publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Insuffisance cardiaque

Publié le 31 jan 2025Lecture 8 min

L’étude CLEAR : la place de la colchicine pas si claire que cela

François ROUBILLE, PhyMedExp, INSERM, CNRS, Cardiology Department, INI-CRT, université de Montpellier

-

Contexte de l’étude   Rationnel pour utiliser la colchicine après un infarctus du myocarde Les voies de l’inflammation ont fait l’objet de cibles thérapeutiques au cours des années. En 2017, le canakinumab, un anticorps monoclonal humain inhibant l’IL-1β, a été étudié en prévention secondaire chez plus de 10 000 patients après infarctus du myocarde dans l’essai CANTOS (Canakinumab Anti-inflammatory Thrombosis Outcomes Study)(1). C’était la première démonstration qu’agir sur l’inflammation pouvait réduire les événements cardiovasculaires (réduction de 15 %). Malgré son bénéfice, son utilisation en pratique reste limitée en raison de son coût élevé et des effets indésirables graves auxquels il expose (infections fatales, leucopénie, thrombocytopénie notamment). La molécule n’a donc pas été développée commercialement dans cette indication. La colchicine apparaît comme l’exact opposé du canakinumab. C’est en effet un traitement antiinflammatoire connu depuis plus de deux siècles, à faible coût (7 centimes d’euros pour 1 mg en France). La colchicine est utilisée depuis des décennies dans le traitement de la goutte, la fièvre familiale méditerranéenne (en chronique et pendant de longues années), mais aussi en cardiologie dans la péricardite aiguë. Plus récemment, la colchicine a démontré son bénéfice dans la prévention cardiovasculaire primaire et secondaire. Bien que le mécanisme d’action précis de la colchicine soit mal défini, on sait qu’elle inhibe, d’une part, la polymérisation et le développement des microtubules et, d’autre part, la production d’IL-1 par les neutrophiles activés, et ainsi, qu’elle régule l’expression des récepteurs TNF-α au niveau des macrophages et les cellules endothéliales. Par conséquent, la colchicine influence de nombreux processus cellulaires, notamment la fonction de l’inflammasome, la libération de cytokines et la phagocytose au sein de la plaque d’athérosclérose(1-3). Dans l’étude LoDoCo2 (Low Dose of colchicine 2)(2), 5 522 patients avec une coronaropathie chronique stable ont été randomisés soit dans le groupe colchicine 0,5 mg par jour, soit dans le groupe placebo. La colchicine a montré une réduction significative du critère de jugement principal (infarctus, AVC, décès cardiovasculaire, revascularisation coronaire). L’étude COLCOT (COLchicine Cardiovascular Outcomes Trial)(3), un essai contrôlé randomisé incluant 4 745 patients après infarctus du myocarde, a évalué l’efficacité de la colchicine à la posologie de 0,5 mg par jour sur les événements cardiovasculaires graves (décès cardiovasculaire, arrêt cardiaque ressuscité, infarctus, AVC, hospitalisation en urgence pour revascularisation coronaire). Une réduction de ces événements de l’ordre de 23 % a été constatée dans le groupe colchicine.   Rationnel pour utiliser la spironolactone L’activation du système rénineangiotensine-aldostérone a été associée à l’inflammation vasculaire, l’apoptose myocardique et la rétention hydrosodée après un infarctus du myocarde. Bien que le blocage de l’aldostérone prolonge la survie des patients post-IDM avec insuffisance cardiaque clinique (IC) et une fonction systolique réduite(4), les données sont limitées concernant les bénéfices du blocage systématique de l’aldostérone chez les patients atteints de STEMI avec ou sans IC.   