Insuffisance cardiaque
Publié le 15 oct 2023Lecture 5 min
Insuffisance cardiaque : et si c’était une amylose...
Les amyloses cardiaques sont des maladies relativement rares, rapidement évolutives et dont le pronostic est sombre en l’absence de traitement. Or, il existe désormais des possibilités thérapeutiques en fonction des diffé- rentes formes de la maladie. C’est le cas en particulier de l’amylose à transthyrétine pour laquelle un traitement spécifique permet de ralentir efficacement la progression de la maladie. Encore faut-il en faire le diagnostic le plus tôt possible. C’est le rôle du cardiologue qui, sur la base de symptômes à rechercher chez tout patient insuffisant cardiaque, doit l’alerter et l’amener à effectuer les premiers examens complémentaires et à l’adresser à un Centre expert qui pourra confirmer le diagnostic et initier le traitement. Son rôle consistera ensuite à évaluer à intervalles réguliers l’évolution de la maladie sous traitement.
Les amyloses cardiaques se caractérisent par le dépôt dans le milieu extracellulaire de fibrilles amyloïdes dans le cœur mais également dans de nombreux organes tels que le système nerveux périphérique, le tube digestif, les glandes salivaires, les canaux carpiens, la graisse sous-cutanée, le système ORL, autant d’atteintes qui peuvent précéder l’atteinte cardiaque. Il existe essentiellement trois formes d’amylose cardiaque : l’amylose AL (à chaînes légères d’immunoglobuline), l’amylose à transthyrétine sauvage ou amylose sénile (ATTRwt) et l’amylose à transthyrétine héréditaire dite encore mutée ou familiale (ATTRv). L’amylose cardiaque à transthyrétine (ATTR) atteint très majoritairement les hommes, sa fréquence augmente avec l’âge et on estime qu’elle atteint plus de 10 % des patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée(1).
Des symptômes qui doivent alerter
L’ATTR est historiquement considérée comme une pathologie rare du fait que cette pathologie est largement sous-diagnostiquée. Aussi, est-il important, face à chaque patient insuffisant cardiaque, de rechercher des signes évocateurs dont une histoire familiale d’amylose. Ainsi, en dehors des symptômes classiques de l’insuffisance cardiaque, d’autres signes cardiovasculaires, dont la présence est variable d’un sujet à l’autre, doivent faire évoquer une amylose cardiaque : une hypertrophie du ventricule gauche contrastant avec un microvoltage à l’ECG, une mesure du strain qui donne un aspect typiquement en cocarde, une insuffisance cardiaque à FEVG préservée associée à l’absence d’hypertension, une sténose aortique, un angor à coronaires normales, une fibrillation atriale, des troubles de la conduction, une hypertrophie ventriculaire droite, une hypotension orthostatique, des AVC emboliques répétés. Les biomarqueurs cardiaques montrent souvent une discordance entre un niveau disproportionnellement élevé de NT-proBNP pour le degré d’anomalies échographiques. Une élévation de la troponine en plateau peut parfois orienter à tort vers une cardiopathie ischémique.
Par ailleurs, plusieurs signes extra-cardiaques tels qu’un syndrome du canal carpien bilatéral, une rupture spontanée du chef long du biceps, une macroglossie, une sténose du canal lombaire, une neuropathie périphérique, une surdité, doivent attirer l’attention car ils sont souvent associés à une amylose cardiaque et peuvent, pour certains d’entre eux, précéder de 5 à 10 ans la maladie cardiaque(2,3).
La démarche diagnostique
Au-delà de l’ECG et de l’échographie cardiaque, l’IRM cardiaque peut contribuer au diagnostic d’amylose sans pour autant permettre de distinguer l’amylose AL de l’ATTR.
