT*, Gabriel LAURENT**, *Hôpital européen Georges Pompidou, Paris ; CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, **CHU de Dijon
Journées de rythmologie
La fibrillation atriale (FA) est une arythmie très fréquente dont la prévalence serait estimée actuellement à plus de 30 millions de personnes dans le monde(1). Près de 18 millions de personnes pourraient être atteintes de cette arythmie dans l'Union européenne d'ici 2060, en partie à cause du vieillissement de la population(2). Ce phénomène progressif et immuable a pour conséquence d’impacter structurellement et financièrement les systèmes de santé(3).
La présence d’une FA est associée à une augmentation de la morbi-mortalité et expose en particulier au risque cardioembolique dont l’AVC(4). Un traitement par anticoagulant oral (ACO) reste le moyen le plus efficace de prévenir les AVC dans ce contexte(5). Cependant, cette arythmie est fréquemment asymptomatique et la première manifestation de la maladie est un AVC ischémique dans près de 5 % des cas(6). Il existe donc une vraie nécessité à dépister la FA à grande échelle afin d’envisager un ACO le plus tôt possible lorsque la balance bénéfice-risque est en faveur du traitement.
• Justification du dépistage et recommandations actuelles
Le rationnel dans la démarche de dépistage de la FA asymptomatique est clairement la mise en route précoce du traitement. Celui-ci consiste à modifier certaines habitudes de vie, à réduire la charge en FA et les symptômes (qui peuvent apparaître ensuite), et à discuter de l’intérêt des ACO dans la prévention des AVC. Le risque principal est celui des faux positifs qui pourraient exposer aux risques hémorragiques des ACO, c’est pourquoi les méthodes de dépistage doivent être le plus spécifiques possible (figure 1)(7).
Il faut donc être conscient du niveau de fiabilité des différentes méthodes de dépistage, et savoir interpréter la signification clinique possible en fonction du type d’événement détecté(8).
Les dernières recommandations de l’ESC ont été publiées en 2020, les items qui ont été actualisés sont précisés tableau 1(9).
Il est recommandé de rechercher une FA chez tous les patients d’au moins 65 ans par la prise du pouls à la consultation ou un enregistrement ECG monopiste (ce qui ouvre la voie du dépistage à un certain nombre d’outils récents). Il est indispensable de rechercher systématiquement des épisodes atriaux rapides dans les fonctions mémoires des prothèses électroniques cardiaques implantées.
Même si cela peut paraître évident, il est important d’informer le patient des conséquences possibles d’une démarche de dépistage qui peut conduire à une intervention thérapeutique. Il est par ailleurs indispensable de confirmer le diagnostic de FA par un tracé ECG d’au moins une dérivation montrant au moins 30 s de FA avant d’envisager le traitement adapté.
• Différents modes de dépistage de la FA
En plus de la simple prise du pouls à la consultation, il existe de plus en plus d’outils à notre disposition pour dépister la FA asymptomatique. Il existe des techniques basées sur la pléthysmographie via un smartphone ou une montre connectée ainsi que des enregis trements ECG monopiste ou multipistes avec ou sans électrode/patch cutané/petit appareil dédié connecté à un smartphone (AliveCor). Ces systèmes permettent de faire des suivis de très longue durée avec détection automatique des arythmies ou déclenchement par le patient en cas de symptômes (figure 2). Ils permettent également d’envoyer les enregistrements par voie électronique et de faire de la télésurveillance.
Le niveau de spécificité pour la détection de la FA varie de 78 % lors de la palpation du pouls à près de 98 % pour les techniques de pléthysmographie et d’ECG par électrodes (tableau 2).
• Détection de la FA infraclinique
Combien de personnes présentent une FA non diagnostiquée ?
