Publié le 30 oct 2007Lecture 7 min
L'inhibition des canaux If : une nouvelle stratégie de prise en charge du risque cardiovasculaire
J. CHAPSAL, Paris
ESC
Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité en Europe, malgré les progrès accomplis dans la prise en charge des facteurs de risque et celle de l’infarctus. Un grand nombre de patients demeure à risque d’infarctus et d’insuffisance cardiaque. En pratique clinique, beaucoup de patients n’atteignent pas les cibles thérapeutiques pour des raisons multiples et, notamment, la non-observance et des doses médicamenteuses inappropriées.
La fréquence cardiaque est l’un des paramètres clés, évalué en pratique clinique, et l’accélération de la fréquence cardiaque a un impact pronostique démontré aussi bien dans la population générale que chez les hypertendus ou les patients atteints de coronaropathie et d’insuffisance cardiaque.
L’ivabradine, premier inhibiteur spécifique et sélectif des canaux If ouvre une nouvelle ère thérapeutique dans la prise en charge des maladies cardiovasculaires. Ce symposium, présidé par R. Ferrari et K. Fox a fait le point sur le bénéfice déjà apporté aujourd’hui et sur les futures opportunités de cette stratégie basée sur la réduction exclusive de la fréquence cardiaque.
Fréquence cardiaque : un facteur de risque indépendant de maladie cardiovasculaire
Le rôle d’une fréquence cardiaque élevée comme facteur indépendant de mortalité et de morbidité a été largement démontré, aussi bien dans les populations en bonne santé avec ou sans hypertension que chez les patients atteints de coronaropathie, d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque. Une fréquence cardiaque élevée est apparue comme un facteur prédictif de mortalité tardive plus puissant que l’altération de la fonction ventriculaire gauche.
Fréquence cardiaque : un facteur à prendre en compte
De la même façon que l’on prend en charge les autres facteurs de risque : HTA, hypercholestérolémie, tabagisme, fonction ventriculaire et diabète, on doit prendre en charge le paramètre fréquence cardiaque. Intervenir contre ces facteurs de risque améliore le pronostic en prévention primaire comme en prévention secondaire.
Le rôle des bêtabloquants dans la morbi-mortalité des patients atteints d’infarctus ou d’insuffisance cardiaque a été démontré dans de nombreuses études versus placebo. Il apparaît que les effets favorables des bêtabloquants dans ces études sont plus marqués chez les patients ayant une fréquence cardiaque plus élevée avant traitement et chez lesquels une réduction plus marquée de la fréquence cardiaque est obtenue. On retrouve une relation presque linéaire entre la réduction de fréquence cardiaque et la réduction de mortalité sous traitement bêtabloquant (figure 1). Les bêtabloquants ayant une activité sympathicomimétique intrinsèque sont moins efficaces sur la réduction de la fréquence cardiaque et de la mortalité.
La réduction de la fréquence cardiaque apparaît donc comme un facteur essentiel de l’effet favorable des bêtabloquants et un bénéfice comparable sur le pronostic a été constaté avec certains anticalciques bradycardisants.
Figure 1. Métaanalyse de 12 essais randomisés. L’abaissement de la FC est associée à une réduction de la mortalité cardiaque en postinfarctus.
Au total, la fréquence cardiaque apparaît un important facteur de risque chez les patients ayant une coronaropathie avérée ou à risque de maladie coronaire. Par analogie avec les antihypertenseurs qui réduisent les chiffres tensionnels, on devrait instituer un traitement pour abaisser la fréquence cardiaque à un niveau considéré comme normal.
Bénéfice de l’ivabradine sur le myocarde ischémique
On a appris de façon simpliste que le myocarde ischémique est caractérisé par un déséquilibre de la balance en oxygène et qu’une augmentation de la fréquence cardiaque contribue à un tel déséquilibre en augmentant la demande et en diminuant les apports. Les observations tirées de modèles expérimentaux montrent en fait que le flux sanguin myocardique régional et la fonction contractile sont réduits de façon proportionnelle.
Un tel couplage de la perfusion-contraction se maintient à une fréquence cardiaque élevée. Dans le myocarde normal, la régulation métabolique prédomine et une tachycardie se traduit par une augmentation du flux sanguin coronaire. Dans le myocarde ischémique, en aval d’une sténose, c’est la réduction de la durée de la diastole qui prévaut et le flux sanguin coronaire est diminué par la tachycardie. En cas de circulation collatérale, la vasodilatation métabolique, au niveau de la microcirculation normale, et la réduction de la durée de la diastole agissent de concert pour diminuer la pression de perfusion collatérale, et le flux collatéral dans la microcirculation post-sténotique. La tachycardie résulte d’une activation sympathique et d’une activation des bêta-récepteurs.
Les bêtabloquants entraînent une vasoconstriction coronaire
Les bénéfices de réduction de la fréquence cardiaque par les bêtabloquants sont en partie contrebalancés par la survenue d’une vasoconstriction par stimulation des récepteurs alpha-adrénergiques coronaires.
À l’opposé, des agents entraînant une réduction sélective de la fréquence cardiaque permettent un abaissement de la fréquence cardiaque sans démasquage d’une vasoconstriction alpha-coronaire. Ils permettent d’améliorer la distribution du flux sanguin dans le myocarde ischémique et par conséquent la fonction myocardique régionale.
