Coronaires
Publié le 28 mar 2006Lecture 12 min
Le patient multitronculaire : quel mode de revascularisation myocardique à l'ère des stents actifs ?
D. CARRIE, CHU de Toulouse
XVIes Journées européennes de la SFC
C’est en 1967 que R. Favaloro (Cleveland Clinic) réalisa le premier pontage aortocoronaire (PAC) veineux chez l’homme. Dix ans plus tard, A. Grüntzig ouvrit une nouvelle ère de la revascularisation myocardique grâce à l’angioplastie transluminale coronaire (ATC) avant que n’évolue la technique avec l’arrivée des endoprothèses coronaires en 1986. À l’ère des stents actifs, la question la plus pressante est habituellement de savoir si l’on choisit une dilatation ou un pontage en sachant que de nombreux facteurs cliniques, anatomiques voire techniques, doivent être pris en compte avant de choisir tel ou tel mode thérapeutique.
Chirurgie de pontage aortocoronaire
Comparaison des effets du pontage aortocoronaire et du traitement médical sur le pronostic de l’angor stable
Trois grandes études et une métaanalyse font référence dans l’histoire de la chirurgie de pontage aortocoronaire.
La Veterans Administration Study (1972-1974) ne retrouve pas de différence significative sur la survie à moyen et long termes dans le sous-groupe des patients à faible risque ; en revanche, elle met en évidence une différence significative en faveur de la chirurgie à 7 ans (72 vs 52 %) et à 11 ans (49 vs 36 %) dans le sous-groupe de patients à haut risque (lésions tritronculaires, fraction d’éjection < 50 %).
L’étude européenne ECS (1973-1975) met en évidence une meilleure survie à 5 ans (93 vs 82 %) et à 10 ans (76 vs 65 %) dans le groupe chirurgie chez les patients bi ou tritronculaires avec lésion de l’IVA proximale.
L’étude CASS (1975-1979) retrouve, là encore, une amélioration de la survie à 10 ans (75 vs 58 %) dans le groupe chirurgical chez les patients tritronculaires à fraction d’éjection < 50 %.
Enfin, la métaanalyse, regroupant 7 essais réalisés entre 1972 et 1984, dont les 3 principales études sus-citées, a inclus 2 649 patients ayant une cardiopathie ischémique stable avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche de 59,4 % (< 50 % chez 19,7 %).
Résultats
La chirurgie de principe, comparativement à la stratégie médicale initiale :
• diminue globalement la mortalité de 39 % à 5 ans : 10,2 vs 15,8 % ; de 32 % à 7 ans : 15,8 vs 21,7 % ; de 17 % à 10 ans : 26,4 vs 30,5 % ;
• est surtout efficace sur la mortalité à 5 ans en cas de sténose du tronc commun de la coronaire gauche (réduction de 68 % ; p = 0,004), d’atteinte tritronculaire (réduction de 42 % ; p < 0,001) et de sténose proximale de l’IVA, quel que soit le nombre de troncs atteints (réduction de 42 % ; p = 0,001) ;
• prolonge la survie à 10 ans de 8,8 mois chez les patients à risque élevé et de 5 mois lorsque le risque est modéré, mais a tendance à la raccourcir de 1,1 mois chez les patients peu menacés (le risque étant défini à partir d’un score prenant en compte l’âge, la sévérité de l’angor, la fraction d’éjection, la sévérité de l’atteinte coronaire angiographique, un antécédent d’infarctus, de diabète ou d’hypertension artérielle.
Commentaires
Dans l’angor stable, la chirurgie est d’autant plus efficace que l’atteinte coronaire est plus sévère (sténose du tronc commun, atteinte tritronculaire, sténose proximale de l’IVA). Le bénéfice a tendance à s’estomper avec le temps (altération des pontages), mais il reste significatif à 10 ans. La dysfonction ventriculaire gauche, un antécédent d’infarctus et la positivité de l’électrocardiogramme d’effort constituent des facteurs aggravants du pronostic. La chirurgie pourrait aggraver le pronostic à long terme des patients dont la cardiopathie ischémique est à faible risque (un tiers des patients de cette série). Les résultats de cette métaanalyse ne peuvent s’appliquer aux femmes et aux patients âgés de plus de 65 ans, qui représentent ici une très faible proportion.
Angioplastie transluminale coronaire
Grâce à l’évolution technologique, à l’expérience croissante des opérateurs et au meilleur environnement thérapeutique, l’angioplastie coronaire est devenue la technique de revascularisation myocardique la plus utilisée. Actuellement en France, la moitié des angioplasties sont réalisées chez des patients multitronculaires et le nombre d’interventions dans notre pays peut être estimé à 120 000 procédures par an pour 60 millions d’habitants.
