Publié le 07 fév 2013Lecture 10 min
Recommandations européennes - Traitement des syndromes coronaires aigus sans sus-décalage du segment ST
M. ELBAZ, hôpital Rangueil, CHU de Toulouse
Ce chapitre est consacré aux préconisations européennes, tant en ce qui concerne le traitement médicamenteux qu’en ce qui concerne la stratégie invasive.
Peu de nouveautés concernent les agents anti-ischémiques. Les dérivés nitrés intraveineux peuvent être utilisés si l’hémodynamique le permet en cas de douleurs récurrentes (I-C).
Les bêtabloquants restent la référence notamment chez les patients présentant une dysfonction VG en l’absence de contre-indication (I-B). Les antagonistes calciques sont une alternative en cas de contre-indication aux bêtabloquants ou en association dans les ischémies sévères (I-B) et dans les cas d’angor spastique (I-C).
Bien entendu, les antagonistes calciques de la catégorie des dihydropyridines sont contre-indiqués (recommandation III-B).
Agents antiagrégants plaquettaires
(tableau)
Tableau. Recommandations pour les agents antiagrégants plaquettaires (adaptées Recommandations ESC 2011).
Les agents antithrombotiques et particulièrement antiplaquettaires sont essentiels dans le traitement en raison du rôle pivot de la thrombose dans la physiopathologie des SCA.
Aspirine(1)
Dose de 150 à 300 mg en dose de charge suivie d’une dose quotidienne de 75 à 100 mg (recommandation I-A).
Les inhibiteurs des récepteurs P2Y12
Les recommandations soulignent la nécessité d’associer le plus tôt possible un inhibiteur de P2Y12 à l’aspirine avec maintien de la double antiagrégation pendant 12 mois sauf risque excessif de saignement (recommandation I-A).
Le clopidogrel était la molécule de référence dans les SCA NSTEMI, à la dose de charge de 300 mg, puis 75 mg/j en association à l’aspirine depuis les essais CURE(2) et PCI-CURE (diminution du critère composite principal 9,3 % vs 11,4 % ; RR : 0,80 ; IC 95 % : 0,72-0,90 ; p < 0.001). Le clopidogrel est une pro-drogue, transformée en principe actif au niveau hépatique qui pose deux problèmes essentiels :
- un faible niveau d’inhibition plaquettaire initial (25-40 % d’inhibition plaquettaire, 24 heures après dose de charge) ;
- des phénomènes de résistance d’origine multifactoriels incluant des facteurs génétiques dont le polymorphisme du CYP2C19 pouvant aboutir à une perte totale ou partielle d’efficacité(3,4).
Dans l’essai CURRENT-OASIS(5), il a été démontré une amélioration significative du critère de jugement avec une dose de charge de 600 mg de clopidogrel puis 150 mg pendant 1 semaine, puis 75 mg avec un excès modéré de saignements.
Une des modifications essentielles des nouvelles recommandations au regard des anciennes porte sur la place des nouvelles molécules inhibitrices de P2Y12 : prasugrel et ticagrélor.
Le prasugrel est une thiénopyridine et une prodrogue comme le clopidogrel. Néanmoins, la rapidité de la réponse biologique et le degré d’inhibition de l’agrégation plaquettaire sont beaucoup plus rapides et élevés (70 % blocage après 2 h). Cette molécule a été testée dans plusieurs essais dont le principal à ce jour est l’essai TRITON-TIMI 38(6) ayant inclus plus de 13 000 patients randomisés après avoir bénéficié d’une exploration angio-coronarographique et en prévision d’une angioplastie (pas de clopidogrel au préalable en dose de charge).
Cette étude montre un bénéfice de la prescription de prasugrel (60 mg en dose de charge puis 10 mg/j vs clopidogrel 300 mg puis 75 mg) sur le critère principal de jugement (9,3% vs 11,2% ; p = 0,002), bénéfice essentiellement lié à la diminution des récurrences d’infarctus.
La prescription de prasugrel s’accompagne d’un surcoût hémorragique (2,4 % vs 1,8 % ; p = 0,03), particulièrement chez les patients âgés de plus de 75 ans et ceux pesant moins de 60 kg avec perte du bénéfice clinique. Le bénéfice de la prescription de prasugrel est particulièrement significatif chez les patients diabétiques.
Les limites consécutives au schéma de l’étude TRITON(6)(étude limitée aux patients bénéficiant d’angioplastie coronaire et indemnes de précharge par clopidogrel) aboutissent à une recommandation de niveau élevé I-B mais limitée. Deux nouveaux essais sont en cours (TRILOGY et ACCOAST) dont les résultats sont attendus.
Le ticagrélor appartient à une nouvelle classe d’agents antiagrégants oraux, cyclopentyl-triazolopyrimidine. C’est un agent bloqueur du récepteur P2Y12, dont la demi-vie est courte (12 h) avec réversibilité de l’effet. Son action est rapide avec blocage élevé de l’activité plaquettaire (70 % blocage après 2 h). L’efficacité de la molécule a été testée dans l’essai PLATO(7) ayant inclus plus de 18 000 patients dans les suites d’un SCA récent. Les patients ont reçu ticagrélor (dose de charge 180 mg puis 90 mg 2 fois par jour versus 300 mg de clopidogrel suivi de 75 mg ; les patients bénéficiant d’une angioplastie sous clopidogrel pouvaient recevoir une dose additionnelle de 300 mg ou un placebo ; ceux sous ticagrélor une dose de 90 mg).
Les résultats du critère composite principal ont montré un bénéfice de la stratégie ticagrélor (9,8 % vs 11,7 % ; p < 0,001). Il faut souligner la baisse de mortalité totale et cardiovasculaire (critères secondaires) et la diminution des saignements dans le groupe de patients traités par ticagrélor et ayant à bénéficier d’une chirurgie cardiaque. Le schéma d’étude est sensiblement différent de l’essai TRITON(6) puisque les patients inclus dans PLATO(7) ont été randomisés avant une coronarographie éventuelle (30 % des patients n’ont pas eu d’angioplastie coronaire). Les résultats sont maintenus dans la sous-étude « PLATO planned invasive strategy »(8).
Les effets indésirables bradycardies mineures et dyspnées pouvant aboutir à l’arrêt du ticagrelor semblent liés à l’effet adénosine-like de la molécule lors de son métabolisme.
La recommandation de prescription est de niveau I-B pour tous les patients présentant un SCA, indépendamment de la stratégie initiale de prise en charge.
Il n’est pas recommandé d’interrompre prématurément la double antiagrégation(9), quelle que soit la molécule associée à l’aspirine, après implantation d’endoprothèse coronaire en raison du risque majeur de thrombose : recommandation I-A.
Néanmoins, si la prothèse implantée est non couverte et la chirurgie considérée à haut risque hémorragique, un arrêt, si possible transitoire d’un antiagrégant peut être autorisé 1 mois après le SCA. Dans tous les autres cas, il est recommandé de poursuivre la double antiagrégation 1 an. Si un arrêt est impératif (exemple neurochirurgie), aucune alternative thérapeutique efficace n’est reconnue.
Un inhibiteur de la pompe à proton (si possible éviter l’oméprazole) est recommandé chez les patients à risque (antécédent d’hémorragie digestive ou ulcère, âge, etc.) en association à la double antiagrégation plaquettaire : recommandation I-A.
Les inhibiteurs des récepteurs GP IIb/IIIa
Ces molécules ne doivent pas être prescrites de façon usuelle avant une exploration invasive (recommandation III-A) ou chez les patients traités de façon non invasive sous double antiagrégation plaquettaire (III-A). Ils peuvent néanmoins être utilisés dans des situations à haut risque en association aux antiagrégants et anticoagulants si le risque hémorragique paraît acceptable.
Anticoagulants
Les anticoagulants inhibent de façon directe la coagulation par une action sur le facteur Xa (apixaban, rivaroxaban, otamixaban) ou sur la thrombine (dabigatran, bivalirudine) ou de façon indirecte (héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire, fondaparinux).
L’anticoagulation est recommandée en association aux antiagrégants : I-A.
Il n’est pas recommandé de changer d’anticoagulant en cours de traitement en particulier entre une héparine non fractionnée et une héparine de bas poids moléculaire : III-B.
Chez les patients ne bénéficiant pas de stratégie invasive les anticoagulants peuvent être poursuivis jusqu’à la sortie de l’hôpital : I-A.
Chez les patients après réalisation de l’angioplastie, l’anticoagulation peut être arrêtée : IIa-C
Dans les SCA, le seul inhibiteur du facteur Xa qui soit utilisable actuellement est le fondaparinux à la dose de 2,5 mg/j. L’essai OASIS 5(10) a comparé le fondaparinux 2,5 mg à à l’énoxaparine chez plus de 20 000 patients. L’objectif de non-infériorité a été obtenu pour les événements ischémiques (critère d’efficacité) avec une diminution de moitié des événements hémorragiques (critère de tolérance) aboutissant à une recommandation I-A. Il faut néanmoins associer une petite dose d’héparine non fractionnée en cas de stratégie invasive en raison d’une augmentation des thromboses sur cathéter (85 UI/kg) : recommandation I-B.
L’énoxaparine est recommandée lorsque le fondaparinux n’est pas utilisé : recommandation I-B.
L’héparine non fractionnée est recommandée si les deux précédentes ne le sont pas : recommandation I-C.
Cas particulier de la bivalirudine
Cette molécule a été étudiée dans le SCA NSTEMI dans l’essai ACUITY(11) (plus de 12 000 patients) dans une stratégie comparative en trois bras : héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire associée aux perfusions d’un agent anti-GPIIb/IIIa versus bivalirudine et anti-GPIIb/IIIa versus bivalirudine seule. La bivalirudine utilisée seule a été non inférieure à l’association héparine et anti-GPIIb/IIIa avec une diminution nette des événements hémorragiques. Cette molécule peut être considérée comme une stratégie alternative : recommandation I-B.
