Dyslipidémies
Publié le 02 jan 2023Lecture 6 min
ARN modifiés, ARN interférents, vaccins ARN : comment s’y retrouver ?
Jean-Sébastien HULOT, département médico-universitaire cardiovasculaire & transplantation, Centre d’investigations cliniques, Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris
La crise Covid-19 aura eu un effet particulièrement inattendu : propulser sur le devant de la scène les ARN messagers et leurs applications thérapeutiques. Ces thérapies n’ont pas été inventées pour vacciner contre la Covid-19, elles étaient déjà en développement dans d’autres pathologies, dont les pathologies cardiovasculaires, et on a profité de ce savoir pour générer des vaccins ARN. Mais ce coup de projecteur rapide nous a parfois fait oublier que la famille des ARN messagers va bien au-delà des vaccins ARN. Cet article a pour objectif de donner les points de repère essentiels pour se retrouver simplement dans ce nouvel arsenal thérapeutique.
ARN messagers ? De quoi parle-t-on ?
L’arsenal thérapeutique que nous utilisions jusqu’à présent est basé sur le principe d’une interaction (directe ou indirecte) avec des protéines impliquées dans une pathologie. Il peut s’agir d’enzymes, de récepteurs, d’hormones, ce sont elles qui sont porteuses d’activité physiologique ou pathologique et elles restent donc la base du ciblage thérapeutique. Mais ces protéines proviennent de l’expression des gènes contenus dans le noyau au niveau de notre ADN. Ces protéines sont produites dans des structures spécialisées, appelées ribosomes, et qui sont à l’intérieur de nos cellules, dans le cytoplasme et pas dans le noyau. Il faut donc une molécule intermédiaire qui fait la liaison entre les plans de fabrication (contenus précieusement dans l’ADN au niveau du noyau cellulaire) et les usines de productions situées au plus proche de zones d’action. Ces molécules de transfert sont les ARN messagers. ARN est un acronyme pour acide ribonucléique. Les ARN messagers sont donc des copies d’une petite partie du code génétique et le passage de l’ADN à l’ARN s’appelle la transcription. Les ribosomes lisent et décodent l’information portée par les ARN messagers. Ce phénomène s’appelle la traduction et permet la synthèse de la protéine voulue.
Les ARN messagers sont donc des copies du code, on peut donc les cibler sans modifier le code. C’est une première notion essentielle. Ensuite, les ARN messagers sont des molécules de vie courte. En effet, les ARN n’ont aucune raison de perdurer. C’est un message, une fois lu et utilisé, une cellule n’a aucun intérêt à conserver des photocopies du code !
ARN messagers thérapeutiques ? Comment est-ce possible ?
La description des ARN messagers a été effectuée dans les années 1950, ce qui a valu le prix Nobel 1965 à deux chercheurs français : François Jacob et Jacques Monod. On les connaît donc depuis bien longtemps, alors pourquoi peut-on les utiliser à visée thérapeutique depuis aussi peu de temps ? Une raison essentielle. Les ARN sont des molécules très fragiles, très facilement dégradables d’autant plus que notre organisme est doté de nombreuses enzymes de dégradation des ARN (dites RNAses). Pour faire simple, notre organisme est doté d’un système de défense contre les ARN qui lui seraient administrés, probablement un reliquat de défense anti-infectieuse. Mais à l’heure de la lecture complète du génome humain, de la maîtrise du code génétique et de la synthèse des acides nucléiques, les choses changent. Il fallait donc trouver des moyens d’échapper à ce système de défense.
La première façon de faire : les ARN dits modifiés. Les ARN sont composés de quatre bases nucléiques (adénine, uracile, cytosine, guanine), qui s’enchaînent pour former des brins linéaires ou structurés. Ces bases nucléiques sont similaires, mais ne sont pas exactement les mêmes que celles composant l’ADN, ce qui permet aux cellules de les reconnaître distinctement, encore une fois pour mieux les éliminer. Mais on peut modifier chimiquement ces bases nucléiques, ou bien utiliser d’autres bases nucléiques naturelles, et ceci sans changer le sens du code qu’elles portent (c’est essentiel !), mais en permettant en revanche d’échapper au radar. Un camouflage naturel pour ARN : c’est le principe des ARN modifiés.
La seconde façon de faire : protéger les ARN de la dégradation en les encapsulant au sein de nanoparticules lipidiques ou chimériques. On met une sorte de bouclier autour de l’ARN, lui conférant ainsi une meilleure résistance à la destruction.
Il existe plusieurs types d’ARN utilisables en médecine
Leurs compositions chimiques sont similaires, mais leurs séquences et leurs organisations spatiales diffèrent, ce qui va expliquer des rôles différents. Ceci est une notion fondamentale, car le résultat va pouvoir être diamétralement opposé. Les principaux ARN utilisés en thérapeutique sont les ARN messagers, les ARN interférents, et les oligonucléotides anti-sens.
