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Thérapeutique

Publié le 13 oct 2009Lecture 5 min

Gestion des antiplaquettaires avant une chirurgie non cardiaque

F. LE SACHÉ et P. CORIAT, Hôpital Pitié-Salpetrière, Paris

Les médicaments antiplaquettaires sont couramment utilisés en prévention primaire et secondaire des pathologies cardiovasculaires. Ces traitements entraînent une inhibition de la fonction plaquettaire afin d’obtenir un état d’hypocoagulabilité. Les praticiens ont fréquemment recours, pour les traitements au long cours, à deux classes thérapeutiques principales représentées par les inhibiteurs des cyclo-oxygénases de type 1 (aspirine) et les thiénopyridines (clopidogrel, prasugrel). Chacune de ces classes inhibe une voie spécifique de l’activation plaquettaire conduisant à l’agrégation : voie de l’acide arachidonique pour l’aspirine et voie de l’adénosine diphosphate (ADP) pour les thiénopyridines. La poursuite des antiplaquettaires entraîne un risque hémorragique accru chez les patients opérés mais leur arrêt expose à des complications thrombotiques.

L’évaluation du rapport bénéfice/risque nécessite de connaître le type d’intervention (risque hémorragique) et le statut vasculaire du patient (risque thrombotique). La décision finale de poursuite ou d’arrêt repose sur la confrontation de l’anesthésiste, du chirurgien et du cardiologue. Pour encadrer les décisions les plus difficiles, la Société française d’anesthésie et réanimation (SFAR) a édicté en 2006 des recommandations de gestion des antiplaquettaires chez les patients porteurs de stents. Risque hémorragique ou risque « chirurgical » Les traitements chirurgicaux réalisés sous antiplaquettaires peuvent présenter un risque hémorragique variable allant de la simple majoration du saignement (chirurgie orthopédique périphérique) au choc hémorragique mettant en péril le pronostic vital des patients (chirurgie aortique). Certains saignements, mêmes mineurs, peuvent entraîner des complications fonctionnelles majeures, comme par exemple en neurochirurgie. Toute décision de poursuite ou d’arrêt repose en tout premier lieu sur l’identification du risque hémorragique de l’intervention. Certaines techniques chirurgicales peuvent être modifiées afin d’en diminuer le risque hémorragique (utilisation du laser pour les résections transuréthrales de prostate). Si un arrêt du traitement antiplaquettaire est envisagé, celui-ci doit conduire à une compétence plaquettaire parfaite permettant la réalisation de l’acte chirurgical en toute sécurité. Des sociétés savantes se sont engagées dans une démarche d’évaluation peropératoire du risque hémorragique avec publication de recommandations formalisées (Société française de gastro-entérologie, Société française de médecine buccale et de chirurgie buccale). Le risque thrombotique Le cardiologue joue un rôle central dans l’évaluation du risque thrombotique. En effet, les indications des traitements antiplaquettaires diffèrent selon l’atteinte cardiovasculaire. Si l’aspirine est toujours recommandée en première intention (en l’absence de contre-indication), son association au clopidogrel ou au prasugrel repose sur des indications particulières : récidive thrombotique sous aspirine seule, stent nu posé depuis moins de 6 semaines, stent pharmaco-actif posé depuis moins de 1 an. Le risque thrombotique évolue au cours du temps, avec, pour certains patients, la possibilité de ne maintenir qu’un seul antiplaquettaire au long cours. Un geste chirurgical non urgent peut donc être retardé, dans l’attente de l’allègement du traitement antiplaquettaire. Lorsqu’un arrêt thérapeutique s’avère indispensable, la période où la fonction plaquettaire est normalisée doit être la plus brève possible. Les contraintes de la période opératoire génèrent un état d’hypercoagulabilité ; c’est pourquoi la reprise la plus précoce possible des antiplaquettaires à une posologie adaptée est recommandée. Afin d’optimiser ces modifications thérapeutiques, la connaissance de la pharmacocinétique de l’aspirine et du clopidogrel est indispensable. Des tests simples évaluant la fonction plaquettaire (Verifynow, PFA 100) présentent des imprécisions de mesure pour évaluer le blocage de la voie de l’ADP et sont donc de maniement peu aisé en pratique clinique. Les anti-plaquettaires L’aspirine Son mécanisme d’action repose sur l’acétylation irréversible d’un