Coronaires
Publié le 07 mar 2006Lecture 7 min
Faut-il abandonner la piste de l'angioplastie facilitée ?
D. HIMBERT, hôpital Bichat, Paris
L’angioplastie facilitée est définie par la combinaison d’une reperfusion pharmacologique (par thrombolyse intraveineuse, anti-GPIIb/IIIa, ou l’association des deux) puis mécanique par angioplastie, dans l’espoir de cumuler les avantages de chacune de ces deux interventions :
• la précocité et la simplicité de la thrombolyse,
• l’efficacité et la pérennité de l’angioplastie.
La logique de ce concept est appuyée par des considérations techniques, car l’angioplastie est plus simple à réaliser lorsqu’un flux est préalablement rétabli dans l’artère de l’infarctus, et par les résultats d’études rétrospectives qui suggèrent qu’une artère perméable avant l’angioplastie est un facteur de bon pronostic.
Pourtant, cette stratégie peine à démontrer son intérêt clinique.
Le passé
Les premières tentatives de validation de ce qui n’était pas encore appelé « angioplastie facilitée » remontent à la fin des années 80, avec trois études contrôlées, l’étude européenne (European Cooperative Study), l’étude TIMI II-a et l’étude SWIFT. Aucune d’entre elles n’a démontré la supériorité de l’angioplastie postthrombolyse sur une stratégie conservatrice. Au contraire, le risque hémorragique était augmenté par l’angioplastie et l’étude européenne s’accompagnait d’un risque important de réocclusion coronaire et de réinfarctus dans le bras angioplastie postthrombolyse. Mais ces résultats sont maintenant considérés comme obsolètes, en raison des progrès considérables accomplis, tant en ce qui concerne la thrombolyse, avec l’avènement de thrombolytiques hautement fibrino-spécifiques (d’utilisation plus simple et associés à de plus faibles posologies d’héparine) que l’angioplastie, avec la diffusion des stents, l’utilisation des antiplaquettaires, etc. Tous ces progrès pourraient faire penser que l’angioplastie facilitée est maintenant sûre et efficace.
Le présent
Les registres contemporains soutiennent effectivement l’angioplastie facilitée par la thrombolyse
Le registre français USIC 2000 (Danchin et coll.) a analysé l’impact d’une angioplastie précoce chez 545 patients consécutivement traités par thrombolyse intraveineuse (figure 1). La survie à un an est de 95 % chez les patients traités par thrombolyse puis angioplastie, contre seulement 90 % chez ceux traités par thrombolyse sans angioplastie précoce (p < 0,05).
Figure 1. Registre USIC 2000 : survie à 1 an.
Le registre irlandais (McClelland et al.) a analysé rétrospectivement 474 patients traités par thrombolyse, dont 164 ont aussi eu une angioplastie pendant leur hospitalisation. La mortalité à un an de ces derniers a été de 7 %, contre 21 % dans le groupe n’ayant pas eu d’angioplastie. En analyse multivariée, la réalisation d’une angioplastie postthrombolyse reste un facteur indépendant de survie à un an.
Mais les études randomisées sont discordantes
Les anti-GPIIb/IIIa semblent inégalement utiles en association à l’angioplastie. Les études pilotes sont dans l’ensemble favorables.
• La plus récente, l’étude INTAMI montre qu’un double bolus d’eptifibatide administré juste avant l’angioplastie augmente le taux de flux TIMI 3 en début d’intervention,
• Mais l’étude On-TIME indique que l’administration précoce de tirofiban, avant l’admission en salle de cathétérisme pour angioplastie, n’améliore pas le taux de perméabilité de l’artère responsable ni le bénéfice clinique à un an.
• De même, l’étude INTRO AMI montre que, malgré une reperfusion plus précoce qu’avec une dose conventionnelle de rtPA, l’association d’eptifibatide et d’une dose réduite de rtPA n’entraîne ni amélioration de flux à la 90e minute, ni facilitation de la résolution du segment ST, ni diminution de la mortalité à 30 jours.
• La métaanalyse de De Luca, qui porte sur 8 études randomisées comparant l’angioplastie primaire seule à l’angioplastie facilitée par l’abciximab, montre que celle-ci s’accompagne d’une réduction de la mortalité à 30 jours et un an par rapport au groupe témoin et d’une réduction des réinfarctus à un mois, sans augmentation du risque de saignement majeur (tableau 1).
Les données sur la facilitation de l’angioplastie par l’association thrombolyse + anti-GPIIb/IIIa manquent. Thiele et al. ont évalué dans une étude prospective randomisée une stratégie de traitement préhospitalier par une association retéplase à demi-dose + abciximab, suivie ou non par une angioplastie. Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une comparaison entre angioplasties primaire et facilitée, l’étude soutient la stratégie d’angioplastie facilitée car elle montre que la combinaison retéplase + abciximab + angioplastie :
• diminue la taille de l’infarctus évaluée par résonance magnétique ;
• améliore la résolution du sus-décalage de ST ;
• tend à améliorer l’évolution clinique à 6 mois, par rapport à la combinaison préhospitalière non suivie d’angioplastie (tableau 2).
L’étude CARESS in AMI, dont le dessin est très proche, confirmera ou non ces résultats (figure 2).
Figure 2. IDM ST+, haut risque, éligible pour thrombolyse, < 12 h.
