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Explorations-Imagerie

Publié le 05 sep 2006Lecture 5 min

L'évolution de l'ECG : toujours le témoin de la reperfusion myocardique ?

N. AISSAOUI et S. WEBER, hôpital Cochin, Paris

L’évolution de l’électrocardiogramme (ECG) après la mise en œuvre d’une thérapeutique de reperfusion (thrombolyse comme angioplastie) est considérée comme l’un des meilleurs reflets de la qualité de préservation de la fonction ventriculaire gauche.

Des certitudes... La pratique courante en unité de soins intensifs cardiologiques (USIC) d’analyse de l’ECG participe à des prises de décisions lourdes : • l’existence ou non d’une onde Q constituée peut amener à renoncer à la mise en œuvre d’une thérapeutique de reperfusion considérant que les dégâts myocardiques sont déjà irréversibles ; • le retour rapide du segment ST à ligne isoélectrique après reperfusion est généralement considéré comme une garantie de succès ; • inversement, la persistance d’un sus-décalage et souvent classée au chapitre des échecs… Il y a quelques années, le monitorage continu du segment ST dans les heures suivant une reperfusion en phase aiguë d’infarctus du myocarde a même été proposé comme méthode de surveillance pouvant par exemple, guider la décision d’une angioplastie de sauvetage après thrombolyse.   … à relativiser ? L’observation suivante peut amener à relativiser ces certitudes. Il s’agit d’un patient de 66 ans hospitalisé à la toute première heure d’un infarctus myocardique antérieur inaugural Killip I. Parmi les antécédents de ce patient, on note une hypertension artérielle et une dyslipidémie. - L’ECG initial ne pose guère de souci d’interprétation objectivant un très net sus-décalage de ST en antérieur étendu D1, VL, V1, V6 (figure 1). Figure 1. ECG à H1 ; sus-décalage du ST et ondes T géantes de V1 à V6 et en DI, aVL, BBD. - La coronarographie objective une occlusion de l’IVA moyenne juste en aval d’une première septale; il n’existe pas de lésion significative sur les autres troncs coronaires. Une angioplastie primaire assortie de l’implantation d’une endoprothèse coronaire permet le rétablissement d’un flux normal TIMI III, approximativement à la 90e minute après le début des symptômes (figure 2). a   b   c                                                                           d Figure 2. TIMI III à la 90e minute après le début des symptômes. A. Occlusion IVA juste en aval d’une première septale, TIMI 0, sans collatéralité ; B. Angioplastie IVA ; C. IVA moyenne reperfusée ; D. Ventriculographie : FEVG à 55 % avec hypokinésie antéro-septo-apicale. L’ECG en revanche évolue : - vers l’apparition d’une onde Q franchement profonde en D1, VL et V1, V6 ; - vers la persistance obstinée, « désespérante » du sus-décalage du segment ST qui persistera jusqu’au 6e jour, date de sortie du patient (figure 3). Figure 3. ECG postangioplastie et à J5 : onde Q de nécrose avec persistance du sus-décalage du ST en antérieur étendu. La ventriculographie effectuée quelques minutes après la reperfusion n’objectivait en fait qu’une hypokinésie antérieure modérée. Le contrôle échographique de la fonction ventriculaire gauche réalisé au 5e jour, la veille de la sortie du patient, retrouvait une fonction ventriculaire gauche globale strictement normale ; l’analyse « ciblée » de la cinétique de la paroi antérieure avait peine à retrouver la moindre séquelle contractile de cet infarctus très précocement reperfusé. C’est donc l’ECG, réunissant tous les critères de gravité (constitution d’une onde Q et persistance d’un important sus décalage de ST jusqu’à quasiment la fin de la première semaine) qui était totalement en défaut par rapport à la réalité clinique et hémodynamique du patient. L’évolution clinique est parfaitement simple : - la douleur ne réapparaissant pas après dissipation de l’effet sédatif de la morphine initialement administrée : la tolérance hémodynamique et rythmique a été parfaite ; - un pic élevé précoce et étroit de CPK (2 500 à la 6e heure) confirme : • la réalité de la nécrose myocardique, • le probable succès de la reperfusion.   Cette observation illustre bien 3 notions   La corrélation entre les phénomènes tissulaires myocardiques et leur expression électrocardiographique est inconstante. Une onde Q peut témoigner d’une ischémie cellulaire profonde, abolissant l’activité électrique du territoire myocardique concernée mais ne traduit pas obligatoirement la nécrose cellulaire, comme en témoigne l’existence d’ondes Q à « éclipse » rencontrées dans certaines formes particulièrement sévères d’angor instable mais sans aucune nécrose cellulaire. En témoigne également la possibilité de constater une viabilité myocardique (par TEP ou IRM) au sein d’un territoire myocardique générant des ondes Q ; la possibilité de restaurer une contractilité normale après reperfusion d’un tel territoire confirmant l’absence de nécrose définitive. Il est possible d’observer des ondes Q « mémoires électriques » d’une ischémie profonde mais heureusement corrigée ; dans notre observation ces ondes Q ont persisté pendant de nombreux jours alors même que la contractilité du territoire myocardique concernée était rétablie. Décréter la mort « cellulaire » et donc l’inutilité d’un geste de reperfusion coronaire sur la simple constatation d’une onde Q sur l’ECG initial peut donc être abusif, privant le patient d’un potentiel bénéfice thérapeutique. La corrélation imparfaite entre l’évolution du segment ST et la récupération myocardique post-reperfusion.   En pratique   Cette observation nous rappelle qu’un même marqueur, en l’occurrence le segment ST, peut être performant comme instrument de recherche clinique mais imparfait comme aide à la décision individuelle. Il est bien évident que si l’on compare deux groupes de patients, l’un bénéficiant d’une reperfusion efficace et l’autre pas, la rapidité du retour du segment ST à la ligne isoélectrique sera en moyenne plus rapide dans le groupe correctement reperfusé. Il s’agit cependant là d’une notion statistique, ce même paramètre électrocardiographique doit être utilisé avec beaucoup plus de circonspection, confronté à la clinique, à la biologie à l’évaluation de la fonction contractile régionale lors de la prise en charge individuelle d’un patient donné.

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