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Thérapeutique

Publié le 15 sep 2009Lecture 8 min

Effets cardiovasculaires et rénaux des médicaments antiangiogéniques utilisés en oncologie

M. AZIZI, Université Paris-Descartes, Hôpital Européen Georges Pompidou, APHP, CIC INSERM, Paris

Les médicaments anti-angiogéniques font partie du nouvel arsenal thérapeutique utilisé en oncologie chez les patients atteints d’un cancer avancé du côlon, du rein, du foie, du sein ou du poumon. Leur mécanisme d’action commun est une inhibition de la voie du vascular endothelial growth factor (VEGF), dont l’isoforme prédominante est le VEGF-A (165 acides aminés, désigné comme le VEGF).

Le VEGF, facteur de croissance angiogénique, produit par les cellules tumorales et le stroma péritumoral, joue un rôle clef dans la néoangiogenèse et la croissance tumorale en stimulant la survie, la migration et la croissance des cellules endothéliales. Les différentes isoformes du VEGF interagissent principalement avec deux récepteurs transmembranaires (VEGFR-1 et VEGFR-2) présents en particulier à la surface des cellules endothéliales. Le VEGFR-3, quant à lui, est spécifique des cellules endothéliales lymphatiques. Les récepteurs du VEGF sont également exprimés dans les cellules tumorales. La liaison du VEGF au VEGFR-2 induit une dimérisation du récepteur suivie d’une autophosphorylation activatrice de l’activité catalytique du domaine intracellulaire ayant une activité tyrosine kinase. Cette activation stimule plusieurs cascades de transduction intracellulaire ; les cellules endothéliales synthétisent ainsi plusieurs enzymes et protéines qui dégradent la matrice extracellulaire, facilitant ainsi la migration et l’invasion des cellules endothéliales vers les tissus cibles. Le VEGF augmente par ailleurs la perméabilité vasculaire et l’expression des molécules d’adhésion associées à l’endothélium et stimule fortement la NO synthase endothéliale.   Les inhibiteurs de la voie du VEGF disponibles sur le marché   Le bevacizumab (Avastin®) Le bevacizumab est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le VEGF qui bloque sa liaison aux récepteurs présents à la surface des cellules endothéliales. Il est administré par voie intraveineuse tous les 15 jours. Sa demi-vie pharmacocinétique est de l’ordre de 17-21 jours. Le bevacizumab a un effet additif avec les médicaments cytotoxiques et a montré son efficacité en termes de survie globale et de médiane de survie sans progression au cours du traitement de 1re et 2e ligne du cancer colorectal métastatique, du traitement de 1re ligne de l’adénocarcinome pulmonaire avancé, du cancer du sein et du carcinome rénal à cellules claires (CRCC) avancé.   Le sorafénib (Nexavar®) et le sunitinib (Sutent®) Ces deux molécules sont des inhibiteurs des récepteurs tyrosine kinase (ITK), administrées par voie orale. Le sorafénib est un inhibiteur multicible de tyrosine kinase [VEGFR-2, VEGFR-3, PDGFR-‚ (platelet derived growth factor receptor), FLT3 (fms-related tyrosine kinase 3) RAF, BRAF, et KIT (stem-cell growth factor receptor)]. Il est indiqué dans le traitement du CRCC et de l’hépatocarcinome avancés. Le sunitinib est également un inhibiteur multicible proche du sorafénib mais qui cible aussi le CSF1R (colony-stimulating factor 1 receptor). Il est indiqué dans le traitement du CRRC avancé et après échec ou intolérance de l’imatinib dans les tumeurs stromales digestives. D’autres ITK antiangiogéniques (AZD2171, axitinib, etc.) sont en développement.   Les autres approches pharmacologiques Elles font appel au trapping du VEGF par une molécule VEGF-TRAP ou à des molécules aptamères (oligonucléotides non immunogènes capable de se lier au VEGF) et sont à un stade précoce de développement.   Manifestations cardiovasculaires et rénales des antiangiogéniques Les antiangiogéniques ont des profils de tolérance vasculaire et néphrologique communs, caractérisés par l’hypertension artérielle (HTA) et la protéinurie.   