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Explorations-Imagerie

Publié le 06 avr 2010Lecture 9 min

Les limites et évolutions possibles de la prévention du risque

F. DIÉVART, Clinique Villette, Dunkerque

Les modèles de prise en charge du risque cardiovasculaire proposés dans la plupart des recommandations des sociétés savantes ou groupes d’experts reposent sur un consensus dont certains déterminants sont forcément arbitraires. L’analyse de plusieurs de ces textes montre qu’ils peuvent parfois comporter des appréciations et des propositions qui peuvent ne pas être partagées. De ce fait, il est possible, parfois justifié dans certains cas, qu’un médecin ne suive pas certaines recommandations.

Le principe de prise en charge qui prévaut en 2010 est : il faut évaluer le risque, puis agir sur certains marqueurs modifiables de ce risque avec une rapidité et une ampleur qui sont fonction du niveau de risque. Ainsi, pour un sujet en prévention primaire n’ayant qu’un facteur de risque cardiovasculaire, le LDL cholestérol doit être < 1,9 g/l, alors que, si son risque cardiovasculaire est élevé, il doit être < 1 g/l. Dans les lignes qui suivent, nous verrons qu’il faut raison garder concernant certains paramètres de la prise en charge, que des modèles théoriques peuvent ne pas être validés, bien qu’ils soient le support de recommandations, que la stratégie du « le plus bas est le mieux » si le risque est élevé, n’est pas non plus parfaitement conforme à l’état des données de la science, que le modèle du traitement des sujets les plus à risque n’est peut-être pas celui qui permet une plus grande réduction du risque à l’échelle de la population.   Collusion entre marqueur et facteur Certains paramètres permettent d’évaluer le risque cardiovasculaire et, en cela, ils sont des marqueurs du risque. Si des essais d’intervention démontrent que la modification de ce marqueur modifie favorablement le risque, ce paramètre devient un facteur de risque sur lequel il est possible et recommandé d’agir. Il faut donc bien distinguer les marqueurs des facteurs. Si la pression artérielle et le LDL-cholestérol sont bien des facteurs de risque cardiovasculaire, en 2010 il n’y a aucune preuve que l’augmentation du HDL-cholestérol par un moyen pharmacologique modifie le risque cardiovasculaire. Le HDL est donc un marqueur du risque, puissant, indépendant mais reste un marqueur. Toute proposition ayant pour objectif de promouvoir son augmentation par un moyen pharmacologique n’est pas validée. En 2010, il n’y a aucune preuve que le traitement pharmacologique du diabète de type 2 modifie le risque cardiovasculaire. Le diabète, l’HbA1c et/ou la glycémie sont donc des marqueurs du risque et non des facteurs de risque. Ainsi, la phrase suivante, issue des recommandations de 2006 pour la prise en charge du patient diabétique de type 2 : « L’objectif général chez les patients dont l’espérance de vie justifie une prévention des complications de micro- et de macroangiopathie grâce à un bon équilibre glycémique, est l’obtention d’une HbA1c inférieure à 6,5 % » n’a pas de fondement scientifique validé.   Modèles théoriques Un modèle théorique souvent utilisé est d’assimiler la prévention primaire des sujets à très haut risque à celle des patients en prévention secondaire. Par exemple, il est souvent recommandé chez les patients dont le risque cardiovasculaire absolu est > 20 % à 10 ans, d’adopter des stratégies thérapeutiques et des cibles concernant des facteurs de risque, équivalentes à celle des sujets en prévention secondaire. Cette démarche est associée à deux paradoxes : - le risque d’un patient en prévention secondaire peut être plus faible que celui d’un patient en prévention primaire. Faut-il dès lors diminuer l’intensité de la prise en charge du patient en prévention secondaire ? - ce qui différencie un patient en prévention primaire d’un patient en prévention secondaire est que, même si leur niveau de risque peut être parfois quantifié comme équivalent, le second a eu un événement clinique aigu et pas le premier. Il est donc possible qu’à niveau de risque équivalent, lorsque ce risque est estimé par des équations de risque, il y ait un élément différenciant ces deux types de patients et qui ne soit pas pris en compte parfaitement par les moyens d’évaluation du risque disponibles. Ce paradoxe est illustré par la problématique de l’aspirine en prévention primaire. Il est, en effet, proposé que l’aspirine soit utilisée en prévention primaire chez les patients dont le risque cardiovasculaire est élevé et notamment chez les diabétiques de type 2 ayant certains marqueurs du risque supplémentaires. Ces propositions sont des extrapolations d’un modèle théorique sans bénéfice validé, et sans connaissance parfaite du risque induit par le traitement chez ce type de patient.   Collusion entre cible absolue et cible relative Concernant la pression artérielle et le LDL-cholestérol, les propositions des recommandations reposent sur des cibles absolues : il faut diminuer le LDL en dessous d’un certain seuil, la pression artérielle en dessous d’une certaine valeur. Or, les essais d’intervention disponibles n’ont, pour la plupart, pas évalué des stratégies reposant sur l’obtention d’une cible mais ont comparé des stratégies permettant d’avoir au moins deux groupes de patients ayant des valeurs différentes d’un marqueur : une pression artérielle ou un LDL plus abaissé dans un groupe que dans l’autre. Dans les essais d’intervention lipidique, lorsque la cible atteinte a été très basse (< 1 g/l, par exemple), les patients enrôlés avaient à l’inclusion une valeur de ce paramètre qui était déjà basse. Ainsi, dans les études ayant évalué des groupes de patients dont le LDL a été abaissé entre 0,50 et 0,90 g/l, à l’inclusion, la valeur du LDL était le plus souvent < 1,30 g/l. L’objectif de ces études était d’évaluer si un abaissement du LDL alors qu’il est déjà bas, soit spontanément (comme dans l’étude JUPITER), soit sous l’effet d’une posologie modérée de statine (comme dans les études IDEAL et TNT), peut apporter un bénéfice. L’objectif n’était pas de diminuer en dessous d’1 g/l le LDL quel que soit son niveau initial. Ainsi, lorsqu’il est proposé, dans une recommandation, d’atteindre un niveau de LDL < 1 g/l et que le patient reçoit déjà une statine à une posologie maximale autorisée (comme 80 mg/j d’atorvastatine ou 20 mg/j de rosuvastatine) et que, malgré cela, le LDL reste autour de 1,30 g/l, faut-il tout faire pour diminuer encore le LDL alors qu’aucune étude n’a démontré qu’une stratégie thérapeutique complémentaire permettant d’atteindre la cible de 1 g/l soit garante d’un bénéfice ? En revanche, quand des études comme IDEAL ou TNT montrent qu’il est possible de diminuer plus encore le risque cardiovasculaire de patients traités par une posologie modérée de statine, en utilisant une statine plus puissante ou une posologie de statine plus élevée – ce qui est validé –, ce n’est pas l’obtention d’une cible, mais l’utilisation d’une forte posologie d’une statine puissante. Proposer une cible qui parfois ne peut être atteinte, c’est favoriser l’utilisation de stratégies dont le rapport bénéfice/risque n’est pas connu.   Stratégie du haut risque contre stratégie populationnelle La stratégie de prise en charge prioritaire des patients dont le risque cardiovasculaire est le plus élevé est largement proposée car elle semble logique, d’une plus grande efficacité et d’un coût moindre que la prise en charge large de patients de plus faible risque. Le rapport coût/bénéfice d’une stratégie de prévention peut être estimé par le nombre de patients à traiter pour éviter un événement, en supposant que le coût par patient est fixe. Prenons le cas d’une stratégie permettant de diminuer de 30 %, en valeur relative, le risque d’infarctus du myocarde, par exemple en utilisant une statine qui diminue le LDL de 30 % en valeur relative. Si l’évaluation du risque coronaire a montré qu’un patient a un risque cardiovasculaire absolu de 50 % à 10 ans, lui proposer ce traitement réduira son risque de 30 %, en valeur relative. Son nouveau risque absolu sera alors de 35 %. La réduction absolue du risque (RAR) sera de 15 % et le nombre de patients à traiter pour éviter un événement qui est égal à 1/RAR sera de 6,66. Traiter 6 à 7 patients dont le RCVA est de 50 % pendant 10 ans permet donc d’éviter un infarctus du myocarde. Si le risque absolu du patient est de 20 %, la réduction absolue du risque permise par le traitement sera de 6 % et le nombre de patients de ce type à traiter sera de 16,66 pour éviter un événement. Si le risque absolu est de 5 %, le nombre de patients à traiter pour éviter un événement sera de 66,66 et, si le risque absolu est de 1 %, le nombre de patients à traiter sera de 333,33. Le coût pour éviter un infarctus du myocarde dans le dernier cas sera 50 fois plus élevé que dans le premier cas et donc moins rentable, moins « coût-efficace ». Supposons maintenant que, dans une population X, le nombre de patients dont le risque absolu est de 50 % est de 10 000. En proposant ce traitement à ces 10 000 patients, en dix ans, le nombre d’infarctus évités sera de 1 500. Supposons que dans cette même population X, le nombre de patients dont le risque est de 1 % soit de 10 000 000, en proposant ce traitement à tous ces sujets, le coût sera très important, mais le nombre d’infarctus évités en 10 ans sera de 30 000, soit 20 fois plus. À l’échelle de la population, cette seconde stratégie, dite populationnelle, pourrait donc être plus utile. Certes, il faut traiter 1 000 fois plus de personnes pour éviter seulement 20 fois plus d’infarctus, mais le rapport coût-efficacité doit alors prendre en compte le coût du traitement, minoré du coût des événements évités ; dès que le coût du traitement est inférieur à 50 fois le coût de l’événement évité, le rapport bénéfice-coût devient favorable et le traitement est économique. En d’autres termes, la stratégie du traitement du plus haut risque, qui parait la plus coût-efficace à première vue, ne l’est peut-être pas. Dans ces nouveaux modèles, de nombreux paramètres doivent être intégrés parmi lesquels : - en multipliant le nombre de patients traités, si on divise le nombre d’infarctus on multiplie aussi le risque d’effets indésirables des traitements ; - a-t-on la garantie que la diminution du risque d’infarctus dans une large population sera superposable à celle obtenue dans des essais cliniques dont les modalités ne sont pas celles d’une prise en charge à large échelle ? Ce raisonnement peut aussi être inversé. Après les résultats de l’étude JUPITER qui a montré une réduction de 40 % dès 2 ans du risque d’infarctus dans une population de prévention primaire avec LDL bas et hs-CRP modérément élevée, n’y aura-t-il pas une réduction du risque d’infarctus plus ample que celle qui était envisagée ? - s’il faut envisager un traitement pour toute une population, que deviennent les notions de normalité et de maladie ? Cette stratégie dite populationnelle est une voie explorée par la recherche médicale contemporaine. Elle a été formulée en 1992, par Geoffrey Rose dans son livre « The Strategy of Preventive Medicine » avec la formule : « un grand nombre de sujets à faible risque peut entrainer plus de cas de maladie qu’un faible nombre à haut risque ». C’est cette stratégie qui constitue le principe de l’évaluation de la polypill. Ce principe est le suivant : dès lors qu’il y a une relation linéaire et continue, sans seuil, entre le LDL et/ou la pression artérielle et le risque d’événements cardiovasculaires, dès lors que des traitements bien tolérés peuvent diminuer le LDL et la pression artérielle, pourquoi ne pas proposer à partir d’un certain niveau de risque, défini par un marqueur non modifiable (l’âge), un comprimé comprenant une statine et des antihypertenseurs faiblement dosés afin de diminuer modérément le LDL et la pression artérielle ? Ce traitement simple devrait permettre, s’il était appliqué à large échelle, de réduire le nombre absolu d’événements cardiovasculaires dans une population. Ce modèle justifie d’être évalué quant à sa pertinence et des études sont en cours dans ce domaine.   Et la courbe en J ?   Enfin, un dernier élément à prendre en compte dans une stratégie qui propose d’abaisser certains marqueurs de façon d’autant plus importante que le risque est élevé est d’avoir la certitude qu’il n’y a pas de courbe en J dans la relation entre le marqueur et le risque. En d’autres termes, il faut être sûr que l’obtention de valeurs très basses (notamment en matière de pression artérielle) ne soit pas associée chez des patients à très haut risque à une augmentation du risque. Le débat sur la courbe en J concernant la relation entre pression artérielle et risque a été récemment relancé par plusieurs études et par son incorporation dans les recommandations de 2009 de la Société européenne d’hypertension artérielle.   En pratique   Le modèle de prévention du risque cardiovasculaire reposant sur une proportionnalité entre l’ampleur du risque et l’ampleur des moyens à utiliser et qui fait aujourd’hui consensus a des limites. Certaines études en cours pourraient contribuer à modifier ce modèle dans les prochaines années.

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