résidu serine en position 529, présent sur les cyclo-oxygénases plaquettaires de type 1. L’aspirine doit de principe toujours être poursuivie durant la période peropératoire. Une revue générale de Burger rapporte une augmentation globale du risque relatif d’hémorragie de 1,5. La présence d’aspirine ne majore pas la sévérité des complications hémorragiques, exceptions faites de la chirurgie intracrânienne, de l’amygdalectomie et potentiellement de la prostatectomie par voie transuréthrale. La prise orale d’aspirine au long cours conduit à une inhibition constante de la fonction plaquettaire. De rares cas de patient définis comme « résistants » à l’aspirine ont été rapportés. Si un arrêt est envisagé, un sevrage de 4 jours est suffisant pour récupérer une fonction plaquettaire efficace. La prévention de l’hypercoagulabilité postopératoire repose sur une reprise de l’aspirine la plus précoce possible avec une inhibition plaquettaire efficace dès la première dose (reprise à la dose de 250 mg puis 75 mg/jour) (voir ci-dessus). Les thiénopyridines Les thiénopyridines entraînent une inhibition de la voie de l’ADP par leur effet inhibiteur sur le récepteur P2Y12 (récepteur de l’ADP). La ticlopidine (Ticlid®), premier représentant de cette classe thérapeutique, n’est plus utilisée en raison du risque d’agranulocytose qu’elle induit. Le clopidogrel (Plavix®) est la molécule actuellement la plus prescrite des thiénopyridines. La poursuite peropératoire du clopidogrel a surtout été étudiée en chirurgie cardiaque, où il est responsable d’une augmentation des transfusions sanguines, des reprises chirurgicales et des durées moyennes de séjour. Il n’y a pas d’étude en chirurgie non cardiaque en dehors de séries de cas. Des fluctuations d’effet du clopidogrel lors du traitement chronique rendent difficile la gestion pré-opératoire. Des interactions médicamenteuses (inhibiteurs de la pompe à protons, inhibiteurs calciques, etc.) ou des mutations du cytochrome P450 (mutation 2C19*2) sont responsables d’une diminution de l’effet. Un arrêt de 5 jours est suffisant pour obtenir une compétence plaquettaire (Département d’anesthésie vasculaire de la Pitié-Salpêtrière). La récupération plaquettaire est beaucoup moins homogène à l’arrêt du clopidogrel qu’à l’arrêt de l’aspirine. Le niveau de récupération est peu prédictible (figure). La réponse antiplaquettaire lors de la reprise du traitement présente une inertie en l’absence de dose de charge, limitant l’effet protecteur postopératoire. C’est pourquoi, chez les opérés à risque, dès que l’acte chirurgical le permet, la première prise postopératoire de clopidogrel pourrait être une dose de charge non encore définie dans la littérature.   Figure. Evolution de l’agrégabilité plaquettaire (mesurée en pourcentage) chez des opérés de chirurgie vasculaire traités au long cours par antiagrégants. L’agrégabilité plaquettaire est mesurée 5 jours avant l’intervention sous traitement, le matin de l’intervention alors que l’antiagrégant a été arrêté pendant 5 jours et au 7e jour postopératoire alors que le traitement a été repris 48 heures après l’opération. Une nouvelle molécule, le prasugrel (Efient®), est venue compléter la pharmacopée européenne en juillet 2009. L’essai TRITON-TIMI 38, qui a conduit à sa commercialisation, a montré une efficacité clinique supérieure du prasugrel par rapport au clopidogrel en termes de prévention de la récidive thrombotique. Ce gain d’efficacité est associé à un excès de risque d’hémorragies majeures. Le prasugrel nécessitera donc une gestion extrêmement prudente durant la période périopératoire. En pratique L’aspirine et le clopidogrel agissent sur deux voies plaquettaires distinctes et nécessitent donc une attention spécifique. Un traitement antiplaquettaire justifié ne devrait jamais être arrêté, en particulier pour l’aspirine où le risque hémorragique peropératoire est faible. Si un arrêt du traitement est retenu, il sera de 4 jours pour l’aspirine et d’au moins 5 jours pour le clopidogrel. La reprise des antiplaquettaires doit se faire le plus précocement possible en privilégiant l’aspirine par rapport au clopidogrel. La bonne pratique impose que la stratégie thérapeutique pré- et postopératoire soit justifiée. Toute décision doit être expliquée aux patients, l’information étant écrite dans le dossier médical.

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