Les ARN messagers (ou ARNm)
C’est le principe le plus simple à comprendre. On est exactement dans la reproduction du processus naturel de traduction. On dessine un ARN messager selon le code de la protéine qu’on veut exprimer. Puis, on la protège (comme décrit précédemment), et on la transfère à l’organisme. Ce processus est exactement celui qui a été adopté pour les vaccins ARN anti-Covid-19 ! On a rapidement identifié le code de la protéine (dite spike) qui permet au virus SARS-CoV2 d’entrer dans nos cellules. On a donc pu fabriquer un ARN messager qui permet d’exprimer spike, on l’a encapsulé puis transféré via l’injection de ce nouveau vaccin. Nos cellules fabriquent alors cette protéine et la « présentent » à leur surface. Le système immunitaire la reconnaît et active les mécanismes de défense et la réponse mémoire. Ensuite, l’ARNm vaccinal est rapidement dégradé et donc ce mécanisme est très transitoire. Il s’agit ici de l’exemple le plus emblématique, probablement révolutionnaire dans le domaine des vaccins compte tenu de sa rapidité de mise en oeuvre, sa spécificité, et l’absence d’adjuvant stimulant le système immunitaire dans sa formulation. En cardiologie cependant, les exemples d’application sont beaucoup plus limités, car on a peu besoin d’une expression très transitoire d’une protéine donnée.
Les ARN interférents (ou ARNi)
Contrairement aux ARN messagers, les ARN interférents n’ont pas pour objectif d’exprimer une protéine, mais au contraire de venir empêcher la traduction naturelle d’une protéine cible. Comment est-ce possible ? À la fin des années 1990, Craig et Mello (deux prix Nobel 2006) découvrent que de toutes petites séquences d’ARN peuvent venir se coller sur l’ARN messager cible (on appelle cela un appariement), pour être prises en charge par une machinerie naturelle de destruction. Pour être précis, l’ARNi arrive dans le cytoplasme d’une cellule cible, et est chargé par un complexe qui s’appelle « RISC » pour « RNA induced silencing complex ». Ce complexe RISC – ARNi va alors vérifier tous les différents ARN messagers présents dans la cellule, comme une sorte de scanner moléculaire, jusqu’à identifier une complémentarité entre l’ARN interférent et un ARN messager cible. Si cette complémentarité est trouvée, le complexe coupe l’ARN messager et celui-ci ne peut plus être traduit, la protéine ne peut plus être produite. On appelle cela rendre « silencieux » cet ARN messager, et la petite molécule est alors baptisée ARN interférence. Et les applications thérapeutiques notamment en cardiologie vont être beaucoup plus importantes. Car il s’agit ici d’éteindre l’expression de protéines pathologiques. Le système fonctionne donc comme un inhibiteur d’un nouveau genre, mais avec deux subtilités majeures. La première est que l’on peut conjuguer chimiquement ces ARNi avec des composés qui vont permettre un adressage spécifique des ARNi dans un type de cellule donnée. En clair, et selon ce qui est fait actuellement, on peut conjuguer un super-sucre (dit GalNAc) ou un super-cholestérol et ainsi orienter l’ARNi vers les cellules du foie. C’est ainsi qu’ont été développés des ARNi thérapeutiques contre des maladies provenant de la sécrétion hépatique de protéines pathologiques. En cardiologie, c’est l’amylose à transthyrétine et c’est la dyslipidémie via un anti-PCSK9. Et d’autres conjugaisons sont possibles (comme avec des anticorps) et permettraient de cibler d’autres organes à l’avenir. La seconde : continuer les modifications chimiques pour obtenir une bien meilleure stabilité et ainsi une persistance de l’effet dans le temps. On passe donc d’un ARNm d’effet typiquement transitoire à un ARNi d’effet très prolongé dans le temps. Les nouvelles formulations permettent d’obtenir un effet prolongé sur plusieurs mois, donc d’espacer les administrations d’autant, ce qui est très profitable pour les patients en cas de maladies chroniques.
Les oligonucléotides anti-sens (ou ASO)
Ce sont de courtes séquences nucléiques (de type ARN ou ADN) qui se lient de manière spécifique à un ARN messager cible, par appariement parfait. Ensuite, ce complexe sera dégradé par une voie traditionnelle de dégradation enzymatique (RNAse H1). On est donc proche de l’idée des ARN interférents, mais sans solliciter le complexe RISC. Les possibilités semblent un peu moins grandes qu’avec les ARNi, mais certaines molécules sont développées en cardiologie, en particulier dans le champ des dyslipidémies.
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