Plusieurs études de dépistage qui ont inclus de larges cohortes de patients rapportent des taux variables de FA nouvellement détectée. La prévalence varie en fonction de la méthode de dépistage (un seul ECG, plusieurs ECG, mémoire des prothèses implantées) et des facteurs de risque de la population ciblée (CHA2DS2-VASc de 1 à 4) (figure 3)(10).
• Dans l’étude suédoise STROKESTOP, un seul tracé ECG a permis de détecter 0,5 % de FA infraclinique chez des patients tout-venant de plus de 75 ans, ce taux passe à 3 % lorsque plusieurs ECG sont réalisés sur 2 semaines(11).
• REHEARSE-AF(12) est une étude randomisée contrôlée utilisant le système de monitoring Alive-Cor qui produit un e-ECG monopiste 2 fois par semaine à l’aide d’un boîtier spécifique connecté à un smartphone. Le taux de détection de FA sur une période d’une année est 4 fois supérieur (HR 3,9 ; IC95% : 1,4- 10,4 ; p = 0,007) dans le groupe suivi à l’aide du système par rapport au groupe contrôle de suivi traditionnel. Le coût de cette technique par FA diagnostiquée est de plus de 10 000 dollars.
Les enregistrements ECG discontinus ont des limites ; ils risquent de sous-diagnostiquer les événements paroxystiques et ne fournissent aucune information concernant la durée des épisodes ou la charge en FA. D’ailleurs les traitements anticoagulants qui étaient à la discrétion des investigateurs de l’étude REHEARSE-AF n’ont pas permis de montrer de différence entre les 2 bras pour ce qui est de la prévention des AVC.
• Dans l’étude VITAL-AF, qui utilise une technologie similaire avec un seul ECG à la consultation, il est nécessaire de screener 53 personnes de plus de 85 ans pour dépister une FA asymptomatique (le plus souvent persistante pour les raisons évoquées plus haut). Le dépistage sous cette forme ne semble pas utile pour les tranches d’âge plus jeunes (figure 4)(13).
Il existe d’autres méthodes diagnostiques basées sur l’analyse de l’irrégularité du rythme cardiaque par photopléthysmographie. Ces systèmes récemment développés peuvent être intégrés dans des bracelets dédiés, des montres connectées, ainsi que des smartphones. Il ne s’agit pas d’un ECG à proprement parler et le diagnostic de FA doit être confirmé a posteriori, ce qui peut parfois retarder le diagnostic.
• L’Apple Heart Study(14) a été proposée aux clients Apple bénévoles (près de 420 000 personnes) qui possédaient une Apple Watch et un iPhone compatible. Suite à une alarme déclenchée sur des tachogrammes irréguliers, 0,5 % d’entre eux ont reçu une notification leur proposant de porter un patch ECG sur 7 jours pour confirmation du diagnostic. Une FA a été confirmée chez 153 (34 %) des 450 personnes qui ont accepté le patch, soit 0,036 % de la population globale de l’étude. La valeur prédictive positive de cette technologie dans cette étude est de 84 %. Une étude similaire mise en place par le concurrent (Huawei) a confirmé l’intérêt de la photopléthysmographie (Huawei Heart Study)(15).
Ces deux études confirment l’efficacité de la technologie mais soulèvent la principale limite liée à la population cible volontaire qui est trop jeune pour bénéficier efficacement d’un dépistage de la FA (80 % de moins de 50 ans dans l’étude Apple).
Il existe d’autres limites concernant les techniques de dépistage de masse, en particulier du fait du design même des études basées sur le choix volontaire. Elles sélectionnent en effet des patients soucieux de leur état de santé, et qui par voie de conséquence consultent plus facilement un médecin lorsqu’ils ressentent des palpitations car ils ont été informés des risques de la FA.