Objectifs de l’étude   L’étude CLEAR-SYNERGY(5,6) explore plusieurs hypothèses et a donc plusieurs objectifs simultanément. Le but était d’évaluer 1/ si la colchicine peut réduire les événements athéroscléreux récurrents ; et 2/ si la spironolactone peut réduire un critère composite d’insuffisance cardiaque (IC) et d’événements athéroscléreux chez les patients présentant un infarctus aigu du myocarde (STEMI) traités par angioplastie. Concernant la colchicine, le critère principal était un critère composite comprenant : décès cardiovasculaire, récidive de l’infarctus du myocarde, AVC ou revascularisation non planifiée. Les critères coprincipaux pour la spironolactone étaient également composites comprenant (1) le composé des décès cardiovasculaires, nouvelle insuffisance cardiaque, aggravation de l’IC ; et (2) le composite comprenant les décès cardiovasculaires, nouvelle insuffisance cardiaque, aggravation de l’IC, nouvel IDM ou AVC. L’essai suit donc un plan d’allocations factoriel, les patients recevant en aveugle de la colchicine à faible dose (0,5 mg par jour) par rapport à un placebo et/ou de spironolactone (25 mg par jour) par rapport à un placebo. Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé, dans lequel les patients devaient être randomisés rapidement (moins de 72 heures après l’angioplastie). Les principaux critères d’exclusion comprenaient une basse pression artérielle (systolique < 90 mmHg), une insuffisance rénale avancée (clairance de la créatinine < 30 mL/min/1,73 m2), une hyperkaliémie (> 5,0 mEq/L), une diarrhée active ou une indication pour la colchicine ou un inhibiteur des minéralocorticoïdes.   L’étude fait apparaître de nombreuses subtilités   Posologie de la colchicine La posologie de la colchicine utilisée dans l’essai était initialement basée sur le poids, les patients pesant ≥ 70 kg recevant une dose deux fois par jour pendant les trois premiers mois. Rappelons que cela est donc le double des études COLCOT et LoDoCo2. Après une analyse intermédiaire montrant des taux de discontinuation plus élevés que prévu, le dosage a été changé pour une administration quotidienne de 0,5 mg de colchicine pendant toute la période de traitement, indépendamment du poids corporel. Si les patients développaient des symptômes gastro-intestinaux, le médecin pouvait réduire la dose de colchicine/- placebo de moitié. En cas d’hyperkaliémie, la dose de spironolactone/placebo pouvait être réduite à un demi-comprimé par jour.   Taux d’événements En raison d’un taux d’événements plus bas que prévu, la taille de l’échantillon a été augmentée de 4 000 à 7 000 patients pour maintenir une puissance d’étude de 80 %, et le suivi a été prolongé pour un suivi médian estimé à 3,5 ans.   Principaux résultats : des exploits là où on ne les attendait pas !   Déroulé de l’étude : population de l’étude, recrutement Entre février 2018 et novembre 2022, l’essai a recruté 7 062 participants provenant de 104 centres dans 14 pays (environ 2 500 patients dans 4 sites en Macédoine et 500 patients en Serbie). Ces chiffres sont assez surprenants, quand on sait que la population de Macédoine compte 2 millions de personnes. Sur la base de l’épidémiologie française, ils devraient alors présenter environ 3 000 à 4 500 infarctus du myocarde aigus par an (pas nécessairement des STEMI). Recruter 2 500 STEMI dans 4 sites macédoniens relève de l’exploit homérique ! L’âge moyen des patients était de 61 ans et 20 % étaient des femmes. La grande majorité des patients ont été enrôlés après un STEMI (95 %).   Résultats neutres pour la colchicine Le composite de décès cardiovasculaire (CV), d’IM, d’AVC ou de revascularisation s’est produit au bout de 5 ans chez 9,1 % des patients dans le groupe colchicine et chez 9,3 % dans le groupe placebo (rapport de risques [HR] 0,99, intervalle de confiance [IC] à 95 % 0,85-1,16, p = 0,93). Parmi les résultats secondaires, on peut souligner la réduction des décès non cardiovasculaires dans le groupe colchicine par rapport au placebo (HR 0,68, IC 95 % 0,46-0,99). La diarrhée est survenue chez 10,2 % des patients contre 6,6 % (p < 0,001) et l’infection grave chez 2,5 % contre 2,9 % (p = 0,85).   Résultats neutres pour la spironolactone Le critère composite « IC » était de 183 patients (1,7 par 100 années/patients) dans le groupe spironolactone et de 220 événements (2,1 par 100 années-patients) dans le groupe placebo (HR 0,91, IC 95 % 0,69-1,21, p = 0,51). Le composite de décès cardiovasculaires, de nouvelles IC ou d’IC aggravée, de récidive d’IDM ou d’AVC était également comparable dans les 2 groupes (HR 0,96, IC 95 % 0,81-1,13, p = 0,60). Des événements indésirables graves ont été signalés chez 255 patients (7,2 %) dans le groupe spironolactone et 241 (6,8 %) dans le groupe placebo.   