La scintigraphie osseuse qui utilise les traceurs des biphosphonates marque les dépôts d’amylose cardiaque. Cet examen est plus spécifique des dépôts amyloïdes composés de transthyrétine que de chaînes légères qui caractérisent l’amylose AL. Aussi, une fixation myocardique intense à la scintigraphie est-elle en faveur d’une ATTR, qu’elle soit héréditaire ou sénile(4), surtout si elle n’est pas associée à une gammapathie monoclonale, caractéristique d’une amylose cardiaque AL. Le diagnostic différentiel entre amylose AL et ATTR nécessite une électrophorèse et une immunofixation des protéines sériques, le dosage des chaînes libres sériques (kappa ou lambda) et la recherche d’une protéinurie de Bence Jones(5).
Il peut être nécessaire d’effectuer un examen anatomo-pathologique à partir d’une biopsie soit des glandes salivaires, soit de la graisse abdominale.
Le prélèvement permet de réaliser une coloration en rouge Congo, qui, si elle est positive, fait le diagnostic d’amylose. La négativité de ces biopsies ne doit pas éliminer le diagnostic, mais doit conduire à effectuer d’autres biopsies sur d’autres organes, particulièrement une biopsie cardiaque. L’immunohistochimie permet de typer l’amylose en utilisant plusieurs types d’anticorps (antitransthyrétine, anti-kappa, anti-lambda...). Si l’immuno-histochimie ne permet pas d’identifier formellement le type de protéine impliquée, elle sera complétée par une analyse protéomique grâce à la spectrométrie de masse(6). Enfin, l’analyse du gène de la transthyrétine permet d’identifier la forme héréditaire de l’ATTR. Ce génotypage est essentiel pour le dépistage familial et donc pour les traitements qui pourront être proposés aux membres de la famille concernés.
Si certains des examens cités peuvent être effectués aisément, il est nécessaire d’adresser les patients concernés au Centre expert le plus proche (la liste est disponible sur le site reseau-amylose.org) qui effectuera les examens spécialisés et qui initiera le traitement spécifique.
Prise en charge thérapeutique
En dehors du traitement spécifique de l’amylose, il s’agit de traiter l’insuffisance cardiaque, et ce, indépendamment du traitement des atteintes extracardiaques.
Le traitement de l’amylose cardiaque symptomatique comporte avant tout un diurétique de l’anse, associé ou non avec un antagoniste des récepteurs minéralo-corticoïdes.
Les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les bloqueurs de l’angiotensine sont très souvent mal tolérés (hypotension, fatigue), de même que les inhibiteurs calciques. D’ailleurs, une intolérance tensionnelle pour ces antihypertenseurs prescrits depuis longtemps doit faire suspecter une amylose cardiaque. Le risque élevé d’événements thromboemboliques chez les patients atteints d’amylose cardiaque justifie de discuter l’intérêt d’un traitement anticoagulant pour chaque patient en évaluant la balance bénéfices (préventions des thromboses)/risques (hémorragies gastriques).
La prévention des troubles conductifs peut conduire à l’implantation d’un pacemaker ou d’un défibrillateur.
La présence d’une sténose aortique, fréquente chez les patients atteints d’amylose, ne doit pas contre-indiquer la réalisation d’un TAVI.
Suivi du patient
Une fois le bilan effectué et le traitement initié par le Centre expert (la liste des Centres experts est disponible sur le site reseau-amylose.org), le suivi du patient consiste à effectuer une évaluation clinique et fonctionnelle au moins tous les 6 mois à la recherche de facteurs de progression de la maladie (stade NYHA, qualité de vie, test de marche de 6 min, hospitalisation pour insuffisance cardiaque), à l’aide éventuellement de la télésurveillance. Le score ATTR permet de classifier la gravité selon la biologie et d’évaluer l’espérance de vie du patient : il est basé sur la clairance de la créatinine et le NT-proBNP. Par ailleurs, une augmentation en 6 mois de plus de 30 % du NT-proBNP et/ou de la troponine ultra-sensible est significatif de la progression de la maladie(8).
En conclusion, un diagnostic et une prise en charge précoces de l’amylose cardiaque à TTR sont aujourd’hui essentiels du fait qu’il existe désormais un traitement spécifique efficace sur l’évolution de cette maladie.
Algorithme diagnostique pour le diagnostic d’amylose cardiaque(7).
Gérard GERTNER
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