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HTA

Publié le 19 fév 2024Lecture 11 min

Quel niveau de pression artérielle chez l’insuffisant cardiaque ?

Jennifer CAUTELA, Aix-Marseille University, University Mediterranean Center of Cardio-Oncology, Unit of Heart Failure and Valvular Heart Diseases, Department of Cardiology, Hôpital Nord, APHM, C2VN, Inserm 1263, Inrae 1260, Marseille

Chez le patient insuffisant cardiaque chronique, définir le niveau de pression artérielle idéal est un vrai défi. En effet, le praticien peut être partagé entre deux paradoxes inverses : 1. Il faut baisser la pression artérielle, car il s’agit d’un facteur de risque cardiovasculaire puissant et d’un facteur pronostic indépendant d’évolution vers l’insuffisance cardiaque congestive(1) ; 2. Une pression artérielle trop basse risque de générer des symptômes, dont de l’hypotension orthostatique, invalidants pour le patient, qui le pousserait à stopper ses traitements cardioprotecteurs(2) et une hypotension pourrait augmenter le risque de chutes et de fractures en particulier chez les personnes âgées et plusieurs études ont montré qu’une pression artérielle trop basse est un marqueur d’évolution péjoratif de l’insuffisance cardiaque, en particulier chez les patients avec fraction d’éjection réduite(3). Trouver le bon équilibre n’est donc pas tâche aisée. Enfin, tous les patients insuffisants cardiaques ne peuvent avoir les mêmes objectifs tensionnels : par exemple, les patients atteints de diabète ou de maladie rénale peuvent demander des objectifs tensionnels différents. Définir le niveau de pression artérielle optimal chez le patient insuffisant cardiaque est donc délicat, pourtant un élément clé de la prise en charge.

Quel niveau maximal de pression ? L’hypertension artérielle (HTA) est un facteur de risque cardio-vasculaire très fréquent chez le patient insuffisant cardiaque chronique (ICC). On considère que quasiment deux tiers des patients ICC ont un antécédent d’HTA(1). Et si la complication la plus fréquente de l’HTA est la cardiopathie hypertensive pouvant évoluer vers l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) préservée(4), l’HTA est aussi un puissant facteur de risque cardio-vasculaire pouvant conduire à un infarctus du myocarde et donc à terme à une insuffisance cardiaque à FEVG réduite. Pour preuve, l’étude Framingham, maintenant ancienne, mais toujours riche d’enseignement, retrouvait que 91 % des nouveaux cas d’insuffisance cardiaque étaient précédés par une histoire d’HTA(5). Enfin, l’HTA est un facteur déclenchant très fréquent des épisodes de décompensations cardiaques aiguës. Chez le patient ICC, l’HTA est donc une comorbidité à prendre en charge avec attention. En revanche, savoir quelle est la limite supérieure de pression artérielle à ne pas dépasser semble moins évident. Si l’on parcourt les recommandations de la société européenne de cardiologie (ESC) sur l’insuffisance cardiaque chronique de 2021(1), et que l’on cherche un seuil chiffré de niveau maximal de pression artérielle à respecter, il faut attendre le chapitre 12 sur les comorbidités cardio-vasculaires, et plus précisément l’HTA où l’on trouve les réponses suivantes : – « aucun essai clinique évaluant les stratégies antihypertensives et les cibles thérapeutiques chez le patient porteur d’une ICC et d’une HTA n’ont été réalisés » ; – « le traitement de l’HTA chez le patient ICC à FEVG préservée est un problème important pourtant la stratégie optimale est incertaine » ; – enfin : « les cibles de pression artérielle sont incertaines autant en cas de FEVG préservée qu’en cas de FEVG réduite ». Ainsi, aucun seuil chiffré n’est cité. Il est donc évident que l’HTA est autant une comorbidité fréquente dans l’ICC qu’une comorbidité mal connue et difficile à traiter ! Le brouillard s’épaissit dans ce chapitre des recos dédiées à l’ICC de l’ESC quand on lit : « L’âge et les comorbidités du patient peuvent aider à personnaliser les bonnes cibles de pression artérielle ». Que sont donc ces cibles ? Les recommandations de l’ESC sur la prise en charge de l’HTA de 2018 nous aident à démêler le mystère(6). Dans le chapitre dédié à HTA et cardiopathie, il est inscrit que pour les patients hypertendus porteurs d’une ICC (avec FEVG