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Cœur et sport

Publié le 08 juin 2010Lecture 6 min

La plongée sous marine, un sport tranquille ? Le rôle du cardiologue

V. LAFAY, Marseille

L’azur se confond avec le miroir de l’eau. Descente douce dans un univers tiède et moelleux. Impression de silence à peine troublé par le bruit du détendeur, dans un monde chatoyant où les bulles éclatent dans les rayons du soleil. Le fardeau de la bouteille est oublié. être comme en apesanteur dans un monde où les couleurs s’illuminent dans un rêve d’éternité…. La plongée est vraiment un sport tranquille….
Six mois plus tard… Tiens, on a encore encapé mistral. Au choix : équipement sur un pont épileptique ou interminable traversée sur une barge au confort précambrien. Elle est particulièrement fraîche ce matin, mais c’est comme la barre qui me transperce le front, on oublie. Les oreilles qui ne passent pas. On n’y voit rien dans cette soupe avec la buée plein le masque, et ce fada qui me l’arrache d’un coup de palme. Vivement la douche chaude !
La plongée, quelle galère…

Dans les magazines, c’est plus souvent le premier film qui nous est servi. Cela existe, en eaux tropicales, à la belle saison et à la bonne heure. Mais la vraie vie est souvent différente, que ce soit dans les carrières du Nord, en Atlantique et même en Méditerranée. La plongée n’est pas une simple ballade avec des bouteilles sur le dos. Même si nous descendons peut-être d’un singe aquatique(1) et même si nous rêvons parfois à l’homodelphinus cher à Jacques Mayol(2), nous demeurons encore des animaux très terriens et extrêmement fragiles dans cet environnement hostile. Nos capacités d’apnée restent (pour la plupart) ridicules et nous sommes tributaires d’un gaz sous pression qui nous expose à deux dangers presque inconnus des autres animaux plongeurs : l’accident de décompression et l’hyperoxie prolongée. Ajoutons notre maigreur maladive, comparativement à nos cousins mammifères plongeurs : nous sommes incapables de lutter contre le froid.   Et le cœur dans tout ça ?   Il doit faire avec… Avec l’augmentation de la précharge secondaire à l’immersion : 10 à 15 % de débit supplémentaire en raison de la redistribution de la masse sanguine vers la partie haute du corps. Situation bien connue en médecine spatiale qui conduit en quelques jours aux étranges “chicken legs” et “moon face”. Avec l’augmentation de la postcharge liée au froid et à l’hyperoxie, qui sont deux excellents vasocontricteurs (tous les plongeurs ont cette expérience : une petite blessure invisible au fond se transforme en plaie sanguinolente dès le retour en surface). Comment réagira alors le cœur d’un hypertendu, déjà bien hypertrophié et plutôt faible de la diastole ? Avec l’augmentation de pression qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a aucune (ou si peu) de répercussion directe sur l’hémodynamique. Même lors des plongées expérimentales humaines les plus profondes à Comex, nous n’avons jamais observé de variations tensionnelles significatives(3). Le danger vient en fait de la ventilation d’un gaz dense (5 fois plus à 40 mètres qu’en surface) qui modifie les régimes de pression pleurale. Cela altère les conditions de remplissage ventriculaire (et nous repensons alors à notre hypertendu…), comme nous l’observons avec le pouls paradoxal de l’asthmatique. Avec le froid et l’hyperoxie, le cœur se ralentit, et cela est heureux, vu les conditions sévères de la postcharge. Mais certains myocardes peu arrangeants en profitent pour déclencher des troubles du rythme, supraventriculaires le plus souvent, ventriculaires parfois. Et puis qu’adviendrait-il en cas d’urgence et d’effort physique à fournir ? L’expérience nous confronte de plus en plus souvent à des œdèmes pulmonaires, en plongée profonde, en eaux froides et chez des plongeurs âgés ou hypertendus avec une fonction systolique préservée. Et le tout s’arrange-t-il à la remontée ? Pas vraiment. Celle-ci doit être lente et bien contrôlée afin de laisser à l’organisme le temps de dégazer en douceur. Ce déstockage se fait par voie veineuse, et souvent sous forme de bulles circulantes, même en cas de strict respect des tables de décompression. Il s’agit d’une véritable embolie gazeuse qui ne pose pas de problème particulier à un cœur droit de bonne constitution. Bien évidemment, il faut que les itinéraires soient respectés car un shunt droit-gauche pourrait alors conduire à un sérieux malentendu neurologique. Alors, sport tranquille ou pas tranquille : qu’en pense le cardiologue ? Même s’il n’existe pas de compétition en plongée en scaphandre, il s’agit bien d’un sport… mais apparemment plutôt « tranquille », si l’on en croit notre communauté qui l’a inscrit en classe 2A(4). Soit plus violent que le golf ou le tir, certes, mais moins que le ski nautique ou le volley-ball. Cette « tranquillité » n’est-elle pas inspirée d’une image trop édulcorée ? La commission américaine PADI, qui connaît bien la politique du parapluie, préconise une capacité d’effort à 13 METS (environ 260 Watts pour un sujet de 80 kg). Appliquer cette recommandation laisserait beaucoup de places libres dans les palanquées. En France, nous sommes plus pragmatiques et les limites sont en général données par l’expérience de chacun.   