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Cardiomyopathies

Publié le 24 avr 2024Lecture 11 min

Mise au point sur la cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique

Quentin DE BAYNAST, Chef de clinique assistant, Département de cardiologie, Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris

Décrite pour la première fois dans les années 1950, la cardiomyopathie hypertrophique (CMH) sarcomérique est une maladie génétique qui touche 1 personne sur 500 en population générale. Malgré sa longue connaissance et sa prévalence, cette maladie aux multiples facettes reste complexe à appréhender dans son ensemble. À l’occasion de la publication l’année dernière des recommandations de la Société européenne de cardiologie sur les cardiomyopathies, Cardiologie Pratique vous propose de faire un point d’étape sur celle-ci.

Diagnostic positif   En dehors de certains cas caricaturaux, le diagnostic de CMH sarcomérique est complexe. La différenciation entre cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique et d’autres causes peut être difficile ; c’est donc une approche intégrée qui doit être privilégiée. L’ensemble du tableau doit être pris en compte. La prise en charge initiale doit donc comporter a minima un examen clinique, une enquête familiale, un ECG, un holter ECG des 24 h, des analyses sanguines et une imagerie multimodale.   Symptômes Les symptômes de la CMH sont très peu spécifiques : dyspnée, douleur thoracique, syncope, palpitations, mort subite, anomalie ECG… Ainsi, un certain nombre de patients porteurs d’une cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique sont diagnostiqués de façon fortuite ou à l’occasion d’un dépistage chez les apparentés.   ETT La CMH est caractérisée en ETT par une épaisseur myocardique augmentée, quel que soit le segment concerné, y compris au niveau du ventricule droit, non expliqué par des conditions de charge (comme une HTA ou un rétrécissement aortique serré). Le seuil de 15 mm est communément admis (figure 1). Celui-ci peut être abaissé à 13 mm en cas de diagnostic de CMH porté chez un apparenté au premier degré ou en cas de faisceau d’arguments concordants (anomalie ECG, mutation génétique présente…). D’autres anomalies peuvent également être constatées, même si aucune n’est pathognomonique : épaississement septal en faux, allongement de la valve mitrale antérieure, anomalie d’insertion des piliers, gradient intra-VG et SAM (mouvement d’aspiration de valve mitrale vers le septum en systole). Figure 1. Présence d’un HVG asymétrique prédominant sur le septum, avec aspect en faux caractéristique.   Au-delà du diagnostic positif, l’ETT est nécessaire dans la prise en charge des symptômes et l’établissement du score de risque de mort subite. La recherche d’une dysfonction diastolique (via la mesure du strain) et systolique, le diamètre en parasternal grand axe de l’oreillette gauche, la recherche d’anévrisme apical et l’évaluation d’un éventuel SAM doivent être soigneusement effectués.   IRM La réalisation d’une IRM est désormais systématique dans le diagnostic positif de cardiomyopathie hypertrophique, et ceci à plusieurs fins. D’abord, celle-ci permet de mesurer à nouveau l’épaisseur myocardique. L’intérêt dans ce cas est de s’affranchir de certains artéfacts de mesure présents en échographie, qui peuvent conduire à une surestimation, comme les trabéculations et les bandelettes VD. Cependant, le principal intérêt de l’IRM réside dans le rehaussement tardif, qui correspond à la rétention de gadolinium à plus de 8 minutes de l’injection, mettant en évidence les zones de fibrose. L’atteinte typique dans la CMH sarcomérique est un rehaussement tardif « patchy » en regard des zones d’hypertrophie. L’étendue du rehaussement est corrélée avec la gravité et est un facteur supplémentaire pris en compte dans le calcul du score de risque. Il n’est pas constant et peut être absent dans certains cas, notamment débutant, sans que cela remette en cause le diagnostic. Dernièrement, l’IRM est un élément important pour mettre en évidence des arguments pour d’autres cardiopathies et orienter vers des diagnostics différentiels.   