Publié le 03 avr 2007Lecture 8 min
Les facteurs de risque et la prévention du futur
J. FERRIÈRES, CHU Rangueil, Toulouse
La notion de facteur de risque de la maladie coronaire remonte à 1961. Depuis cette date, il n’y a pas eu une seule période sans que l’épidémiologie alimente le débat de la cardiologie générale. Dans cet article, nous allons retracer les faits les plus marquants de ces dernières années et essayer de nous projeter dans l’avenir pour imaginer ce que sera la cardiologie de demain.
Les facteurs de risque dits classiques expliquent la majorité des accidents coronaires. Quatre facteurs de risque principaux (tabagisme, hypercholestérolémie, hypertension artérielle et diabète) expliquent la très large majorité des événements coronaires aigus.
Les facteurs de risque et les formules de prédiction
En France, ce sont 83 % des cas de maladie coronaire qui sont expliqués par ces quatre facteurs de risque ainsi que par l’effet protecteur du HDL-cholestérol.
Cependant, le cardiologue praticien sera surtout marqué par les cas de maladie coronaire qui sont, à ses yeux, inexpliqués par la présence de ces facteurs de risque principaux.
La liste des facteurs de risque potentiels pour expliquer la part restante de la variabilité de la maladie coronaire est particulièrement longue. On y trouve la lipoprotéine (a), l’homocystéine, de nombreux polymorphismes génétiques ainsi que la longue liste des facteurs dits inflammatoires tels que la CRP, l’interleukine 6 ou l’ICAM-1. En fait, ces nouveaux « facteurs de risque » sont décrits dans des études épidémiologiques d’observation, mais aucun d’entre eux n’a franchi l’épreuve des essais thérapeutiques. Par conséquent et pour longtemps, le cardiologue doit rester à la liste restrictive des facteurs de risque dits classiques.
Les années les plus récentes ont vu fleurir de nombreuses formules de prédiction du risque coronaire ou cardiovasculaire à long terme. La première formule a été celle de Framingham puis on a vu apparaître la formule de PROCAM et enfin la formule européenne SCORE.
Ces formules de risque donnent des résultats mitigés dans la mesure où il existe une véritable continuité dans le risque cardiovasculaire (figure 1).
Figure 1. La continuité de la prévention des maladies cardiovasculaires.
En effet, ces formules de risque dépendent du pays dans lequel elles ont été développées et du poids relatif des différents facteurs de risque dans ce pays spécifique.
Le challenge des années à venir sera de développer une formule de risque à proprement parler française dans la mesure où elle intègrera les taux actuels de maladie coronaire en France ainsi que la prévalence et le pouvoir de prédiction des facteurs de risque dans notre pays. Cette formule n’est pas encore à notre disposition.
Le vieillissement de la population et la compression de la morbidité
Actuellement, ce sont 10 % des habitants de la France qui sont âgés de plus de 65 ans. On retrouve environ 5 % de sujets très âgés, de plus de 75 ans. Il n’est nul besoin de réaliser une étude épidémiologique pour montrer que la population des patients en cardiologie a considérablement vieilli ces dernières années.
La question qui se pose aujourd’hui est celle des modalités du vieillissement de cette population française et des conséquences que cela peut avoir sur la prise en charge des maladies chroniques.
Dans la perspective d’une augmentation de l’espérance de vie, plusieurs hypothèses peuvent être discutées :
- l’extension pure et simple de la durée durant laquelle le patient est malade ;
- une augmentation de l’espérance de vie avec un recul de la date d’entrée dans la maladie. C’est l’hypothèse la plus communément admise aujourd’hui et développée par J.-F. Fries en 1980 : il existe donc un raccourcissement de la période durant laquelle le sujet est atteint d’une maladie chronique. En d’autres termes, nous aurons affaire à des sujets de plus en plus âgés, mais dont la lourdeur de la maladie n’apparaîtra que tardivement. Cela n’occulte pas la complexité de la prise en charge des sujets très âgés atteints de multiples maladies chroniques occasionnant de nombreux handicaps.
L’augmentation de la sédentarité et de l’obésité
L’actualité porte sur l’augmentation de l’obésité alors que la sédentarité et l’obésité sont indissociables. Les sujets grossissent parce qu’ils mangent trop ou qu’ils ne se dépensent pas assez.
L’automatisation des travaux manuels et l’augmentation des transports ont diminué de manière considérable la place de l’exercice physique dans la société d’aujourd’hui. Il n’y a aucune raison pour penser qu’il y aura une modification de la tendance actuelle à l’augmentation de l’obésité car l’augmentation de l’exercice physique ne peut se faire que pendant les périodes de loisirs. Cela signifie que le sujet doit choisir entre faire de l’activité physique pendant ses loisirs ou préférer une autre activité qui, elle, ne sera pas coûteuse en calories. On comprend donc que le choix sera vite fait !
Les conséquences d’une augmentation de la sédentarité et de l’obésité sont représentées par une augmentation probable de l’incidence du diabète et par la difficulté à contrôler les autres facteurs de risque telles que l’hypertension artérielle et les dyslipidémies.