En l’occurrence : quel cœur pour le plongeur ?   Son profil est dessiné par les contre-indications définitives(5) Pas de cardiopathie congénitale, pas d’insuffisance cardiaque symptomatique (encore faut-il aller la rechercher…), pas d’obstacle sur la voie d’éjection. La syncope faisant vite désordre sous l’eau, les pathologies à risque doivent s’abstenir. Quid des troubles du rythme ? Cela est une question en cours de discussion dans notre commission, sous la direction amicale et efficace de Benoît Brouant. Elle fera prochainement l’objet de précisions par la Fédération française d’études et de sports sous-marins (FFESSM). Quant aux porteurs de pacemaker, ils peuvent s’inspirer de l’image de ce boîtier après une plongée à 60 mètres. Même si l’appareil reste parfaitement fonctionnel, cela laisse circonspect. Une étude sur 40 boîtiers(6) nous a confirmé que plus de 50 % d’entre eux restent définitivement déformés après une plongée à 60 mètres, aucun, après une plongée à 30 mètres. La sagesse conduit donc à choisir cette limite, à moins d’indication contraire du constructeur. Quant aux contre-indications temporaires, elles sont essentielles Nous l’avons abordé à plusieurs reprises : l’hypertendu est un mauvais candidat pour la plongée, et cela reste trop souvent méconnu. L’HTA doit être bien équilibrée, et en cas de doute, une épreuve d’effort permet de s’assurer de l’absence d’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée. La coronaropathie à été un chapitre, lui aussi, bien revisité(7). Les conditions sont détaillées dans le tableau joint. Une coronaropathie reste un élément devant dissuader la pratique de la plongée. Néanmoins, dans certaines conditions, on peut l’autoriser moyennant une surveillance « armée ». La péricardite est bien logiquement une contre-indication à la pratique de toute activité sportive. Le traitement anti-arythmique est une contre-indication liée à la pathologie traitée (cf. supra). Le traitement par bêtabloquant est longtemps resté une contre-indication temporaire à la plongée. Cela conduisait certains de nos patients à se réconforter en nous assurant qu’ils ne prenaient par leur traitement seulement les jours de plongée. Les conditions de prise d’un traitement bêtabloquant sont maintenant bien précisées sur le site de la FFESSM(8) et cela ne doit plus conduire à de telles aberrations… Chez le plongeur, le FOP n’est pas à bannir ou à dépister systématiquement. Responsable d’un sur-risque relatif (de 2 à 4 suivant les séries)(9,10) cela reste somme toute « acceptable » en raison du faible risque absolu d’environ 2 accidents de ce type/10 000 plongées. Il n’en est pas de même en prévention secondaire où la présence d’un FOP doit conduire le plongeur (et son médecin) à bien réfléchir. Mais si ce shunt est connu par ailleurs ? Voilà une situation inconfortable pour le médecin. Il est alors raisonnable de tenter de dissuader la poursuite de la plongée. Si cela n’est pas possible... les conseils à donner au plongeur sont là aussi détaillés sur le site de la FFESSM(11). Enfin, que dire des plongées aux mélanges artificiels ? Le Nitrox est un mélange enrichi en oxygène qui vise à optimiser le confort et le risque de la décompression : il est à conseiller chez les irréductibles plongeurs avec FOP et, à mon avis, à déconseiller chez tous les patients hypertendus ou souffrant d’une coronaropathie en raison de l’hyperoxie qu’il procure. Le Trimix est un gaz contenant de l‘hélium, très utilisé en plongée professionnelle. Il l’est aussi maintenant en plongée sportive profonde, et la sagesse voudrait que ce fût avec les mêmes conditions de rigueur. En tout état de cause, ceci ne doit en aucun cas concerner l’un ou l’autre de nos patients.   En pratique   Pour le cardiologue, l’examen clinique reste essentiel. L’interrogatoire est bien sûr vigilant vis-à-vis des antécédents et des facteurs de risque, mais aussi des capacités fonctionnelles courantes. La prise tensionnelle doit attirer toute notre attention. L’ECG est systématique, et l’épreuve d’effort, voire l’échocardiographie de précieux alliés. Rappelons qu’en cas de problème, le plongeur met non seulement sa vie en danger… mais aussi celle de tous les autres plongeurs de sa palanquée. La plongée n’est pas toujours un long fleuve tranquille… et l’avis du cardiologue est parfois aussi important que le bulletin météo.

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