publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Thérapeutique

Publié le 25 avr 2006Lecture 9 min

Les antiagrégants et les anticoagulants contre-indiquent-ils certains types d'anesthésie ?

S. AUSSET, G. DE SAINT MAURICE, J.-P. TOURTIER, P. CLAPSON, N. DONAT, Y. AUROY, hôpital d’Instruction des Armées Percy, Clamart

Le préalable à toute discussion de la technique anesthésique en présence d’un médicament interférant avec l’hémostase est, d’une part, de ne pas omettre son interférence avec l’acte chirurgical et, d’autre part, d’envisager le risque lié à l’arrêt de ce type de traitement. Dans cet aspect de la question, le rôle d’expert du cardiologue est primordial.

On comprend aisément que devant la nécessité d’une chirurgie carcinologique endothoracique chez un patient porteur d’un stent actif justifiant un traitement par aspirine et ticlopidine, la discussion du choix de l’anesthésie ne soit pas primordiale. Le rapport bénéfice/risque de l’arrêt ou de la poursuite du traitement interférant avec l’hémostase doit faire l’objet d’une approche multidisciplinaire en fonction de l’acte chirurgical envisagé (tableau). La discussion doit donc intégrer le risque hémorragique à la réalisation de la chirurgie en présence du traitement interférant avec l’hémostase, mais également le risque lié à l’arrêt de ce traitement.   Quels risques sont liés à l’anesthésie ?   Anesthésies locorégionales Elles se divisent schématiquement en anesthésies périmédullaires (APM), qui comprennent les rachianesthésies et les anesthésies péridurales, et en anesthésies tronculaires ou plexiques où une ponction est effectuée à proximité d’un tronc nerveux ou d’un plexus. Hématome périmédullaire L’hématome périmédullaire est une complication très rare des APM. Son incidence réelle est inconnue. La revue des séries publiées permet de l’estimer à 1/50 000 ou même 1/150 000 APM. Ses conséquences sont potentiellement dramatiques puisque 89 % des complications déclarées aux États-Unis entre 1980 et 1999 ont abouti à un déficit neurologique permanent. Le risque d'hématome, chez les patients devant avoir une anesthésie tronculaire, semble intuitivement moins grave car en cas de ponction vasculaire, une compression manuelle est souvent possible et le diagnostic d’hématome est souvent plus facile. Hypocoagulabilité et hématome périmédullaire Le rôle de l'hypocoagulabilité dans la genèse d'hématome périmédullaire, est fortement suggéré par la revue de la littérature : sur une série colligeant 61 cas rapportés dans la littérature, 68 % des cas sont survenus chez des patients hypocoagulables. De la même manière, la commercialisation en 1993 aux États-Unis de l'énoxaparine, administrée à la dose biquotidienne de 30 mg, sans insister à cette époque sur les précautions et mesures de prudence nécessaires, a été suivie d'une véritable « épidémie » de 43 cas d'hématomes rapportés entre 1994 et 1996. Cette « épidémie » a donné lieu à une estimation de la fréquence de survenue d'hématomes aux environs de 1/9 000 APM, chiffre significativement plus élevé que l'incidence « attendue » d'hématomes, ce qui rend crédible un lien entre l'introduction imprudente de l'HBPM et l’accroissement de la fréquence de ces hématomes. Le même phénomène de surcroît d’hématomes périmédullaires rétrospectivement à l’introduction d’HBPM sans recommandations entourant leur usage a été observé en Suède entre les années 1990 et 1999 où, sur un collectif de 1 260 000 anesthésies péridurales et 450 000 rachianesthésies, 33 hématomes périmédullaires ont été recensés. La fréquence de cette complication a été estimée à 1/200 000 après anesthésie ou analgésie péridurale en obstétrique et 1/3 600 après anesthésie péridurale réalisée chez des femmes bénéficiant d’une arthroplastie de hanche. Dans de nombreux pays, ces données ont amené les sociétés savantes à conclure que l’hypocoagulabilité augmente le risque d'hématome périmédullaire au décours d’une APM.   