réduite ou préservée), des traitements antihypertenseurs doivent être considérés en cas de tension artérielle ≥ 140/90 mmHg. Le grade de recommandation est IIa et le niveau de preuve B, car comme le rappelaient les recos sur ICC aucun essai clinique de bonne facture n’a été mené dans ces circonstances spécifiques. Ces recos nous précisent également que les cibles thérapeutiques doivent être les mêmes en cas de FEVG préservée ou réduite. Une exception est faite des patients porteurs d’une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) : dans ce cas, la cible de tension artérielle systolique doit être entre 120 et 130 mmHg(6). Cela rappelle l’importance de personnaliser pour chaque patient les objectifs thérapeutiques comme cités dans les recos de l’ICC. D’ailleurs, des études ont également montré que chez des patients atteints de diabète, le maintien d’une PAS inférieure à 130 mmHg est associé à une réduction significative du risque de complications cardio-vasculaires(7). Chez les patients atteints de maladie rénale chronique, un objectif de PAS inférieure à 120 mmHg cette fois a été associé à une réduction du risque de progression de la maladie rénale(8). Enfin, de manière générale, et y compris chez les patients âgés, l’étude SPRINT, menée en partie chez des patients âgés de 75 ans et plus nous montre que le contrôle intensif de la pression artérielle (< 120 mmHg de pressions artérielles systoliques) apporte le bénéfice le plus prononcé sur le développement de l’insuffisance cardiaque(9). Ainsi, le vieux dogme où l’HTA doit être respectée chez les patients âgés ne peut pas être accepté chez un patient porteur d’une ICC. Chez le patient ICC, il est donc capital de prendre en charge l’HTA et de veiller au respect des objectifs thérapeutiques afin d’éviter une évolution péjorative de l’insuffisance cardiaque. Chez le patient ICC, un objectif global < 140/90 mmHg, comme la population générale, doit être au minimum respecté, et probablement un contrôle plus strict sera nécessaire chez des patients avec comorbidités plus importantes.   Comment arriver aux objectifs de niveau maximal de pression artérielle ? Le lien entre HTA et ICC réside dans le mécanisme physiopathologique intriqué de ces deux pathologies. Un cercle vicieux peut s’installer et auto-entretenir chacune des deux pathologies. Le stress pariétal myocardique engendré par l’HTA conduit à une HVG, elle-même conduisant à une cardiopathie hypertensive et à terme possiblement à de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée. Dans les deux cas, le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) est suractivé. Le système nerveux sympathique, également mis en jeu, entraine une vasoconstriction et une rétention hydrosodée, eux-mêmes favorisant l’HTA et l’insuffisance cardiaque. Les outils thérapeutiques pour traiter l’HTA chez les patients ICC, sont donc évidents : inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2), bêtabloquants (BB), antagonistes de l’aldostérone, diurétiques thiazidique proposant ainsi une double fonction antihypertensive et cardioprotective. Dans l’ICC à FEVG réduite, l’ensemble des thérapeutiques recommandées a également une action antihypertensive. L’HTA non contrôlée est donc plus rare dans ce groupe de patients ICC. Toutefois, si cela arrive, on retiendra qu’en l’absence de signes congestifs, l’amlodipine et la felodipine sont considérées comme sécuritaires d’après plusieurs études et peuvent être utilisées. En revanche, les inhibiteurs calciques bradycardisant tels que vérapamil et diltiazem ou les antihypertenseurs centraux ne sont pas conseillés, car associés à une évolution plus défavorable(1). Dans l’ICC à FEVG préservée, les recommandations ESC sur l’insuffisance cardiaque nous rappellent que les traitements utilisés dans l’ICC à FEVG réduite pourraient aussi être utilisés dans l’ICC à FEVG préservée : BB, IEC, ARA2, diurétiques et inhibiteurs calciques réduisent aussi ici l’incidence de l’insuffisance cardiaque. On notera quand même que les IEC, ARA2 et les inhibiteurs calciques réduisent plus volontiers l’HVG que les BB ou les diurétiques(1). Néanmoins, il est clair que la stratégie thérapeutique antihypertensive dans l’ICC à FEVG préservée est plus incertaine que dans l’ICC à FEVG réduite.   