Publié le 23 juin 2022Lecture 5 min
L’aspirine en prévention primaire de l’athérosclérose : une peau de chagrin qui ne cesse de se rétrécir
Louis MONNIER, Institut de recherche clinique, Montpellier
Malgré les importantes avancées représentées par l’utilisation des statines à forte activité et des nouveaux traitements antiplaquettaires ou antithrombotiques, l’aspirine à faible dose reste un traitement efficace dans la prévention secondaire des maladies et des événements cardiovasculaires (réduction du risque relatif se l’ordre de 20 %). En revanche, la prescription d’aspirine en prévention primaire chez des sujets n’ayant jamais fait d’accidents cardiovasculaires est depuis plusieurs années l’objet de débats.
C’est ainsi que les recommandations de l’USPSTF (US Preventive Services Task Force) en 2016 avaient déjà formulé un certain nombre de réserves quant à la prescription d’aspirine en prévention primaire. Les plus marquantes étaient les suivantes : absence d’efficacité chez les sujets âgés de moins de 50 ans ou dont l’âge est ≥ 70 ans ; prescription recommandée entre 50 et 59 ans chez les sujets ayant un risque d’accident vasculaire ≥ 10 % dans les 10 ans à venir, ayant une espérance de vie d’au moins 10 ans et exempts de risque hémorragique ; prescription sélective entre 60 et 69 ans et réservée à des sujets correctement identifiés. Ces recommandations publiées en 2016 reposaient sur une revue systématique de 11 essais cliniques majeurs de prévention primaire avec des doses d’aspirine en général ≤ 100 mg/jour. Toutefois ces essais avaient été réalisés à une époque où le contrôle des lipides plasmatiques et de la pression artérielle était loin d’être optimal et où la consommation de tabac était assez répandue. En 2022 il était donc nécessaire de réactualiser ces recommandations. C’est ce qui a été réalisé en élargissant l’analyse qui a porté sur 13 essais de prévention, soit 161 680 sujets avec l’idée d’évaluer au mieux le rapport bénéfice/risque du traitement par l’aspirine.
Résultats
Les plus intéressants sont donnés par un modèle de microsimulation réalisé à partir des essais inclus dans une analyse systématique. Les bénéfices ont été jugés sur les gains (ou pertes ?) en espérance de vie (exprimés en années de vie gagnées ou [perdues ?] pour 1 000 personnes) et sur le gain en espérance de vie de bonne qualité, exprimé lui aussi en années nettes gagnées avec une bonne qualité de vie. Les résultats ont été ensuite rapportés par sexe et tranche d’âge selon que le traitement par aspirine avait été initié entre 40-49 ans, 50-59 ans, 60-69 ans et 70-79 ans. Les résultats peuvent être résumés de la façon suivante (tableau) :
• L’utilisation de l’aspirine chez les hommes et les femmes qui se situent dans la tranche d’âge allant de 40 à 59 ans avec un risque d’évènements cardiovasculaires ≥ 10 % à une échéance de 10 ans entraine une prolongation de l’espérance de vie mais qui reste cependant très modeste. Les résultats étant exprimés en années gagnées pour 1 000 personnes, nous les avons convertis au moins pour deux d’entre eux en jours-patient pour les rendre plus lisibles. C’est ainsi que pour les hommes entre 40 et 49 ans, ayant un risque d’accident cardiovasculaire ≥ 20 % dans les 10 années à venir, le gain en espérance de vie après initiation d’un traitement par aspirine n’est que de 19 jours. Pour une femme entre 40 et 49 ans, ayant un risque d’accident vasculaire égal au moins ≥ 10 % dans les 10 années à venir, ce même gain est seulement de 4 jours. Le gain en qualité de vie pendant les années (gagnées ?) ou plutôt les jours gagnés est du même ordre de grandeur. Il faut croire que les auteurs de l’article n’ont pas osé convertir les années-1 000 patients en jours-patient pour ne pas montrer de manière trop patente la grande modestie des résultats.
• Dans la tranche d’âge de 60 à 69 ans, les résultats sont discordants, allant d’un gain encore une fois très modeste de la qualité ou de la prolongation de l’espérance de vie jusqu’à une réduction en fonction du niveau de risque au moment de l’initiation de l’aspirine. Dans cette tranche d’âge, pour l’espérance de vie elle-même, c’est dans tous les cas une perte qui est observée même si elle est d’une extrême modestie (1 à 2 jours en moyenne par patient).
• Enfin au-delà de 70 ans, c’est une perte d’espérance de vie en durée et en qualité de vie qui a été observée même si elle reste très modeste (quelques jours au maximum).
• Quand on considère le risque hémorragique, il est augmenté sous traitement par aspirine, à la fois en ce qui concerne les hémorragies digestives (+58 %) et les hémorragies cérébrales (+31 %). Les événements hémorragiques surviennent en général peu de temps après l’initiation du traitement par aspirine. Dans la mesure où le risque hémorragique double pour chaque tranche de 10 ans d’âge au-delà de 60 ans, et dans la mesure où l’aspirine ne présente aucun bénéfice en termes de prévention primaire sur le plan cardiovasculaire, il est bien certain que l’avancée en âge constitue une contre-indication à la mise en route d’un traitement par aspirine.
Tableau récapitulatif de l’effet de l’aspirine en prévention primaire des maladies cardiovasculaires. Les gains ou les pertes en espérance de vie sont dans tous les cas très faibles, même lorsqu’ils sont jugés statistiquement significatifs. À titre d’exemple le plus long gain d’espérance de vie a été de 19 jours, observé chez les hommes âgés de 40 à 49 ans et ayant un risque ≥ 20 % de faire un accident cardiovasculaire dans les 10 années à venir.
Conclusion générale
Les recommandations 2022 de l’USPSTF deviennent à la lumière de ces observations extrêmement simples :
• Chez les sujets de 40-59 ans, l’aspirine ne peut être utilisée en prévention primaire que chez les personnes ayant un risque d’accident cardiovasculaire ≥ 10 % à une échéance de 10 ans. Toutefois l’opportunité d’initier ce type de traitement est laissée à l’appréciation du médecin traitant. En revanche, ce traitement est déconseillé chez les sujets ayant un risque hémorragique.
• Chez les sujets ayant 60 ans ou plus, il ne faut pas initier un traitement par aspirine dans le cadre d’une prévention primaire. En définitive, ces recommandations 2022 sont plus restrictives que celles de 2016 ; elles laissent peu de place à l’utilisation de l’aspirine en prévention primaire. L’USPSTF précise que la décision d’utilisation de l’aspirine en prévention primaire doit toujours être laissée à l’appréciation des professionnels de santé. De plus, les auteurs de l’université de Harvard qui ont rédigé l’éditorial consécutif à l’étude de l’USPSTF soulignent que l’aspirine reste trop souvent utilisée de manière inappropriée en prévention primaire.
Publié par Diabétologie Pratique
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