Lorsqu’on analyse les registres d’angioplastie coronaire, on peut s’apercevoir que, malgré l’âge plus avancé des patients, la survenue plus fréquente d’angor instable et la présence de lésions coronaires le plus souvent multitronculaires, il existe au fil des ans une augmentation du taux de succès primaire sans augmentation du taux de complications hospitalières puisque le taux de mortalité est voisin de 1 % et celui de l’infarctus du myocarde de 5 %.
Taux d’événements coronaires à court et à long termes chez les patients traités par chirurgie (PAC) ou par angioplastie (ATC)
De nombreuses études rétrospectives et non randomisées font ressortir que la chirurgie :
• traite des patients avec des caractéristiques basales plus péjoratives,
• donne d’aussi bons résultats que l’ATC en termes de succès primaire et de survie à 5 ans,
• revascularise de façon plus complète avec un taux d’infarctus et de mortalité peropératoire identiques,
• entraîne un taux plus élevé d’accident vasculaire cérébral,
• nécessite un séjour hospitalier plus long,
• retrouve moins d’événements secondaires,
• enfin, est supérieure à l’angioplastie s’il existe des lésions tritronculaires ou bitronculaires avec atteinte de l’IVA proximale.
Toutefois, ces larges études prêtent à discussion car elles sont rétrospectives, non randomisées et s’adressent à une population hétérogène.
C’est pourquoi, dès 1988, de nombreuses études prospectives et randomisées ont comparé la chirurgie à l’angioplastie dans des populations homogènes de patients porteurs de lésions coronaires multitronculaires.
Études randomisées comparant angioplastie au ballon et chirurgie
Six études internationales se proposaient de comparer les résultats de l’angioplastie et du pontage aortocoronaire sur l’incidence combinée des décès et infarctus du myocarde (IDM) non mortels, chez des coronariens multitronculaires nécessitant une revascularisation myocardique et chez lesquels l’une ou l’autre de ces techniques était réalisable.
Résultats
• les patients inclus dans ces études sont très sélectionnés et ne représentent qu’environ 10 % de la population générale pluritronculaire ;
• la procédure prévue a été réalisée chez plus de 95 % des patients ;
• chez plus de 90 % des patients assignés à la procédure chirurgicale, tous les vaisseaux que l’on avait prévu de ponter ont pu l’être (pontage mammaire interne variable : 37 % dans l’étude GABI, 58 % dans l’étude toulousaine, 74 % dans l’étude RITA et 82 % dans l’étude BARI) ;
• la dilatation de toutes les artères prévues a été tentée chez plus de 85 % des patients ; le taux de succès a été supérieur à 80 % et atteignait près de 90 % si l’on ne prenait pas en compte les tentatives de désobstruction des vaisseaux occlus.
L’angioplastie par rapport au pontage
• n’a pas modifié la mortalité totale (2 à 6 %) à 1 an ;
• n’a pas influé sur l’incidence des IDM non mortels (8 %) ;
• a augmenté la proportion de patients gardant un angor ;
• a accru le risque de revascularisations itératives dans l’année, qu’il s’agisse d’un pontage (15 vs 1 %) ou d’une angioplastie (20 vs 3 %), la proportion de patients n’ayant eu que la procédure initiale étant d’environ 60 % seulement contre plus de 90 % dans le groupe chirurgie.
Suivi à long terme
Sur un suivi allant de 3 à 8 ans, il n’y a pas de différence significative en termes de mortalité entre les deux groupes randomisés. En revanche, le groupe angioplastie développe une récurrence d’événements angineux plus fréquente avec un taux de réinterventions significativement plus important (p < 0,002) comparativement au groupe chirurgical (14 vs 5 %).
La survie libre d’événements cardiaques est supérieure à 80 % dans le groupe chirurgical contre 65 % dans le groupe angioplastie.
Si une intervention de pontage aortocoronaire paraît, à court terme, plus agressive et deux fois plus chère, il faut tenir compte à plus long terme des récidives d’angor et de la nécessité de nouvelles procédures plus fréquentes après angioplastie coronaire qui entraînent à 5 ans un coût moyen de la procédure identique entre les deux groupes.
Limites de telles études
Le sous-groupe des patients à fonction ventriculaire gauche très altérée est minoritaire. Les patients à haut risque (sténose du tronc commun gauche, etc.) ne sont pas randomisables et sont exclus de ces études.
Cette population très sélectionnée n’est donc pas représentative de la population générale.
L’ATC peut être pénalisée puisque le suivi est court et que peu de procédures ont bénéficié de stents.
Nouvelles études randomisées comparant stent classique et chirurgie de pontage aortocoronaire
C’est pourquoi, et bien que n’étant pas le reflet de la population générale, de nouvelles études randomisées (ERACI II, ARTS I, SOS, MASS-2) comparant la chirurgie de pontage la plus artérielle possible à l’angioplastie coronaire avec implantation d’endoprothèses non actives ont été proposées.
