Publié le 23 mar 2004Lecture 6 min
L'infarctus en 1975... et 25 ans plus tard
M. BERTRAND, CHU de Lille
M. D. Julien, âgé de 62 ans, fumeur et légèrement « enveloppé » est hospitalisé le mardi 11 février 1975 vers 10 heures pour douleurs thoraciques violentes... Le même malade en l’an 2000.
En février 1975
En fait, l’histoire a démarré dans la nuit de lundi à mardi vers 3 heures du matin...
Mardi 03 h 00
Monsieur D. a ressenti une vague douleur épigastrique accompagné de nausées. Il avait mangé la veille un steak aux champignons. Il pense que ses troubles actuels sont liés à une indigestion. Il effectue quelques tentatives infructueuses de vomissements, prend du Normogastryl® qu’il avait dans l’armoire à pharmacie et se recouche. Toutefois, la gêne épigastrique ne disparaît pas, devient même plus importante et s’étend à la face antérieure du thorax. Il présente des sudations et commence à s’inquiéter. Mais il n’est que 6 heures du matin et ne veut pas déranger son médecin traitant qu’il sait débordé en cette période de grippe.
Mardi 07 h 30
Il parvient à somnoler, mais, vers 7 h 30, la douleur reprend, plus intense, pratiquement uniquement thoracique avec de nouveau des nausées, une discrète gêne respiratoire et des sueurs. Son épouse et lui-même commencent à s’inquiéter et, finalement, vers 8 h 00 appellent le médecin. Malheureusement, celui-ci, surchargé de travail, est déjà parti et a commencé ses visites. L’épouse du médecin promet de le joindre au plus vite car elle laissera un message chez un patient qu’il doit visiter.
C’est de ce domicile que le médecin appelle : devant l’anxiété du patient et de la famille, et percevant qu’il s’agit d’une véritable urgence, il demande que l’ambulancier du village passe chercher Monsieur D. pour le conduire à l’hôpital, distant de 24 km.
Mardi 09 h 20
L’ambulancier, prend en charge Monsieur D. vers 9 h 20 : il le trouve très affecté, un peu pâle avec des sueurs abondantes. Il continue à souffrir. L’ambulancier lui met un masque et insuffle un peu d’oxygène pendant le transport.
Mardi 10 h 45
Monsieur D. arrive vers 10 h 45 à l’hôpital. Il est vu à la consultation. Le médecin note un cœur rapide, à 110/min, la TA est à 90/60, les bruits du cœur sont sourds avec une ébauche de bruit de galop. Pas d’hépatomégalie, pas d’œdème des MI, pas de signes de phlébothrombose.
Un ECG est enregistré et montre un rythme régulier rapide, de commande sinusale. Il existe de V1 à V4 un sus-décalage du segment ST, important, avec disparition des ondes R dans le précordium droit, réalisant donc un aspect QS typique évoquant l’infarctus transmural.
Il est immédiatement transféré dans le service d’hospitalisation. Il reçoit une injection SC de 10 mg de morphine. Une perfusion contenant 25 000 UI d’héparine est mise en route pour 24 heures. Dans la perfusion de sérum glucosé sont placés de l’insuline et du potassium. Compte tenu de la tachycardie, il reçoit Ténormine® 100 mg. Il est conseillé à Monsieur D. de ne se lever en aucun cas, car il risquerait une rupture cardiaque.
Les dosages biologiques rentrent le lendemain : le taux de CPK est très élevé : 2 200 unités, la fraction MB sera donnée plus tard. La glycémie est à 1,20 g/l. L’urée sanguine est à 0,65 g/l. L’ionogramme plasmatique est sensiblement normal.
Mardi 16 h 00
Vers 16 h, Monsieur D. ressent des palpitations, un nouvel ECG montre les signes précédents, mais il existe de nombreuses extrasystoles ventriculaires polymorphes. Craignant un trouble du rythme ventriculaire sévère, le médecin rajoute 6 ampoules de cardiorythmine dans la perfusion. Les palpitations s’estompent plusieurs heures après.
Mercredi
Le lendemain, il fait un peu de fièvre (38,8 °C) ; la vitesse de sédimentation est accélérée à 50/60 et il existe une hyperleucocytose (9 200 GB). Un corticoïde est prescrit : 20 mg de Cortancyl®.
Des massages au lit et une prudente mobilisation sont effectués. L’amélioration se dessine dans les jours suivants. Le segment ST, franchement sus-dénivelé dans les dérivations antérieures, revient doucement à la normale. Il apparaît une onde T négative. Le taux des CPK revient à la normale.
J + 15
Un lever prudent sera autorisé le 12e jour et finalement il sortira de l’hôpital au 15e jour avec un rendez-vous pour venir faire une épreuve d’effort une semaine plus tard.