Diagnostics différentiels Le diagnostic différentiel est souvent plus difficile en cas d’augmentation isolée de l’épaisseur myocardique sur l’ETT. Même si certains aspects en échographie peuvent orienter, c’est bien un faisceau d’arguments complet qui est nécessaire pour retenir ou écarter le diagnostic. Dans le cadre d’une cardiopathie hypertensive, l’aspect de l’hypertrophie est plus volontiers concentrique et symétrique. La mesure de la tension artérielle en ambulatoire est alors essentielle pour s’orienter. L’IRM est le plus souvent normale en dehors de l’hypertrophie. En cas de doute persistant, on peut répéter l’échographie après traitement adapté de la tension artérielle, qui peut alors mettre en évidence une régression de l’hypertrophie. L’amylose cardiaque est un diagnostic différentiel important. L’aspect échographique est celui d’une hypertrophie concentrique d’aspect scintillant avec un strain altéré principalement aux bases. L’IRM cardiaque peut orienter vers une amylose en cas d’élévation du volume extra-cellulaire de façon diffuse et de rehaussement tardif diffus peu intense. La recherche de chaînes légères libres sanguines et urinaires et une biopsie (glandes salivaires, graisse abdominale...) sont essentielles pour le diagnostic d’amylose AL. La réalisation d’une scintigraphie osseuse permet de mettre en évidence une hyperfixation au niveau cardiaque, en faveur préférentiellement d’une amylose TTR. Plus rare, la maladie de Fabry donne également un aspect de cardiopathie hypertrophique. Son identification est cependant importante puisqu’il existe un traitement spécifique. L’altération du strain de la paroi latérale en ETT est un des indices. L’aspect en IRM est très évocateur avec une baisse du T1 natif et une prise de contraste inféro-latérale. La maladie de Fabry est une maladie systémique, avec une atteinte rénale fréquente, et le dosage de l’activité enzymatique alpha-galactosidase est nécessaire au diagnostic. Les différents patterns IRM sont représentés figure 2. A. Cardiopathie hypertrophique sarcomérique. Présence d'un rehaussement tardif hétérogène, présent majoritairement dans la zone de l'hypertrophie. B. Amylose cardiaque. Rehaussement tardif diffus, hypertrophie concentrique homogène. C. Cardiopathie hypertensive. Hypertrophie homogène, pas de rehaussement tardif. D. Maladie de Fabry. Prise de contraste inféro-latérale. Baisse du T1 natif (non représenté ici). Figure 2. Aspects IRM des différentes cardiopathies hypertrophiques.   Génétique et enquête familiale Dans la moitié des cas, les patients ont un historique familial de cardiomyopathie hypertrophique. La transmission est le plus fréquemment autosomique dominante. En l’absence de gène connu dans la famille, le panel complet doit être réalisé. La présence d’un variant pathogène dans un des gènes connus de la CMH sarcomérique est un argument très fort en faveur. Parmi les plus fréquents, on peut citer MYBPC3, MYH7 et TNNT2. Cette recherche génétique doit être effectuée de manière systématique une fois le diagnostic posé et peut également se faire en cas de suspicion forte pour conforter le diagnostic. Celui-ci s’effectue en centre de référence. Si un gène est identifié, on peut proposer aux apparentés au premier degré un dépistage génétique.   Prise en charge   Une fois le diagnostic confirmé, la prise en charge adaptée peut débuter. Celle-ci peut se décomposer entre la prise en charge du gradient intra-VG, de l’insuffisance cardiaque et du risque de mort subite. De façon générale, seul le patient sans gradient intra-VG, sans dyspnée et sans douleur thoracique n’a pas d’indication à un traitement, ce qui est assez peu courant en pratique. L’indication des bêtabloquants, du vérapamil ou du diltiazem est assez large, dès la présence d’une dyspnée NYHA II, d’une douleur angineuse ou d’un gradient intra-VG, avec des niveaux de preuve variables selon les indications.   