Quel niveau minimal de pression ? Si l’objectif maximal de pression artérielle chez le patient ICC a été difficile à préciser, savoir quel sera le seuil minimal de pression artérielle chez ces patients est encore plus compliqué. Les recommandations ESC sur l’ICC de 2021 nous précisent : « On peut tolérer un certain degré d’hypotension chez le patient ICC à FEVG réduite afin d’atteindre les posologies cibles des traitements cardioprotecteurs… mais l’hypotension doit être évitée dans l’ICC à FEVG préservée(1). » Le seuil minimal de pression artérielle est donc également un paramètre important à prendre en compte. Pourtant, si on recherche dans tout le document un seuil définissant « hypotension », aucun chiffre n’est donné. Et il en est de même dans les recommandations ESC de 2018 sur l’HTA où aucun chiffre ne définit l’hypotension ou une pression artérielle basse. Dans les grands essais cliniques sur l’ICC, le seuil de pression artérielle basse, limitant par exemple l’introduction ou la majoration d’une thérapeutique, est très variable selon les études. C’est pourtant un problème fréquent puisqu’une hypotension artérielle est rapportée dans environ 10 à 15 % de tous les grands essais(2). Dans la pratique quotidienne, cela peut même sembler un problème encore plus fréquent ! Dans l’ICC à FEVG réduite, une hypotension artérielle représentera un frein important à l’introduction et la titration des traitements cardioprotecteurs et peut être un facteur de mauvaise adhérence au traitement si le patient la tolère mal. Il faut donc traiter l’HTA, c’est important, mais l’hypotension artérielle est également un problème complexe qui peut être un frein à une bonne prise en charge du patient ICC. Alors, jusqu’où « descendre », ou plutôt ne pas descendre, les chiffres de pression artérielle dans l’ICC à FEVG préservée, ou faut-il faire baisser la pression artérielle à n’importe quel prix pour favoriser l’introduction des médicaments cardioprotecteurs dans l’ICC à FEVG réduite ? Là encore, le niveau de pression artérielle bas à respecter est un challenge thérapeutique. Mais bien sûr, une réponse existe. Il est difficile de préciser un seuil chiffré précis pour parler d’hypotension artérielle, car en pratique, en termes de limite basse de pression artérielle, ce ne sont pas les chiffres qui comptent, mais plutôt la tolérance et les symptômes ressentis par le patient. Ainsi, l’hypotension orthostatique (HTO) est elle bien définie : il s’agit d’une baisse de la pression artérielle systolique ≥ 20 mmHg ou d’une baisse de pression artérielle diastolique ≥ 10 mmHg dans les 3 minutes après le passage en position debout. Il nous est d’ailleurs rappelé que cette HTO est associée à un risque plus élevé de mortalité et d’événements cardiovasculaires(6). Pour la cible basse de pression artérielle, on ne s’intéressera donc pas aux chiffres bruts, mais aux symptômes rapportés par le patient tels que : hypotension orthostatique avérée, asthénie, étourdissement au lever, faiblesse générale… Ainsi, dans les grands essais cliniques, une hypotension artérielle est le plus souvent jugée relevante cliniquement si elle est associée à des symptômes et la prise en charge est laissée en général à l’appréciation du praticien, tant la conduite à tenir n’est pas consensuelle. Néanmoins, la littérature scientifique s’accorde quand même à dire qu’une pression artérielle systolique < 90 mmHg est certainement un seuil à ne vraiment pas dépasser(2). Une hypotension artérielle chez l’ICC peut être en lien avec un grand nombre de causes : un passage en choc cardiogénique qu’il ne faudra pas méconnaître, un excès de traitements cardioprotecteurs qui sera souvent évoqué en premier, mais qui est loin d’être l’unique mécanisme, une déshydratation par excès de diurétiques ou encore une dysautonomie chez un patient diabétique ou porteur d’une amylose… Prendre en charge une hypotension artérielle et définir le seuil minimal de pression artérielle revient donc avant tout à trouver la cause de cette hypotension et d’en apprécier le retentissement.   