L’étude ERACI II retrouve à la fin du premier mois plus d’événements coronaires majeurs avec la chirurgie, et notamment plus de décès et plus d’infarctus myocardiques, cet écart restant significatif en faveur de l’angioplastie à 41 mois.
Dans l’étude ARTS, ces résultats ne sont pas retrouvés puisque les taux combinés de mortalité, d’IDM et d’AVC sont identiques à 1 an.
Une des explications majeures d’une telle différence est que, dans l’étude ERACI, sont inclus 91 % de patients en angor instable contre 37 % dans l’étude ARTS. En revanche, le taux de revascularisations secondaires à 1 an est identique dans les deux études avec une survie libre d’interventions coronariennes voisine de 80 % dans le groupe angioplastie et de 95 % dans le groupe chirurgie (p < 0,0001).
Dans le sous-groupe des diabétiques (208 patients), si les taux de mortalité et d’infarctus sont similaires dans les deux groupes, la survie libre d’événements coronaires est en faveur de la chirurgie (84,4 vs 63,4 %, p < 0,001) à 1 an.
En termes de rapport coût-efficacité, l’étude ARTS retrouve respectivement dans le groupe angioplastie une économie par patient de 2 965 euros à 1 an pour 14 % d’événements coronaires en sus et à 3 ans de 1 500 euros avec toutefois un pourcentage de nouvelles revascularisations de 29,2 %, contre 7,3 % dans le groupe chirurgie.
Le suivi clinique à 5 ans de l’étude ARTS I donne les conclusions suivantes
• il n’y a aucune différence en termes de mortalité entre les deux groupes chez les multitronculaires ;
• la différence en termes d’événements cardiovasculaires majeurs est liée à un taux de revascularisations plus important dans le groupe stenté ;
• le taux de revascularisations au suivi n’est pas associé avec une augmentation de mortalité dans les deux groupes.
Les registres new-yorkais de Hannan entre 1997 et 2000 (plus de 50 000 patients) et la métaanalyse de Mercado (J Thor Cardiovasc Surgery) en 2005, ayant inclus les quatre études principales sus-citées avec lésions multitronculaires, confirment les résultats de ARTS I avec, dans les deux groupes, un degré similaire de protection contre la mortalité, l’IDM ou l’AVC. Les procédures de revascularisation secondaire restent plus élevées dans le groupe angioplastie, mais la différence avec la chirurgie a tendance à se réduire dans l’ère du stenting comparée à celle précédant le stent.
Dernières études comparant les stents actifs et la chirurgie de pontage aortocoronaire
En dehors de l’étude monocentrique de Herz qui retrouve sur une population de 113 patients dans chaque groupe un avantage pour la chirurgie en termes de survie à 1 an sans réintervention en utilisant les deux artères mammaires internes (96 vs 86,6 %), les deux nouvelles études multicentriques randomisées ERACI III et ARTS II plaident pour la première fois en faveur d’une équivalence de résultats entre les deux groupes en termes de nouvelles revascularisations à moyen terme. Ces deux études ont la particularité de comparer les résultats des stents actifs avec les groupes chirurgicaux des études précédentes ERACI II et ARTS I.
Dans l’étude ERACI III (450 patients), 78 % des patients sont en angor instable alors que 21 % sont diabétiques. À 1 an, le taux d’événements cardiovasculaires et cérébraux majeurs est de 14,2 % dans le bras stent actif contre 20 % dans le bras chirurgie avec 2,6 % de thrombose tardive intrastent.
Dans l’étude ARTS II (1 212 patients), dont 26 % de diabétiques, 37 % d’angor instable et 54 % de lésions tritronculaires (contre 30 % dans le groupe chirurgical), les taux de survie (99 vs 97,5 %) et d’événements cardiovasculaires et cérébraux (89,5 vs 88,5 %) à 1 an sont rigoureusement identiques entre les deux groupes.
Ainsi, les études randomisées en cours, Freedom chez le patient multitronculaire diabétique et SYNTAX avec lésions multitronculaires et ou lésions associées du tronc commun coronaire gauche, sont attendues avec impatience afin de confirmer les résultats des études précédentes. Si tel est le cas, le mode de revascularisation myocardique pour le patient n’en sera que plus élargi avec pour corollaire l’extension des stents actifs au traitement des lésions du tronc commun coronaire gauche.