Obstruction de la chambre de chasse Une obstruction de la chambre de chasse, présente chez plus de la moitié des patients, doit être systématique recherchée au repos et au cours d’une manœuvre de Valsalva. La présence de ce gradient est fortement associée aux symptômes, à la présence de troubles du rythme, au risque d’évolution vers l’insuffisance cardiaque et de mortalité. Sa recherche est donc essentielle pour guider la prise en charge. Le gradient est dynamique et peut évoluer selon les conditions de charge. Le SAM participe fréquemment à ce mécanisme de gradient intra-VG, la valve mitrale venant obstruer la chambre de chasse. Le gradient est significatif si celui-ci est supérieur à 30 mmHg, avec l’aspect caractéristique en lame de sabre (figure 3). Chez les patients symptomatiques de dyspnée d’effort et en l’absence de gradient mis en évidence, une recherche lors d’une échographie d’effort doit être proposée. En l’absence de gradient identifié et d’autres indications, le traitement n’est pas nécessaire, et une surveillance échographique annuelle doit être proposée. Figure 3. Présence d’un SAM avec gradient intra-VG significatif.   En cas de gradient intra-VG supérieur à 50 mmHg, un traitement doit être initié. Celui-ci comporte en première ligne des bêtabloquants à dose maximale tolérée ou du vérapamil/diltiazem, éventuellement associé à du disopyramide, selon l’algorithme proposé figure 4. Figure 4. Algorithme de prise en charge du gradient intra-VG.   En cas d’échec de contrôle du gradient par le traitement habituel chez un patient symptomatique, l’étape suivante a longtemps été une réduction septale interventionnelle ou chirurgicale. Cependant, une nouvelle classe thérapeutique est en train de changer la donne. En effet, cette nouvelle classe est un inhibiteur spécifique de la myosine qui diminue de façon réversible la formation de pont actinemyosine au niveau myocardique. Ce mécanisme est particulièrement intéressant car le mécanisme physiopathologie de la CMH sarcomérique est justement l’excès de formation de ces ponts. En agissant à la racine du problème, les inhibiteurs de la myosine vont diminuer la contractilité myocardique. Actuellement, seul le mavacamtem est disponible en France (depuis fin 2023). Son bénéfice a été prouvé lors de l’étude VALOR-HCM, publiée en 2022 dans le JACC. Celle-ci démontre une baisse rapide et soutenue dans le temps du gradient intraVG, permettant pour plus de 80 % de patients dans le bras traitement d’éviter la réduction septale. L’effet indésirable principal est la baisse de la FEVG, mais qui est réversible à l’arrêt du traitement. Les résultats sont donc très encourageants mais le cadre de prescription est contraignant. Il convient en effet de génotyper le cytochrome P450 2C19 afin de déterminer la posologie et le rythme d’augmentation selon les phénotypes de métaboliseurs lents ou rapides. L’échographie doit être répétée toutes les 4 semaines lors de la phase d’introduction et de titration du traitement puis tous les 3 mois lors de la phase d’entretien afin de détecter précocement une altération de la FEVG. Les perspectives de recherche actuelles se concentrent sur cette classe thérapeutique. D’autres molécules de la même classe sont en cours d’essai clinique. De plus, l’action de ces nouvelles molécules visant spécifiquement le processus physiopathologique de la maladie, des études sont en cours chez des patients sans obstruction VG mais symptomatique de dyspnée. En cas de persistance d’un gradient intra-VG significatif malgré ces différentes lignes thérapeutiques, l’étape d’après est une thérapie de réduction septale, de façon chirurgicale ou interventionnelle. Le risque principal de cette thérapie est le BAV, le bloc de branche gauche, la CIV et la fuite aortique. Celle-ci ne doit donc être réalisée que dans des centres experts. Celle-ci est indiqué en cas de gradient ≥ 50 mmHg au repos ou au Valsalva et symptôme NYHA III-IV malgré le traitement médicamenteux. Elle peut également être réalisée pour les patients NYHA II en cas de critères additionnels (dilatation OG, FA, fuite mitrale sévère sur SAM...). Le choix entre myomectomie chirurgicale et alcoolisation septale dépend de chaque patient et de l’expertise locale. En dernier recours, la désynchronisation par pacemaker ou DAI peut être discutée, sans niveau de preuve très élevé.   