L’étude CAPITAL AMI a randomisé 170 patients à haut risque en un groupe de traitement par TNK seule et un groupe d’angioplastie facilitée par le TNK. Elle montre que le risque de récidives d’événements ischémiques est plus faible dans le groupe TNK + angioplastie, sans augmentation du risque de saignement majeur (tableau 3).
L’étude ASSENT 4 PCI a été suspendue prématurément en raison d’un excès de mortalité dans le groupe angioplastie facilitée par la tenectéplase. Cette étude très médiatisée a comparé, chez 1 635 patients (pour une population totale initialement prévue de 4 000 patients), l’angioplastie primaire à l’angioplastie immédiate après thrombolyse par tenectéplase (figure 3). Une analyse intermédiaire a montré une surmortalité à un mois dans le groupe TNK + angioplastie (figure 4). En revanche, il n’y a étonnamment pas eu plus de complications hémorragiques que dans le groupe angioplastie seule. Les nombreux commentaires suscités par ces résultats se divisent schématiquement en deux groupes :
• ceux pour qui ces résultats condamnent définitivement l’angioplastie facilitée, dans la continuité des études TAMI 1, TIMI II-a, ESG et SWIFT, confirmant le caractère délétère de l’angioplastie postthrombolyse, et qui attribuent ses effets paradoxalement défavorables à l’activation plaquettaire et au risque d’hémorragies intraplaques induits par la thrombolyse ;
• les autres (nombreux) qui, bien que surpris par ces résultats, considèrent que l’on ne peut en tirer aucune conclusion définitive et que la décision de suspendre l’étude prématurément a été une erreur, d’autant que la différence de mortalité entre les deux groupes de traitement disparaît à 3 mois (figure 4). De nombreuses questions restent posées, concernant en particulier le délai optimal de l’angioplastie par rapport à la thrombolyse (très–trop–court dans l’étude), la possibilité d’utiliser les anti-GPIIb/IIIa au cours d’une angioplastie postthrombolyse, et plus généralement la place de l’angioplastie facilitée en fonction du délai de prise en charge et du type d’hôpital en charge du patient. À cet égard, il faut noter l’hétérogénéité des taux de mortalité dans deux groupes de traitement, selon que la randomisation était effectuée dans un centre disposant de l’angioplastie, n’en disposant pas, ou dans une ambulance (figure 5).
Figure 3. Les deux bras de l’étude ASSENT 4 PCI.
Figure 4. ASSENT- 4 PCI : mortalité à 30 et 90 jours.
Figure 5. ASSENT- 4 PCI : mortalité à 30 jours par sous-groupes.
Mais quelle pertinence clinique y a-t-il à proposer une stratégie de thrombolyse suivie d’angioplastie dans un centre disposant de la capacité d’angioplastie primaire ? Cette situation représentait pourtant presque la moitié des patients inclus dans ASSENT 4 PCI.
À l’opposé, la stratégie d’angioplastie facilitée semble logiquement beaucoup plus « payante » en préhospitalier, surtout en France, et rien ne permet à ce jour d’affirmer qu’elle est inutile si le délai entre la mise en route de la thrombolyse et la réalisation de l’angioplastie est long, ce qui représente, en pratique, la majorité des cas.
Le futur
Tout ou partie de ces questions pourraient trouver leurs réponses dans l’étude FINESSE qui prévoit de randomiser 3 000 patients en phase aiguë d’infarctus ST+ (ou BBG récent) dont le délai de prise en charge par angioplastie primaire excède une heure en trois groupes de traitement : angioplastie primaire, angioplastie facilitée par abciximab et angioplastie facilitée par la combinaison retéplase + abciximab (figure 6). Le critère de jugement à 90 jours combinera décès, FV tardives récupérées, chocs cardiogéniques et réhospitalisations pour insuffisance cardiaque.
Figure 6. Critère primaire à 90 jours: mortalité toutes causes, FV ressuscitées. Au-delà de 48H, chocs cardiogéniques, réhospitalisations pour IC (étude FINESSE).
Au total
Dans l’état actuel des choses, il ne faut pas abandonner la piste de l’angioplastie facilitée, car elle reste étayée par de solides arguments physiopathologiques et que les résultats des études récentes ne sont pas définitifs. Mais il est certain que, s’il se confirme, son bénéfice ne découlera pas d’une réponse simpliste et unique, uniformément applicable à toutes les situations cliniques, mais au contraire d’une stratégie « à la carte », la décision et la nature de la facilitation devant s’adapter au délai de prise en charge par rapport au début des symptômes et à celui prévisible de l’angioplastie. L’utilité d’une facilitation par la thrombolyse pourrait être maximale chez les patients vus très tôt (dans les 2 premières heures), les anti-GPIIb/IIIa pourraient s’adresser préférentiellement aux patients vus plus tard (au-delà de 3 heures), la place de l’association thrombolyse + anti-GPIIb/IIIa restant à définir, de même que la meilleure stratégie à proposer chez les sujets âgés, où le risque d’hémorragie intracrânienne est plus élevé. C’est redire, une nouvelle fois, toute l’importance d’une coopération toujours plus étroite entre urgentistes, en amont, et cardiologues hospitaliers, en aval, pour assurer l’efficacité de cette chaîne de soins de plus en plus complexe.
Points-clés
L’angioplastie facilitée repose sur une logique physiopathologique solide.
Les résultats des études anciennes sont obsolètes.
Les données récentes ne confirment pas son bénéfice clinique, mais ne sont pas définitives.
L’avenir verra non pas une facilitation, mais des facilitations de l’angioplastie, « à la carte » selon le contexte clinique.
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