C’est le cas de l’étude mSToPS qui a proposé aux patients adhérents d’une compagnie d’assurance de porter un patch ECG. Il y a eu plus de FA diagnostiquée dans le groupe monitoré (11,4 %) que dans le groupe de suivi classique, cependant parmi les patients monitorés, seulement 1/3 des dépistages ont eu lieu grâce au patch alors que dans 2/3 des cas le diagnostic a été purement clinique à l’issue de consultations provoquées. Il apparaît donc que les patients étaient plus actifs que prévu dans leur prise en charge car conscients des risques d’une FA. Cette étude met surtout en évidence que les patients informés sur leur état de santé se soignent mieux que les autres(16).
• Relation entre FA infraclinique et clinique
Quel est le risque d’AVC chez les personnes atteintes de FA asymptomatique ? Quelle charge en FA est associée à un risque important d’AVC ?
Ce sont finalement les questions les plus importantes, et nous n’avons aujourd’hui aucune réponse certaine. La relation temporelle entre FA et survenue d’un AVC n’est pas aussi clair qu’on a pu le penser auparavant. En effet, seulement la moitié des patients de l’étude ASSERT (âge moyen de 78 ± 7 ans, score CHA2DS2-VASc de 4,5 ± 1,2 et absence d’antécédent de FA) ayant présenté un AVC avait de la FA documentée de plus de 6 min dans les fonctions mémoires de leur pacemaker ou défibrillateur(17). Parmi ces patients, seulement 15 % avaient fait de la FA dans le mois précédant l’accident embolique (AVC ou embolie systémique et épisode le plus souvent < 48 h). Le plus souvent la FA a été identifiée bien après l’accident embolique.
Si la relation temporelle entre FA et AVC est donc encore sujet à controverses, c’est peut-être parce que l’arythmie n’est qu’un marqueur de risque ou que la relation causale est indirecte et complexe.
Par ailleurs, seuls les épisodes de FA > 24 h ont été associés à un risque significativement plus élevé d’accident embolique par rapport au groupe sans FA dans les fonctions mémoires.
L’étude ASSERT n’a par ailleurs fourni aucune preuve que l’anticoagulation orale avait la même efficacité dans cette population que pour les patients atteints de FA clinique.
Publiée très récemment, l’étude LOOP a comparé un suivi par Holter implantable (ILR) chez 1 501 patients (25 %) vs un suivi standard pour 4 503 patients (75 %). Basée sur les résultats de l’étude ASSERT, une anticoagulation était recommandée en cas d’épisode de FA détectée de plus de 6 min. L’âge moyen était de 74 ans avec un score de CHA2DS2-VASc moyen à 4. Trois fois plus de FA a été détectée et trois fois plus de traitement anticoagulant a été instauré dans le groupe ILR avec cependant aucune différence en termes de survenue d’AVC, d’embolie systémique ou de décès d’origine cardiovasculaire entre les deux groupes(18). Ces résultats négatifs peuvent s’expliquer par le faible nombre d’événements emboliques (7 %) dans le bras contrôle et le taux élevé de FA diagnostiquée (12 %). Il existe possiblement un biais, les patients ayant été informés sur la FA et ses risques ont fait la démarche de se faire dépister pour être traités efficacement. Par ailleurs, la durée de 6 min est probablement trop courte pour que le traitement anticoagulant ait eu un impact sur la FA infraclinique.
• Futur
Il faut absolument prévenir le risque d’AVC chez les patients présentant une FA asymptomatique.
Il est également indispensable d’intégrer la prévention et l’information des patients dans l’arsenal thérapeutique en réduisant les apports d’alcool quotidien, en prenant efficacement en charge le surpoids, la pression artérielle sanguine et en traitant le syndrome d’apnée du sommeil.
Cependant, l’amélioration constante des outils de dépistage (vêtements connectés, rôle de l’intelligence artificielle par exemple) et leur « démocratisation » risque de nous entraîner vers un dépistage peu spécifique en termes de pertinence médicale. Les outils de dépistage devront donc être réservés à des populations ciblées, avec un cutoff de durée ou de charge en FA mieux défini pour que la prise en charge thérapeutique soit adéquate.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :