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Prévention et protection

Publié le 23 nov 2010Lecture 7 min

La prévention est-elle le meilleur outil pour améliorer le pronostic cardiovasculaire ?

F. PHILIPPE, Institut Mutualiste Montsouris, Paris

CNCF
Depuis 2 ans, aux États-Unis comme en France, la mortalité coronaire est devenue inférieure à la mortalité par cancer. La baisse de la mortalité coronaire a débuté dans les pays industrialisés au cours des années 1960 pour se poursuivre régulièrement depuis. Entre 1970 et 1984, une réduction de 35 % a été obtenue aux États-Unis. Malgré ce déclin, la morbi-mortalité est restée importante et responsable d’un coût de santé publique considérable. En 1994, Claude Lenfant a estimé qu’il serait possible d’atteindre une réduction de mortalité de 6 % par an et de 50 % en 10 ans à la condition d’appliquer une stratégie de prise en charge multifactorielle.

Cet objectif a pu être atteint mais a nécessité 20 ans et a permis d’éviter 341 745 décès coronaire aux Etats-Unis. Ce résultat a été corroboré au Canada où a été observée une réduction de 35 % en 10 ans entre 1994 et 2005. Dans le même temps, la mortalité coronaire a augmenté de 50 % à Pékin. La comparaison de ces populations, de leur mode de vie et de la prise en charge sanitaire devrait nous permettre d’analyser et de hiérarchiser les mécanismes qui ont prévalu dans ces évolutions contraires. Sur quelles étapes clés du continuum du risque cardiovasculaire devons-nous agir ? Quels bénéfices peut-on attribuer aux traitements des facteurs de risque et aux traitements spécifiques de la maladie coronaire ? Quels sont les impacts respectifs de la prévention primaire et de la prévention secondaire ? Quel est l’apport de la revascularisation myocardique ? Le continuum du risque cardiovasculaire La figure 1 illustre les étapes du continuum du risque cardiovasculaire. Débutant dès les premières années de vie par l’exposition aux facteurs de risque cardiovasculaire, le processus athérothrombotique se poursuit pendant plusieurs années sur un mode asymptomatique chez des sujets bien portants relevant d’une stratégie de prévention primaire (prévenir le premier événement cardiovasculaire). La survenue d’un événement clinique aigu inaugural (syndrome coronaire aigu, mort subite, accident vasculaire cérébral) marque le plus souvent le passage au statut de sujets symptomatiques relevant de la prévention secondaire (prévenir une récidive d’événement cardiovasculaire). La frontière est le plus souvent ténue, un sujet sain un matin peut se révéler coronarien 1 heure plus tard l’après-midi après un infarctus inaugural. L’enjeu primordial est de pouvoir identifier le plus tôt possible les sujets sains à haut risque cardiovasculaire, afin de leur éviter le premier événement inaugural. Figure 1. Continuum du risque cardiovasculaire et places des différents types de prévention. Les étapes de la prévention sont ainsi désignées : – une prévention primaire vise les facteurs de risque par une prise en charge précoce hygiéno-diététique et médicamenteuse le cas échéant, selon le niveau de risque global ; – l’identification des sujets sains à haut risque cardiovasculaire (score de Framingham > 20 %, ou SCORE > 5 %) indique assurément le recours à une stratégie agressive ; – une prévention secondaire « précoce » hospitalière lors de l’événement aigu inaugural doit combiner la revascularisation d’urgence et l’initiation de la stratégie BASIC ; – une prévention secondaire ambulatoire réévalue le patient, adapte la stratégie BASIC à la vie réelle et a recours, le cas échéant, à la revascularisation programmée quand le niveau d’ischémie myocardique le justifie. Les évaluations dans le monde réel Depuis une dizaine d’années plusieurs publications ont analysé l’évolution de la mortalité coronaire et essayé de préciser les parts respectives des différentes modalités de prise en charge dans le bénéfice observé. La méthode de travail commune consiste à relever la mortalité mesurée puis à modéliser le bénéfice attribuable à chaque stratégie sur la base des preuves cliniques validées par les essais randomisés et à pondérer selon les données des registres de prescription et d’observance du monde réel. À travers plusieurs enquêtes similaires réalisées en Europe, aux états-Unis et en Nouvelle-Zélande, la figure 2 révèle que la réduction de mortalité revient à parts égales aux traitements des facteurs de risque et aux traitements spécifiques de la maladie coronaire. L’apport de la revascularisation est essentiel au cours des événements cliniques aigus inauguraux mais apparaît moindre dans l’histoire chronique sauf à considérer les patients ayant un haut niveau d’ischémie myocardique résiduelle. Figure 2. Les objectifs de la stratégie BASIC en prévention secondaire. “Lower is better”, sans réserve ? Inaugurée pour la prise en charge des dyslipidémies, cette stratégie littéralement explicite « plus c’est bas, mieux c’est » a été testée