Stratégie invasive dans les SCA NSTEMI(12-16)
En l’absence d’élévation de troponine, l’exploration coronaire invasive peut être différée ou le plus souvent non réalisée. Il est recommandé de documenter l’ischémie par des tests non-invasifs : I-A.
La stratégie invasive est recommandée dans les SCA NSTEMI avec élévation de troponine dans les 72 heures : I-A.
Le moment de la réalisation de l’exploration coronaire et le choix du mode de revascularisation (angioplastie ou chirurgie) dépendent de nombreux facteurs. La probabilité diagnostique et la stratification pronostique sont essentielles. L’intérêt d’établir des scores a déjà été souligné. Chez les patients à risque pronostique très élevé ou élevé, l’intérêt de l’approche invasive urgente ou précoce est avéré(12-16). Le délai de réalisation de la coronarographie et éventuellement de l’angioplastie est inférieur à 2 heures chez les patients présentant un très haut risque ischémique (angor réfractaire, insuffisance cardiaque, troubles du rythme ou instabilité hémodynamique) : I-C.
Les patients présentant un score GRACE > 140 et une absence de critère d’urgence absolue doivent bénéficier d’une stratégie invasive précoce (12-24 heures) : I-A.
La plupart des essais (ELISA, ISAAR-COOL, TIMACS) ont montré un bénéfice de cette stratégie précoce.
Les patients diabétiques doivent être explorés dans les 24 heures suivant le SCA NSTEMI (I-A) en veillant soigneusement à l’équilibre glycémique et à protéger la fonction rénale (I-C). La chirurgie est privilégiée en cas de lésions diffuses ou touchant le tronc commun gauche.
Pour les patients présentant un SCA NSTEMI authentifié et un risque pronostique bas ou intermédiaire, le bénéfice d’une exploration précoce n’est pas établi et la stratégie invasive peut être mise en œuvre jusqu’à la 72e heure.
Le choix de la technique de revascularisation coronaire appropriée fait référence aux recommandations européennes 2010(17). Plusieurs principes sont rappelés :
• la stratégie de revascularisation (chirurgie ou angioplastie doit être discutée) en fonction de l’anatomie coronaire, des caractéristiques et du nombre de lésions, du calcul éventuel du Syntax score et surtout de la discussion collégiale selon des protocoles établis localement (notion de « Heart Team ») : I-C.
• L’angioplastie des lésions non significatives n’est pas recommandée : III-C.
Cas particuliers(18,19)
Les recommandations nous rappellent la présentation fréquemment atypique des symptômes chez les personnes âgées de plus de 75 ans. Les décisions thérapeutiques doivent être prises en intégrant les co-morbidités, l’espérance et la qualité de vie. Le rapport bénéfice/risque doit être évalué et les drogues antithrombotiques ajustées.
La fonction rénale doit être évaluée par le calcul de la clairance de la créatinine chez tous les patients, avec une attention particulière aux personnes âgées, femmes et patients de faible poids : I-C.
En cas d’insuffisance rénale, les anticoagulants doivent être ajustés. En cas d’insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 ml/min) les héparines non fractionnées sont recommandées : I-B.
Il n’y a pas de problème particulier avec les antiagrégants plaquettaires oraux qui doivent être donnés de façon normale : I-B.
Chez les patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche il est recommandé de ne pas omettre le traitement bêtabloqueur et antialdostérone (en particulier éplérénone) : I-A.
Traitements au long cours
Il est recommandé de prescrire une statine avec un objectif abaissé de LDL-cholestérol : < 0,7 g/l : I-B.
L’aspirine est prescrite à vie associée à un inhibiteur des récepteurs P2Y12 pour une durée d’1 an.
Les bêtabloqueurs et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) sont recommandées si la FEVG < 40 % : I-A.
Les IEC peuvent être prescrits chez les patients diabétiques, hypertendus, insuffisants rénaux (I-A) ou à haut risque ischémique (I-B).
Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (plutôt telmisartan) sont recommandés en cas de contre-indication ou intolérance aux IEC : I-B.
Les médicaments antialdostérone (plutôt éplérénone) doivent être prescrits chez les patients avec une FEVG < 35 % et une fonction rénale non sévèrement atteinte : I-A.
Conclusions
Les patients dont le diagnostic n’est pas avéré ne bénéficient pas d’une approche invasive.
Les patients dont le diagnostic est confirmé bénéficient d’une stratégie invasive dont le délai de réalisation est défini par des critères précis que nous rappellent les recommandations (score GRACE, critères d’urgence, diabète, etc.).
L’environnement anticoagulant et antiagrégant doit être optimal.
De nouvelles molécules sont validées dont l’usage est privilégié.
Les modalités de la revascularisation doivent être discutées par l’équipe médicochirurgicale.
Le traitement de sortie doit être adapté mais les mesures hygiénodiététiques et l’association statine et double antiagrégation plaquettaire constituent la base incontournable à laquelle pourront s’agréger en fonction des situations d’autres thérapeutiques.
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