L’HTA L’HTA est un des effets indésirables les plus fréquemment observés. Son incidence réelle n’est pas connue avec certitude car : - la pression artérielle (PA) n’a pas été mesurée dans des conditions optimales au cours du développement clinique de ces molécules ; - l’incidence de l’HTA a été rapportée selon les critères usuels de toxicité des médicaments à visée carcinologique et non ceux définissant l’HTA selon les recommandations classiques (≥ 140 et/ou 90 mmHg ou utilisation d’un traitement anti-hypertenseur). En fait, même si une incidence comprise entre 5 et 58 % a été rapportée dans la littérature, une étude française utilisant l’automesure télétransmise chez des patients traités par 2 cycles de sunitinib réalisée à l’HEGP a montré que l’élévation tensionnelle sous antiangiogénique est constante dès les premières semaines de traitement chez tous les patients, qu’ils soient initialement hypertendus ou normotendus. Les antiangiogéniques induisent une HTA chez les patients normotendus et rendent plus difficile le contrôle tensionnel des patients préalablement hypertendus. Cette HTA est dose-dépendante, généralement contrôlable par les antihypertenseurs et réversible à l’arrêt des antiangiogéniques. Elle compromet rarement la poursuite du traitement antiangiogénique. Ses conséquences à long terme ne sont pas connues. Plus rarement, il peut s’agir d’une HTA maligne, d’une HTA sévère réfractaire ou compliquée de leucoencéphalopathie postérieure réversible imposant l’arrêt des antiangiogéniques. Le mécanisme physiopathologique de l’HTA est complexe. Elle est due à la neutralisation des effets physiologiques du VEGF au niveau de la cellule endothéliale vasculaire. L’HTA serait due à une réduction de la libération de NO par les cellules endothéliales associée à une altération de la vasodilatation dépendante de l’endothélium, une raréfaction artériolaire et capillaire, une altération structurale des microvaisseaux. Enfin, l’hypothyroïdie iatrogène quasi constante, en particulier avec les ITK, pourrait aussi y contribuer.   Toxicité cardiaque Une insuffisance cardiaque, parfois sévère, avec diminution de la FEVG a été rapportée avec le sunitinib dans 10 % des cas. Elle est favorisée par l’âge, des antécédents coronariens et l’HTA. Une évaluation de la FEVG peut être recommandée tous les 2 cycles avec le sunitinib chez les patients présentant des comorbidités cardiovasculaires. Enfin, le sunitinib allonge le QT à l’ECG.   Accidents thromboemboliques Une augmentation du risque d’accident thromboembolique veineux de l’ordre de 30 à 50 % a été rapportée avec l’utilisation du bevacizumab, en particulier au cours des CRCC. Il faut néanmoins rappeler que le risque spontané est déjà élevé chez les patients ayant une pathologie cancéreuse.   Atteinte rénale Elle est surtout marquée par l’apparition d’une protéinurie dans un délai variable après démarrage d’un antiangiogénique. La protéinurie est habituellement modérée, presque toujours associée à l’HTA, habituellement sans conséquence sur la fonction rénale à court et moyen termes et réversible à l’arrêt des antiangiogéniques. Sa présence ne compromet pas la poursuite du traitement antiangiogénique si elle reste < 3 g/24 h. L’incidence de survenue d’une protéinurie liée à l’administration du bevacizumab (dépendant aussi de la dose) varie entre 21 et 64 % quel que soit le type de cancer. L’incidence d’une protéinurie sévère > 3,5 g/24 h varie de 1,0 à 6,5 %. Des formes d’atteinte rénale graves, mais réversibles à l’arrêt indispensable des antiangiogéniques, ont été rapportées telles que des syndromes néphrotiques, une insuffisance rénale aiguë, des glomérulopathies prolifératives, des néphrites interstitielles et des microangiopathies thrombotiques. Là encore, cet effet secondaire résulte de la neutralisation des effets physiologiques du VEGF au niveau de l’endothélium fenestré des capillaires, des cellules mésangiales et des podocytes du glomérule rénal. La neutralisation du VEGF par des anticorps chez la souris ou l’étude de souris invalidées spécifiquement pour le VEGF au niveau rénal entraîne une protéinurie associée à un détachement des cellules endothéliales de la membrane basale glomérulaire (endothéliolyse) et une