Il est fort probable que l’on assiste alors à un ralentissement de la baisse de l’incidence des maladies cardiovasculaires en rapport avec cette augmentation de l’obésité, du diabète et du mauvais contrôle des facteurs de risque. Cependant, nous restons optimistes sur la baisse de la mortalité par maladies cardiovasculaires car elle dépend également du traitement des patients coronariens qui n’a fait que s’améliorer ces dernières années.
On peut espérer également que des mesures politiques, sociales et enfin des médicaments d’avenir puissent retarder la date d’entrée dans la maladie diabétique et permettent ainsi un moindre impact sur l’évolution de la maladie cardiovasculaire.
La prévention au niveau du grand public
Malgré le développement de médicaments de plus en plus sûrs, quelques épisodes récents dans le domaine de l’industrie pharmaceutique ont fait accroître la méfiance du grand public vis-à-vis des médicaments. Parallèlement, de nouvelles stratégies se sont développées dans le domaine agroalimentaire visant à contrôler certains facteurs de risque par l’intermédiaire de produits directement accessibles par le grand public.
C’est le cas des margarines au sens large et des margarines enrichies en stérols ou en stanols végétaux en particulier. Les industriels du domaine agroalimentaire ont bien compris la formidable adhésion du grand public à ce type d’approche en développant tout un choix de produits variés tels que les acides gras oméga 3 ou les innombrables suppléments vitaminiques destinés au grand public.
Il faut rappeler cependant qu’on demande aux nouveaux médicaments qui sont disponibles sur le marché de montrer une efficacité sur les événements cliniques au-delà des critères intermédiaires que sont la pression artérielle ou le niveau de cholestérol ou de glycémie.
Les suppléments alimentaires sont développés sur des arguments physiopathologiques intéressants mais n’ont aucune preuve sur l’évolution de la maladie vasculaire.
On peut cependant réconcilier les volontés de l’industrie agro-alimentaire avec les désirs de la santé publique si cette promotion du « manger sain » est associée au développement de messages plus généraux tournés vers la consommation de fruits et légumes frais, de glucides lents, la consommation de plusieurs repas par jour et la diversité alimentaire.
En effet, la menace de « l’américanisation » de nos modes alimentaires est bien là aujourd’hui en France. Les grandes villes sont frappées de plein fouet par la diminution de l’apport alimentaire lors du repas de midi et la nécessaire rapidité de la prise du repas du soir. Il est donc probable que la nutrition ait une place de plus en plus grande dans notre société, mais il ne faudrait pas que ces messages nutritionnels soient entendus par les plus éduqués d’entre nous et exposés de façon simpliste.
Comme pour l’exercice physique, « manger mieux » est une démarche positive mais nécessitant des efforts à tous les niveaux, que ce soit au niveau du choix des aliments achetés ou de leur préparation. À travers le développement de l’éducation thérapeutique, le cardiologue doit participer à cet effort global en montrant tout son intérêt à comprendre la nutrition, promouvoir l’exercice physique et participer à des séances grand public pour y apporter ses messages spécifiques.
Les choix thérapeutiques du futur
Le cardiologue d’aujourd’hui a déjà entre ses mains les thérapeutiques majeures de la prévention cardiovasculaire représentées par les statines, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et les antiagrégants plaquettaires. Grande est la tentation de mettre ces thérapeutiques dans une seule pilule sous la forme d’une « polypill ». Trois grandes stratégies thérapeutiques peuvent être dessinées pour l’avenir, tout en sachant que ces stratégies peuvent être prises isolément ou réalisées de manière complémentaire (figure 2).
Figure 2. Les stratégies thérapeutiques du futur.
La première stratégie pourrait consister à diffuser le plus largement possible une combinaison thérapeutique de principes actifs efficaces telle que la polypill. Le but de cette première stratégie serait d’abaisser de manière considérable le prix de cette polypill afin qu’elle soit utilisée de la manière la plus large possible.
La deuxième stratégie consisterait à développer des outils d’aide à la décision pour le praticien. Ces outils basés sur des formules de risque permettraient de circonscrire les patients les plus à risque et de leur prescrire la thérapeutique la plus appropriée. Cette stratégie bute sur l’applicabilité des différentes formules de risque et sur la nécessité de développer des formules propres à chaque pays.
La dernière stratégie consisterait à proposer un schéma de diagnostic et de traitement personnalisé. Cette attitude consisterait à dépister le plus tôt possible des lésions athéroscléreuses silencieuses avec des outils appropriés qui sont en cours de développement. Ainsi, dans cette approche, on ne traiterait que les patients chez lesquels la probabilité d’effets thérapeutiques significatifs est grande. L’inconvénient de cette stratégie est le coût des outils diagnostiques et la difficulté de généraliser cette attitude à l’ensemble de la population. Toutes ces stratégies devront également favoriser l’observance des thérapeutiques au long cours. On connaît de nombreux déterminants de l’observance des thérapeutiques mais on connaît mal la meilleure façon de les contrôler.
En pratique
On imagine les années à venir comme des années où le citoyen voudra être de plus en plus maître de son avenir cardiovasculaire et le cardiologue interviendra comme conseiller dans cette démarche thérapeutique personnalisée. Cependant, le cardiologue est le meilleur avocat pour augmenter son espérance de vie. Il reste à souhaiter qu’il ne soit pas relégué au rang de technicien, mais fasse partie intégrante de la discussion thérapeutique.
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