J + 22
Cet examen se montrera franchement positif avec un sous-décalage de ST de 2 mm horizontal en V4,V5,V6. Compte tenu de ce résultat, il lui est demandé d’être réhospitalisé pour une coronarographie programmée une semaine plus tard soit 1 mois après le début de l’infarctus.
J + 30
L’examen est effectué par voie fémorale. La ventriculographie gauche montre une importante akinésie antéro-apicale, presque un anévrysme. L’interventriculaire proximale est occluse, avec une faible reprise de sa partie distale par la coronaire droite. Celle-ci est le siège d’une sténose non significative du segment 2. Il existe de nombreuses irrégularités sur la circonflexe, mais sans lésions significatives.
Devant l’absence de lésions revascularisables, Monsieur D. sort avec les recommandations de prendre de l’aspirine 325 mg, Ténormine® 100 mg, Risordan® 4 cp/j et des conseils concernant son hygiène de vie : stopper le tabac, pratiquer modérément l’exercice compte tenu de sa fonction ventriculaire. Il ne sera autorisé à reprendre le travail que dans 3 mois. Toutefois, à cette date, le médecin du travail de l’entreprise refusera, compte tenu de la fonction VG, de le réintégrer dans son poste. Quelques mois plus tard il sera mis en invalidité.
Vingt-cinq ans après
Monsieur D. Julien, devant la gêne épigastrique qui s’étend vers le thorax, décide vers 4 heures du matin, le 10 février 2000, d’appeler le 15. Il a, en effet, vu à la télévision qu’il ne fallait pas attendre, car il pourrait avoir un accident cardiaque et que le mieux est d’appeler le SAMU.
04 h 00
Le régulateur du SAMU, après quelques questions, décide de lui envoyer un véhicule léger.
04 h 45
Celui-ci arrive vers 4 h 45.
Le médecin lui fait un ECG qui montre le sus-décalage de ST débutant de V1 à V4. Il lui pose une ligne de perfusion, injecte en IV 10 mg de morphine et 1 g d’Aspegic®. Il contacte le centre hospitalier qui prévient l’équipe de cardiologie interventionnelle, composée d’un cardiologue interventionnel, d’un technicien de radio et d’une infirmière.
À l’arrivée à l’hôpital, Monsieur D. est dirigé directement vers la salle de cathétérisme. Dix mille unités d’héparine sont injectées.
05 h 30
Il est 5 h 30 quand le cathéter guide est positionné à l’ostium de la coronaire gauche et note l’obstruction proximale de l’IVA. Un guide de 0,014 ‘’ est rapidement passé à travers l’obstruction. Monsieur D. signale qu’il a déjà moins mal et le segment ST commence à s’abaisser. Un ballon de 3 mm est mis en place et il est gonflé à 6 atmosphères pendant 30 secondes.
Après cette inflation, l’injection montre que l’artère distale est réopacifiée. Un stent est mis en place à l’endroit de l’obstruction et il est implanté sous une pression de 14 atmosphères. Cette fois le flux distal est excellent, le segment initialement occlus a repris un aspect normal. La douleur a complètement disparu, le segment ST est presque revenu à la ligne iso-électrique. L’injection de la coronaire droite montre la sténose non significative du segment 2 et les irrégularités de la circonflexe. La ventriculographie note une hypocinésie du segment antérieur et de l’apex. Le patient reçoit, quand il est encore sur la table de cathétérisme, 4 comprimés de Plavix®.
Le lendemain
Les CPK sont à 200 unités et l’échocardiogramme retrouve une discrète hypocinésie du segment antérieur. La fraction d’éjection est estimée à 60 %.
Le point de ponction fémoral étant parfait, sans hématome, la sortie de Monsieur D. est prévue pour le lendemain, soit 2 jours après le début de son infarctus.
Le surlendemain
L’ordonnance de sortie comporte, Aspegic® 100 mg à continuer indéfiniment, Plavix® 1 cp à 75 mg à continuer pendant un an, Ténormine® 50 mg/j, Zocor® 40 mg/j, Coversyl® 8 mg/j. Il lui est conseillé de cesser complètement de fumer, de faire de l’exercice et de reprendre le travail dans une huitaine de jours. Il lui est demandé de consulter un cardiologue dans un mois.
Conclusions
Cette observation illustre les progrès accomplis en 25 ans :
- meilleure information du patient, d’où prise en charge plus rapide ;
- recanalisation rapide du vaisseau, d’où dégât myocardique limité, laissant augurer d’un excellent pronostic fonctionnel et vital ;
- hospitalisation courte avec rapide reprise du travail, d’où séquelles psychologiques, physiques et professionnelles quasi nulles ;
- mise en œuvre de mesures de prévention secondaire efficaces, susceptibles d’améliorer de manière significative le pronostic à long terme.
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