En effet, de nombreuses séries monocentriques confirment de façon très significative le bénéfice du stent actif comparativement au stent nu en termes de survie sans événements cardiovasculaires majeurs (95 vs 70 %) à 1 an. L’étape suivante sera, bien sûr, de savoir si dans le cas où le patient peut bénéficier de l’une ou l’autre technique de revascularisation du tronc commun coronaire gauche, le bras angioplastie par stent actif n’est pas inférieur au groupe chirurgical.
En synthèse : angioplastie ou chirurgie ?
Au terme des études randomisées ou non et de l’ensemble des données de la littérature, plusieurs facteurs anatomiques et cliniques doivent intervenir dans la décision thérapeutique.
Facteurs anatomiques
Les lésions bitronculaires sans atteinte de l’IVA doivent faire préférer l’ATC.
Les lésions tritronculaires peuvent faire envisager l’une ou l’autre technique, mais sont fonction de situations particulières. S’il existe une occlusion partielle avec bonne viabilité myocardique, la chirurgie s’impose, sauf si le territoire viable est petit.
Dans le cadre de lésions tritronculaires avec atteinte de l’IVA proximale et ventricule gauche altérée, la préférence est encore à la chirurgie en attendant la confirmation des nouvelles études randomisées avec le stent actif.
Pour les lésions du tronc commun coronaire gauche, aucune étude randomisée n’est disponible actuellement et, en attendant les résultats de l’étude SYNTAX, la technique interventionnelle ne doit pas, hormis des cas bien particuliers, être considérée comme le traitement de première intention pour ce type de lésions.
Revascularisation complète ou incomplète
Une des questions essentielles est de savoir si la revascularisation doit être ou non la plus complète possible et si le pronostic en dépend. On sait d’après les grandes études que la chirurgie entraîne une revascularisation plus complète que l’angioplastie, mais on s’aperçoit que lorsque les patients peuvent bénéficier de l’une ou l’autre des techniques, la survie à moyen et long terme est identique.
La différence de morbi-mortalité chez les patients partiellement revascularisés est corrélée à la prévalence supérieure d’une fraction d’éjection < 50 %, d’un angor plus sévère, d’antécédents d’IDM plus élevés, de patients plus âgés (> 70 ans), et la présence de lésions plus excentrées.
L’étude BARI avait déjà précisé que la revascularisation partielle n’affectait pas la survie des patients à long terme mais soulignait la récurrence de l’angor et de nouvelles procédures de revascularisation en cas de revascularisation « imparfaite ». Il apparaît donc que le rôle essentiel de la revascularisation complète en dehors de l’artère interventriculaire antérieure est l’obtention d’une meilleure qualité de vie.
Facteurs cliniques
Si, dans l’IDM en phase aiguë, la chirurgie reste exceptionnelle, il semble que l’angor instable ne soit pas non plus une situation favorable à la chirurgie (études ERACI II et III). Les autres situations cliniques, en dehors du sujet diabétique, donnent globalement le même taux de survie à long terme au prix, le plus souvent, d’un excès de revascularisation dans le groupe angioplastie, sauf dans l’étude ARTS II.
Sexe féminin. Si la population féminine est plus âgée, avec un calibre artériel coronaire plus réduit et la présence d’hématomes et de transfusions plus importante, les analyses uni- et multivariées ne retrouvent pas que le sexe féminin soit à 5 ans un facteur prédictif de survenue d’infarctus, de pontage aortocoronaire et de mortalité après angioplastie.
Sujet âgé. La notion dominante est qu’en dehors du sujet diabétique, la survie à moyen terme est identique quelle que soit la technique utilisée. Toutefois, l’ATC entraîne une plus faible incidence de mortalité, d’IDM ou d’AVC. S’il existe une comorbidité, le risque chirurgical est supérieur à celui de l’angioplastie qui trouve très certainement dans cette indication une place de choix.
Diabète. Si les nombreuses études, randomisées ou non, montraient une supériorité de la chirurgie comparativement à l’angioplastie au ballon ou au stent nu, il semble que les données récentes de l’étude ARTS II avec l’avènement du stent actif retrouvent une équivalence de résultats à 1 an en termes d’événements cardiovasculaires et cérébraux entre les deux groupes. Là encore, les études randomisées en cours, SYNTAX et surtout Freedom, réalisée exclusivement chez le diabétique, sont attendues avec le plus grand intérêt.
Conclusion
Ainsi, si la chirurgie reste la technique de référence chez le patient multitronculaire avec ou sans lésion associée du tronc commun coronaire gauche, l’angioplastie avec stent actif semble devenir une alternative tout à fait acceptable, que devront confirmer les études en cours avec notamment le suivi clinique à moyen et long terme.
Si tel est le cas, l’indication du mode de revascularisation myocardique devra être discutée pour chaque patient en fonction des situations anatomiques, de la faisabilité de la technique, du risque estimé, de la clinique, de l’âge, du terrain, et parfois du choix du patient…
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