Le risque est-il identique avec tous les médicaments hypocoagulants ? Les anticoagulants sont, de toute évidence, des médicaments à haut risque. Les antivitamines K comportent un risque hémorragique chirurgical bien connu, considéré cependant comme faible pour un INR < 1,4. L'héparine est plus facile à gérer, car son action peut être surveillée biologiquement et sa durée d'action est courte (2 à 4 heures par voie intraveineuse, 6 à 8 heures par voie sous-cutanée). De plus son effet peut être antagonisé par le sulfate de protamine. Les HBPM sont plus délicates à gérer en raison de leur plus longue durée d'action (12 à 24 heures), du manque de moyens pour évaluer leur effet biologique de façon précise et de l’absence d’antagoniste. Les agents antiplaquettaires semblent différer des anticoagulants dans le rôle qu’ils joueraient dans la survenue d’un hématome périmédullaire. Dans une étude prenant comme critère d’appréciation du risque hémorragique, les saignements observés au cours de la ponction et/ou de la pose de cathéter, la prise d'antiagrégant n'a pas été identifiée comme un facteur de risque indépendant, contrairement à d’autres critères comme le sexe féminin, l'âge avancé et la notion de saignement à l'interrogatoire. Les cas d’hématome périmédullaire chez des patients traités par aspirine ou AINS ne sont rapportés que de manière anecdotique, alors que ces deux types de produits sont très couramment utilisés depuis de nombreuses années chez de nombreux patients bénéficiant d’une APM. Enfin, aucun hématome périmédullaire n’a été observé dans les grandes séries ayant associé anesthésie locorégionale rachidienne et aspirine, en orthopédie et en obstétrique. On peut donc conclure que le risque d'hématome est sans doute moins important avec l'aspirine et les AINS lorsqu'ils sont utilisés seuls qu’avec les anticoagulants. Ces données rassurantes établies sur de vastes effectifs de patients ne concernent que l’aspirine et les AINS. Il est donc préférable de séparer ces deux types de produits des autres agents antiplaquettaires (ticlopidine, clopidogrel) pour lesquels un tel recul n’existe pas et qui induiraient un surcroît de risque hémorragique chirurgical. Le groupe d’étude sur l’hémostase et la thrombose de la Société française d’hématologie et la Société française d'anesthésie-réanimation, dans leurs recommandations de 2001, déconseillent l’APM en présence de ces agents. L'association d'un antiagrégant avec un autre facteur de saignement est une autre donnée qu’il faut prendre en compte car elle accroît le risque. En effet, dans les rares cas d’hématomes rapportés dans la littérature sur des patients sous antiagrégants, un deuxième facteur favorisant est trouvé dans tous les cas.   Quels sont les autres facteurs de risque ? Les autres facteurs associés à la survenue d’un hématome rachidien sont l’âge avancé et le sexe féminin. Dans une série de 40 cas d’hématomes rachidiens associés à une médication par HBPM, 75 % étaient des femmes âgées. Le dosage de l’HBPM n’était pas ajusté au poids et l’activité anti-Xa n’était pas mesurée. De plus, la créatinine sérique n’était pas toujours mesurée avant la prescription d’HBPM alors que l’on sait que l’insuffisance rénale prolonge et accroît l’activité anti-Xa. De la même manière, un faible poids et une maladie hépatique ou rénale concomitante peuvent aussi augmenter en théorie le risque.   Le risque varie-t-il avec la technique ?   ALR rachidienne Sur les 61 cas d'hématomes rapportés dans la littérature, 15 sont consécutifs à une rachianesthésie, les 46 autres à une anesthésie péridurale, avec utilisation d’un cathéter dans 32 cas. Dans une étude prenant comme critère d’appréciation du risque hémorragique l'observation de saignement lors de la ponction, la rachianesthésie a été responsable de saignement dans 18 % des cas et l'anesthésie péridurale avec cathéter dans 24 % des cas. Lors de l'ablation du cathéter, la présence de sang a été notée dans 49 % des cas. Enfin, la vague d'hématomes observée aux États-Unis lors de l’introduction de l’énoxaparine a permis de graduer le risque selon la technique utilisée. Celui-ci était jugé moins élevé lors des rachianesthésies (1/41 000) que lors des anesthésies péridurales (1/6 600) et l'utilisation d'un cathéter semblait encore l’accroître (1/3 100). Il était, par ailleurs, constaté que 80 % de ces hématomes (17/21) sont survenus après le retrait du cathéter. Il semble donc que l'anesthésie péridurale comporte plus de risque que la rachianesthésie, que l’utilisation d’un cathéter accroisse ce risque et que le retrait du cathéter est aussi un geste à haut risque.   Blocs périphériques L’anesthésie tronculaire qui semble comporter un risque comparable dans sa nature aux APM est le bloc du plexus lombosacré par voie postérieure ou même par voie antérieure (bloc 3 en 1, bloc ilio-fascial). En effet, lorsque l'hématome est rétropéritonéal, la compression est impossible, le diagnostic difficile ; enfin, l'hématome du psoas peut induire une compression nerveuse avec une atteinte neurologique.   