altération des diaphragmes de fente, une mésangiolyse. Le même type de lésion a été observé chez des patients traités par antiangiogéniques ayant développé un tableau de microangiopathie thrombotique sous traitement. Prise en charge des complications Des recommandations françaises pour la prise en charge des effets vasculaires et rénaux des médicaments antiangiogéniques ont été rédigées par la Société française d’HTA, la Société de néphrologie, l’Association pédagogique nationale des enseignants de thérapeutiques et la Fédération française de cancérologie digestive (Halimi JM et coll. Néphrologie & Thérapeutique 2008 ; 4 : 602-15). La surveillance et la prise en charge thérapeutique se feront au mieux dans le cadre d’un travail en réseau comprenant médecin généraliste, oncologue, cardiologue et néphrologue. En résumé, les principes de surveillance rénale et vasculaire et de traitement retenus sont les suivants : – « Avant une 1re administration d’un antiangiogénique, il n’y a pas lieu de retarder le traitement ou d’administrer un traitement antihypertenseur par voie orale ou par voie intraveineuse en raison de l’existence d’une HTA observée le jour de l’administration d’un antiangiogénique ; - La pression artérielle doit être mesurée en ambulatoire par le médecin traitant ou par automesure tensionnelle selon les règles édictées par l’HAS. Ces résultats de pression artérielle constituent la base de la prise en charge thérapeutique ; – La prise en charge de l’HTA doit s’effectuer conformément aux recommandations de l’ HAS ; – La fréquence de suivi et de prise en charge dépend du niveau de pression artérielle du débit de filtration glomérulaire estimé (formule du MDRD) et du niveau de protéinurie ; – Les contre-indications à la poursuite d’un traitement par antiangiogénique sont rares, limitées aux situations de futilité ou de toxicité intolérables (HTA maligne, protéinurie > 3 g/24 h, syndrome néphrotique, insuffisance cardiaque incontrôlable), malgré une efficacité du traitement antiangiogénique ; – Un ECG avant traitement doit être réalisé pour détecter un QT long, des troubles du rythme ou de conduction et des signes de pathologie coronarienne. Une échocardiographie est souhaitable, notamment pour évaluer la FEVG. Un avis cardiologique doit être demandé au moindre doute ; – En l’absence de protéinurie > 1 g/24 h, les 5 grandes classes de médicaments antihypertenseurs IEC, ARAII, inhibiteurs des canaux calciques et bêtabloquants sont utilisables. Néanmoins, la prescription des antihypertenseurs devra tenir compte des éléments suivants : • Diurétiques thiazidiques ou de l’anse : surveillance du ionogramme sanguin chez les patients ayant des troubles digestifs (diarrhée, vomissements) ou recevant des médicaments ayant une toxicité rénale propre (cisplatine) ; surveillance de la calcémie qui peut s’élever sous l’effet des diurétiques thiazidiques, en particulier, chez les patients avec des métastases osseuses ; • Bêtabloquants : surveillance ECG du PR et du QT, un allongement du PR ou du QT ayant été observé sous sunitinib ; • Inhibiteurs calciques: les inhibiteurs du CYP3A4 (vérapamil et diltiazem) sont contre-indiqués chez les patients traités par sunitinib ou sorafénib qui sont métabolisés par ce cytochrome. – En présence d’une protéinurie > 1 g/j (cf. infra), l’utilisation d’un IEC ou d’un ARA2 est préférable en 1re intention. » Les lecteurs sont invités à consulter le texte complet des recommandations (Halimi JM et coll. Néphrologie & Thérapeutique 2008 ; 4, 602-615).   En pratique   Aujourd’hui la balance bénéfice/risque des traitements antiangiogéniques est très largement favorable chez les patients atteints d’un cancer à un stade avancé. Ces traitements sont actuellement évalués à des stades plus précoces de la maladie, c’est-à-dire chez des patients donc le pronostic est meilleur à court et moyen terme, et dont l’espérance de vie est plus prolongée. Dans ces conditions, la balance bénéfice/risque pourrait s’inverser du fait des complications cardiovasculaires et rénales iatrogènes.

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