Discussion   Finalement, alors que les données anciennes (spironolactone) et récentes (colchicine) laissaient attendre des résultats positifs, l’étude cumule les déceptions. Comment l’expliquer ? La colchicine et la spironolactone devront-elles être oubliées, et ces approches physiopathologiques abandonnées, alors que les nouveaux MRA et différents anti-inflammatoires sont actuellement en développement ?   Discussion concernant la colchicine Les résultats neutres de CLEAR-SYNERGY sont en contradiction avec ceux de COLCOT, LoDoCo-2 et les méta-analyses regroupant maintenant près de 20 000 patients. Plusieurs problèmes doivent être discutés.   Impact de la pandémie Covid Dans CLEAR-SYNERGY, il y avait une réduction de 22 % de l’incidence des événements du critère principal avec la colchicine par rapport au placebo avant la pandémie. Cet effet a été perdu pendant la pandémie, avec une interaction entre la phase Covid-19 et l’effet du traitement (p < 0,10). La relation inversée entre l’incidence des IDM non fatals et des décès toutes causes dans CLEAR-SYNERGY est cohérente avec l’impact bien connu du Covid-19 : 1/ sur la prise en charge des patients ; et 2/ la sous-déclaration des événements dans la recherche. Ont été rapportées, dans certaines études, des sous-déclarations majeures proches de 60 %, ce qui pourrait largement expliquer la perte de l’efficacité pendant la pandémie.   Quelques incohérences On a déjà signalé plus haut le taux de recrutement spectaculaire de certains centres, ce qui jette un doute sur l’inclusion de patients (syndrome TOPCAT ?). D’autres résultats sont surprenants, comme l’absence de contrôle de l’inflammation (même si cela est discutable, les patients qui tireraient le plus de bénéfice de ces approches anti-inflammatoires, seraient ceux qui sont le mieux contrôlés sur le plan inflammatoire systémique). De même, on rapporte une augmentation des péricardites sous colchicine (HR 1,53, IC95% 0,88-2,65) !   Discussion concernant la spironolactone Là encore, on attendait des bénéfices significatifs, compte tenu des grands essais EPHESUS, RALES et EMPHASIS. Aux mêmes observations (résultats très inattendus), les mêmes explications, et en particulier l’impact de la pandémie Covid. Cela n’est pas non plus sans rappeler que l’étude TOPCAT avec la spironolactone était neutre, en grande partie probablement, car les patients recrutés en Russie et Géorgie ne semblaient tout simplement pas malades, contrairement aux patients d’Amérique du Nord. Figure 1. Effet de la colchicine. Courbes des événements de Kaplan-Meier pour les décès d’origine cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde récurrent, l’accident vasculaire cérébral ou la revascularisation guidée par l’ischémie. Figure 2. Effet de la spironolactone. Courbes des événements de Kaplan-Meier pour les résultats principaux. A. Courbes de survie montrant les décès d’origine cardiovasculaire ou insuffisance cardiaque nouvelle ou aggravée. B. Courbes de survie montrant le composite de décès d’origine cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou d’insuffisance cardiaque nouvelle ou aggravée.   EN PRATIQUE   • L’étude est très originale, par le plan factoriel et les différentes hypothèses testées en même temps, sans compter l’effet « synergique » auquel on pouvait s’attendre. • Toutefois, les résultats semblent à ce stade devoir être considérés avec précaution, voire circonspection, quand on analyse le plan de recrutement pour le moins fantaisiste, un taux d’arrêt de traitement très élevé (plus de 25 % !), un taux d’événements très faible, un impact de la pandémie majeur. Il est difficile de montrer un impact d’un médicament qui n’est plus pris chez un quart des patients, lesquels présentent peu d’événements (événements non rapportés ? Patients bien portants ?), et sont inclus à des taux homériques dans certains centres. • Des analyses plus approfondies seront sans doute nécessaires, pour y voir plus clair. D’ici là, ni clarté ni synergie.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 4 sur 68

Vidéo sur le même thème