L’ivabradine est le seul agent disponible permettant d’abaisser de façon sélective la fréquence cardiaque et d’exercer une action anti-ischémique chez les patients atteints d’angor chronique stable. Expérimentalement, l’injection intracoronaire de sérum salé ou celle d’ivabradine préserve l’augmentation de diamètre des artères coronaires épicardiques durant l’exercice. À l’opposé, le propranolol s’oppose à cette augmentation du diamètre qui est même diminué, démasquant une vasoconstriction coronaire médiée par les récepteurs alpha-adrénergiques.
L’étude BEAUTIFUL
L’étude BEAUTIFUL, est une large étude de morbidité et de mortalité qui teste l’action de l’ivabradine chez les coronariens ayant une altération de la fonction ventriculaire gauche (FEVG < 40%).
L’insuffisance cardiaque et la dysfonction VG aggravent le pronostic des coronariens. Les bêtabloquants ont démontré leur effet bénéfique sur la survie de ces malades, bénéfice lié en partie au ralentissement de la fréquence cardiaque, un des déterminants majeurs de la consommation en oxygène du myocarde. Les bêtabloquants ne permettent pas toujours d’obtenir la fréquence cardiaque optimale et ne sont pas toujours bien tolérés. Dans ces études, seuls 58 % des patients en postinfarctus reçoivent des bêtabloquants et pas toujours à la dose recommandée ; enfin, à 5 ans, 58 % seulement continuent leur bêtabloquant.
L’ivabradine est testée dans cette étude, comparativement à un placebo en addition au traitement conventionnel comprenant des bêtabloquants, s’ils sont bien tolérés.
Les patients inclus sont des coronariens avérés, en rythme sinusal avec une fréquence cardiaque > 60/min et une fraction d’éjection ≤ 39 %. Le profil des patients figure dans le tableau.
La supériorité de l’ivabradine versus placebo en sus du traitement conventionnel sera établie sur un critère composite associant la mortalité cardiovasculaire, les infarctus aigus nécessitant une hospitalisation ou une nouvelle aggravation de l’insuffisance cardiaque nécessitant une hospitalisation.
Les 11 000 patients inclus ont été randomisés en double aveugle pour recevoir soit un placebo soit de l’ivabradine 5 mg, deux fois/j, titrée ensuite à 7,5 mg, deux fois/j dans le but d’atteindre une fréquence cardiaque cible < 60 bpm. Des sous-études se focaliseront sur les enregistrements Holters, des échocardiographies et le dosage de NTpro-BNP.
• Réduction exclusive de la fréquence cardiaque
Pour réduire la mortalité et la morbidité de l’insuffisance cardiaque, de nouvelles stratégies sont nécessaires.
Si les bêtabloquants ont démontré leur effet favorable dans l’insuffisance cardiaque en réduisant la mortalité globale et la mortalité subite, de nombreux patients insuffisants cardiaques, cependant, ne reçoivent toujours pas de bêtabloquants, les effets secondaires limitant leur utilisation chez certains patients éligibles à ce traitement. De plus, la titration des bêtabloquants est souvent sous-optimale en raison des effets secondaires comme l’hypotension et la fatigue.
C’est dire l’intérêt de l’ivabradine qui a des propriétés comparables aux bêtabloquants, mais sans leurs effets secondaires ; l’ivabradine inhibe le courant If des cellules du nœud sinusal sans modifier les autres courants ioniques ; l’ivabradine a un profil pharmacodynamique unique lui permettant de réduire la fréquence cardiaque sans vasodilatation ni effet inotrope négatif (figure 2). Enfin, l’ivabradine a des effets bénéfiques sur le remodelage cardiaque, la densité capillaire et la dysfonction VG.
Figure 2. FC et VES (volume d’éjection systolique) ml. Index cardiaque.Préservation des paramètres hémodynamiques par l’ivabradine chez des insuffisants cardiaques sévères. Le traitement par l’ivabradine chez des patients en IC sévère réduit la FC et augmente de façon significative le VES. Cela suggère le rôle potentiel de l’ivabradine dans le traitement de l’IC avancée.
L’étude SHIFT, étude multicentrique randomisée, actuellement en cours, inclut des patients ayant une insuffisance cardiaque modérée à sévère pour tester l’effet de l’ivabradine, comparativement au placebo sur un critère d’évaluation composite associant la mortalité cardiovasculaire et les hospitalisations pour nouvelle poussée ou aggravation de l’insuffisance cardiaque. Chacun des bras de l’étude inclura 2 750 patients avec une fréquence cardiaque Ž 70 et une FEVG < 35 %.
Au total, l’étude SHIFT permettra d’évaluer les effets de la réduction exclusive de la fréquence cardiaque chez les patients insuffisants cardiaques.
L’ivabradine (Procoralan®) est déjà disponible dans de nombreux pays dont la France.
Au total
L’étude BEAUTIFUL est la première étude prospective d’intervention visant à étudier le rôle de l’abaissement de la fréquence cardiaque sur les événements cliniques chez des coronariens avec dysfonction VG.
Les résultats devraient avoir un large impact sur la prise en charges des coronariens et sur le rôle de la fréquence cardiaque.
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