vis-à-vis d’autres facteurs de risque dans les domaines de l’hypertension artérielle et du diabète avec des résultats parfois discordants obligeant à moduler le message : – dans l’HTA : “lower is better” est validé à l’exception des sujets âgés, fragiles, d’autant plus qu’ils sont coronariens et/ou diabétiques, situations pour lesquelles les plus forts abaissements tensionnels sont associés à une recrudescence d’événements cardiovasculaires ; – dans le diabète : “lower is better”  est validé pour la prise charge effectuée au cours des premières années d’évolution de la maladie métabolique, mais est infirmé dans les formes plus tardives quand l’escalade thérapeutique peut majorer le risque d’hypoglycémie et ses conséquences chez des sujets âgés alors souvent polyartériels ; – dans les dyslipidémies : “lower is better” est solidement validé, à l’exception des situations les plus “terminales” du continuum du risque cardiovasculaire telles que l’insuffisance cardiaque et l’insuffisance rénale terminale hémodialysée dans lesquelles l’abaissement du LDL-cholestérol n’a pas été associé à une amélioration du pronostic. Dès lors se dessine une pondération du “lower is better” selon la situation clinique des patients dans le continuum du risque cardiovasculaire. Plus tôt la stratégie est applicable et appliquée, plus son bénéfice sera ample. Plus tard elle sera utilisée, moindre sera son intérêt, et même plus elle pourra comporter des inconvénients. Si bien que l’on peut résumer cette pondération à “sooner is better”. La stratégie BASIC, initiation hospitalière et réévaluation ambulatoire La stratégie BASIC (Bêtabloquant, Antiagrégant plaquettaire, Statine, IEC, Contrôle des facteurs de risque) est la clé du pronostic du coronarien chronique. Un très vaste registre anglais a démontré que son application exhaustive permettait d’obtenir jusqu’à 80 % de réduction de mortalité par rapport aux coronariens équivalents non traités médicalement. Toutefois, si l’initiation hospitalière joue un rôle clé, la réévaluation ambulatoire est tout aussi importante pour mesurer l’observance qui peut être défectueuse dans plus de 20 % des cas, juger de la tolérance et surtout ajuster les stratégies médicamenteuses pour atteindre les objectifs quantitatifs résumés dans la figure page une (tabac = 0, LDL-cholestérol < 0,70 g/l, FC < 70/min, HbA1c < 7 %). Que penser de l’efficience ? L’efficience (le rapport coût/efficacité) de ces stratégies de prévention va immanquablement faire son irruption dans nos réflexions, sinon dans celles des économistes de santé. Cette notion intègre le coût individuel et bien sûr collectif d’un traitement au regard du bénéfice attendu dans la population concernée et en fonction de son étendue. Le NNT (number needed to treat) est utilisé pour désigner ainsi le nombre de sujets qu’il est nécessaire de traiter pendant une période définie pour qu’au moins un de ces patients ait bénéficié avec certitude du traitement préventif. En d’autres termes, faut-il privilégier une stratégie rentable à NNT faible sur une population restreinte, comme c’est le cas actuellement de la prévention secondaire, et par contraste « freiner » une stratégie moins rentable à NNT élevé sur une population large telle que celle des sujets bien portants hypertendus ou hypercholestérolémiques ? À titre indicatif, le tableau 1 élaboré par Paul Ridker met en perspective différentes stratégies sur le critère de NNT à 5 ans, introduisant ainsi une « nouvelle » population assez large, celle des sujets bien portants mais à haut risque cardiovasculaire (score de Framingham > 20 %) pour lesquels un traitement par statine aboutit à un NNT remarquablement bas. En pratique Prise en charge des facteurs de risque et traitements spécifiques de la maladie coronaire concourent chacun pour moitié à la réduction importante de la mortalité coronaire observée depuis 20 ans dans les pays industrialisés. Si globalement une stratégie de prévention primaire obéissant au “lower is better” est admise et recommandée pour le contrôle des facteurs de risque, une pondération récente a été apportée pour souligner l’intérêt d’une mise en œuvre précoce et les limites de son application trop tardive dans le continuum du risque. Désormais “sooner is better”. Initier BASIC après un événement aigu est capital, mais un patient aura toute ses chances seulement si une réévaluation ambulatoire assure l’atteinte des objectifs. La prévention cardiovasculaire est une longue marche semée d’embûches mais très gratifiante eu égard au résultat actuellement obtenu. Toutefois, gardons-nous de crier victoire car l’acquis est fragile et la marche arrière peut vite annihiler ce bénéfice. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qui se passe en Chine, notamment à Pékin, où l’occidentalisation du mode de vie hygiéno-diététique a conduit à une augmentation de 50 % de la mortalité coronaire entre 1984 et 1999.     

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