Comment maintenir un niveau minimal de pression artérielle ? En premier lieu, face à une pression artérielle basse chez un patient ICC, il faudra toujours éliminer un choc cardiogénique, par la recherche de signes de bas débit +/- des signes de congestion importante, car cette urgence thérapeutique justifiera toujours d’un transfert immédiat dans un service de soins intensifs cardiologiques. Puis, pour apprécier la tolérance de chiffres de pression artérielle basse, le praticien devra lors de la consultation interroger le patient sur ses symptômes et réaliser un test d’hypotension orthostatique. On recherche donc une hypotension symptomatique et il faut relier ces mêmes symptômes à l’hypotension. Par exemple, recréer les sensations vertigineuses au lever lors du test d’HTO. Si l’hypotension est certaine (par une pression artérielle systolique < 90 mmHg ou des chiffres peut être un peu plus hauts, entre 90 et 110 mmHg, mais à l’origine de symptômes invalidants), il est important de ne pas avoir pour seul réflexe de diminuer les traitements dits cardioprotecteurs, qui ont un effet bénéfique au long cours. Quelques étapes doivent d’abord être respectées comme l’illustre par un algorithme de prise en charge un consensus d’expert de 2020(2) : – tout d’abord, s’assurer qu’il s’agit d’un problème récurrent et non pas passager comme au cours d’un épisode infectieux ou de diarrhées aiguës ; – puis diminuer tous les traitements potentiellement hypotenseurs qui n’ont pas d’impact au long cours sur l’insuffisance cardiaque ou « faire la toilette de l’ordonnance ». Par exemple, s’assurer de l’absence d’hypotenseurs cachés comme les alpha-bloqueurs administrés dans l’hypertrophie bénigne de prostate ou autres vasodilatateurs ; – ensuite, il faut évaluer la volémie du patient, car souvent l’hypotension peut être reliée à une déshydratation. Dans ce cas, on peut proposer une diminution des diurétiques et une réhydratation ; – ce n’est qu’après toutes ces étapes que les traitements de l’ICC à proprement parler ayant la double casquette antihypertensive et cardioprotectrice pourront être diminués, selon le profil du patient. Par exemple, une tendance à l’hyperkaliémie nous poussera à diminuer en premier lieu les anti-aldostérones ou les IEC/ARA2. Dans l’ICC à FEVG réduite en particulier, il sera important de se rappeler qu’une petite dose de chaque médicament est sûrement préférable à une grosse dose d’une seule molécule, afin de favoriser l’action synergique de ces traitements. Et si un traitement est diminué ou supprimé, une réintroduction après résolution de l’hypotension pourra être retentée.   EN PRATIQUE • En conclusion, la prise en charge de l’hypertension artérielle chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique est essentielle pour améliorer leur pronostic et leur qualité de vie. Cependant, il est important de ne pas descendre à des niveaux de pression artérielle trop bas, car des symptômes peuvent s’associer à cette hypotension et interagir dans la prise en charge de l’ICC. Ainsi, une approche individualisée de la gestion de la pression artérielle chez ces patients est nécessaire pour obtenir un équilibre optimal entre les bénéfices et les risques du traitement antihypertenseur. • Pour finir, il est donc important de prendre en compte les comorbidités de chaque patient et de s’adapter aux besoins individuels. Les cardiologues doivent travailler en étroite collaboration avec les médecins de famille et les autres professionnels de la santé pour élaborer des stratégies de gestion de la pression artérielle efficaces et applicables en pratique.   Messages clés • Un niveau maximal de pression artérielle < 140/90 mmHg peut être proposé chez les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque chronique. Ces cibles sont les mêmes pour les patients avec FEVG réduite et préservée. En revanche, s’il existe une hypertrophie ventriculaire gauche, la pression artérielle systolique doit être maintenue < 130 mmHg. • En cas de comorbidités, telles qu’insuffisance rénale et diabète, la cible thérapeutique doit être adaptée et doit être probablement plus stricte. • Le seuil minimal de pression artérielle est avant tout celui toléré par le patient. Une hypotension orthostatique et des symptômes de mauvaise tolérance sont donc à rechercher. Toutefois, une pression artérielle systolique < 90 mmHg doit conduire à une modification thérapeutique.

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