Place du défibrillateur automatique implantable La place du DAI en prévention de la mort subite chez le patient porteur d’une CMH sarcomérique reste une question complexe. En cas de mort subite récupérée chez un patient avec une espérance de vie supérieure à un an, l’implantation d’un DAI est recommandée avec un haut niveau de preuve. Dans les autres cas, on s’appuiera sur une multitude de paramètres pour décider ou non de l’implantation d’un DAI, mais en gardant à l’esprit que le niveau de preuve est plus faible. Le score HCM SCD, développé par l’ESC, permet d’estimer une probabilité de mort subite. Celui-ci prend en compte l’âge, l’épaisseur maximale, le gradient intra-VG maximal, la présence d’une mort subite familiale, la présence de TVNS au holter ECG et la présence de syncope inexpliquée. Si le risque est ≥ 4 % à 5 ans, il est recommandé d’implanter un DAI. Certains facteurs ne sont pas pris en compte par ce score et peuvent faire pencher la balance en faveur de l’implantation d’un DAI : FEVG < 50 %, degré d’extension du rehaussement tardif > 15 % en IRM ou présence d’un anévrisme apical. L’algorithme décisionnel est résumé figure 5. Figure 5. Indication du DAI.   Dans tous les cas, en l’absence de nécessité de stimulation ou de resynchronisation et si la morphologie du QRS le permet, un défibrillateur sous-cutané sera préféré au défibrillateur endocavitaire.   Insuffisance cardiaque L’altération de la FEVG marque un tournant évolutif dans l’histoire de la maladie d’un patient. En effet, il préexiste une altération significative de la fonction diastolique. À FEVG égale, le patient atteint de CMH est donc plus sévère qu’un patient ayant une autre cause d’altération de la FEVG. Le traitement de l’insuffisance cardiaque est le même que pour les autres étiologies d’insuffisance cardiaque. Il faut prêter une attention particulière à la volémie, car l’excès de déplétion peut majorer le gradient intra-VG.   EN PRATIQUE   La cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique est une maladie génétique dont le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments incluant les symptômes, l’histoire familiale, l’imagerie multimodale, la génétique et l’analyse sanguine. Les diagnostics différentiels d’amylose cardiaque, cardiopathie hypertensive et maladie de Fabry doivent être écartés. Le gradient intra-VG est la principale complication de l’hypertrophie et doit être recherchée régulièrement. En cas de gradient > 50 mmHg, un traitement doit être initié. Les bêtabloquants, éventuellement accompagnés de disopyramide, sont les traitements de première ligne. Les inhibiteurs de la myosine, médicament avec des résultats très significatifs dans les études, sont en train de s’imposer comme une classe thérapeutique majeure. Le risque de mort subite doit être pris en considération à chaque visite et l’implantation d’un DAI doit être discuté selon les scores de risque et certains éléments supplémentaires. L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt concernant cet article. Pour en savoir plus • Arbelo E et al. 2023 ESC Guidelines for the management of cardiomyopathies: developed by the task force on the management of cardiomyopathies of the European Society of Cardiology (ESC), Eur Heart J 2023 ; 44(37) : 3503-626. • Desai MY et al. Mavacamten in patients with hypertrophic cardiomyopathy referred for septal reduction: week 56 results from the VALOR-HCM randomized clinical trial. JAMA Cardiol 2023 ; 8(10) : 968-77

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