Que proposer en pratique ? La Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) a édicté des recommandations précisant les règles d'utilisation des anti-thrombotiques associés à une APM. Chez le patient qui est, ou qui va être anticoagulé de façon efficace, les APM doivent rester exceptionnelles et n'être envisagées qu'au cas par cas, après évaluation du rapport bénéfice/risque.   Gestion de la thromboprophylaxie Chez les patients recevant des doses préventives d’anticoagulants, la réalisation des APM doit être entourée d’un certain nombre de précautions : • l'injection de l’HBPM ne doit être réalisée qu'après la réalisation de l'APM, le bénéfice de l'administration préopératoire des anticoagulants n'étant pas démontré et l'augmentation potentielle du risque hémorragique étant réelle ; le délai à respecter après HBPM est de 4 à 6 heures Ce délai peut éventuellement être ramené à 1 ou 2 heures, car le pic d'action anti-Xa ne survient que 3 à 4 heures après l'administration des HBPM ; • quand il existe une indication à débuter la prévention de la thrombose veineuse avant l'intervention (fractures à haut risque thromboembolique, telle une fracture du col du fémur), l'utilisation préopératoire de la calciparine à la dose de 0,2 ml x 3 est une solution qui permet de moduler plus facilement l'heure de l'ALR et de la chirurgie (6 à 8 heures après la dernière injection) ; • les injections sont réalisées à distance de l'ALR et du retrait du cathéter qui doit s’effectuer vers la 20e heure après l'injection (et donc 3 à 4 heures avant l’injection suivante) ; • des doses minimales suffisantes d'anticoagulants sont utilisées.   Patients sous antiagrégants plaquettaires Les recommandations de la SFAR définissent clairement les conditions de réalisation d’une APM sous aspirine ou AINS : « L’aspirine et les AINS ne contre-indiquent pas une APM au cas par cas si l’on considère que son bénéfice est supérieur au très faible risque d’hématome médullaire, à la condition : • que le patient n’ait reçu aucun traitement anticoagulant avant la ponction ; • de préférer la rachianesthésie « en ponction unique » à la péridurale ou à la rachianesthésie (rachi continue) avec cathéter ; • qu’il n’existe pas d’anomalie associée de l’hémostase (importance de l’interrogatoire) ; • que la surveillance neurologique postopératoire soit rigoureuse. » Les recommandations de la SFAR séparent l'aspirine et les AINS de la ticlopidine et du clopidogrel qui doivent être suspendus pendant les 10 jours précédant l'intervention afin de permettre une récupération ad integrum des fonctions plaquettaires. Le traitement de substitution consiste alors en une héparinisation à dose curative ou à la prescription de flurbiprofène à la dose de 50 mg, deux fois par jour. La dernière prise de flurbiprofène doit avoir lieu 24 heures avant l'opération. L'héparinisation sera interrompue au moins 12 heures et 24 heures avant l'opération avec l'héparine calcique et les HBPM respectivement. Les antagonistes Gp IIb/IIIa (Réopro®, Integrilin®, Aggrastat®) contre-indiquent la réalisation de tout bloc périmédullaire. L'administration de desmopressine, de corticoïdes ou la transfusion de plaquettes n’ont pas leur place dans la prévention d'un éventuel hématome périmédullaire lors de la réalisation d'une APM sous antiagrégants plaquettaires.   Nouveaux anticoagulants Même si aucun cas d'hématome spinal associé à l’utilisation de dérivés recombinants de l'hirudine n'est rapporté dans la littérature, ils sont une contre-indication à la réalisation d'une APM en raison de la persistance réelle d'un risque hémorragique et de l'absence d'antidote. De même, bien que de récents travaux ne retrouvent aucun hématome médullaire chez 3 600 patients sous fondaparinux ayant bénéficié d’une APM, ces données ne peuvent être directement extrapolées à la pratique clinique courante. Les ponctions étaient effectuées selon des critères très rigoureux : une seule tentative, absence de ponction traumatique, retrait du cathéter 2 heures avant l'administration du fondaparinux. Cela impose beaucoup de recul dans l'interprétation des résultats et la réalisation d'APM en présence de ces produits ne doit se faire que dans le cadre de protocoles de recherche rigoureux avec une technique de ponction stricte. La surveillance neurologique postopératoire et prolongée reste, dans tous les cas, indispensable (jusqu'au 3e jour ou au moins 24 heures après le retrait du cathéter). Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  •  
  • 1 sur 48