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Chirurgie

Publié le 29 juin 2010Lecture 8 min

L'intervention de Ross chez l'enfant : indications, technique, résultats

J. NINET, R. HENAINE, Hôpital Louis Pradel, Bron

Le remplacement de la valve aortique chez l’enfant à l’aide d’une autogreffe pulmonaire a été réalisé pour la première fois par Donald Ross en janvier 1968(1). À l’époque, il était suggéré que le potentiel de croissance de l’autogreffe constituait la valve biologique idéale pour la reconstruction de la voie d’éjection du ventricule gauche chez l’enfant. Les principaux avantages de cette intervention résident dans l’absence de traitement anticoagulant, l’absence d’hémolyse et, comme l’autogreffe pulmonaire est un tissu autologue vivant, la possibilité théorique d’une fonction indéfinie et d’une croissance normale avec le patient(2).
Durant les dix dernières années, un nombre beaucoup plus important de chirurgiens cardiaques ont pratiqué l’intervention de Ross chez l’enfant et l’adulte jeune, démontrant que les aspects techniques de l’opération peuvent être maîtrisés sans augmenter la mortalité hospitalière.

Techniques chirurgicales Après mise en place d’une circulation extracorporelle conventionnelle sous hypothermie modérée et réalisation de la protection myocardique, on effectue une analyse, après aortotomie transversale, des lésions valvulaires aortiques. Si aucun traitement conservateur ne peut être réalisé, l’artère pulmonaire est sectionnée transversalement au niveau de sa bifurcation et la valve pulmonaire est inspectée pour en vérifier l’intégrité anatomique. La découverte d’une éventuelle bicuspidie pulmonaire ou de nombreuses fenestrations commissurales est une contre-indication à l’intervention de Ross(3). L’autogreffe pulmonaire est alors prélevée en sectionnant le muscle du ventricule droit à environ 3 ou 4 mm de l’anneau pulmonaire. Ce temps chirurgical est particulièrement délicat car il est très important de respecter l’intégrité des artères coronaires, en particulier de l’origine de l’artère interventriculaire antérieure et de la première artère septale, très proches de la découpe musculaire (figure 1). Figure 1. Prélèvement de l’autogreffe pulmonaire. La majorité des équipes chirurgicales réalise actuellement l’intervention de Ross selon la technique du « mini root » en réséquant la totalité de la racine aortique, et en la remplaçant à l’aide de l’autogreffe pulmonaire. Le dernier temps de l’intervention consiste en la restauration de la continuité du ventricule droit et de l’artère pulmonaire distale à l’aide d’une homogreffe pulmonaire cryoconservée (figure 2). Figure 2. Reconstrution achevée. Dans les cas où la lésion valvulaire aortique est associée à un rétrécissement étagé de toute la voie d’éjection du ventricule gauche, qu’il s’agisse d’une hypoplasie de l’anneau, d’un rétrécissement aortique sous-valvulaire en tunnel natif ou récidivé, l’intervention de Ross peut être combinée avec un élargissement de la voie d’éjection du ventricule gauche en réalisant dans le même temps opératoire une aorto-ventriculoplastie de Konno (opération de Ross-Konno). Expérience du service Entre le 1er janvier 1995 et le 1er février 2009, nous avons réalisé 51 interventions de Ross chez 31 garçons et 20 filles âgés de moins de 18 ans. L’âge moyen à l’intervention était de 10 ± 5 ans, avec des extrêmes de 31 jours à 17 ans. L’étiologie de la pathologie aortique était congénitale dans 42 cas, infectieuse aiguë dans 5 cas, rhumatismale dans 3 cas. Dans 1 cas, il s’agissait d’une réintervention sur une prothèse aortique préalablement implantée, devenant restrictive, et enfin dans 1 cas, d’une insuffisance aortique apparue 5 ans après la résection d’un kyste hydatique du septum interventriculaire. Chez 35 enfants (69 %), une intervention préalable avait été réalisée. Il s’agissait dans la majorité des cas d’une valvulotomie aortique pour un rétrécissement aortique valvulaire congénital sur bicuspidie. La durée de la circulation extracorporelle était en moyenne de 149 min pour une durée d’ischémie myocardique de 120 min. La réparation de la voie d’éjection du ventricule droit a été réalisée 49 fois (96 %) à l’aide d’une homogreffe pulmonaire cryoconservée et, chez 2 nourrissons (4 %), à l’aide d’un tube biologique Venpro Contegra. Dans 10 % des cas (5 enfants), une ventriculoplastie de Konno a été associée à l’opération de Ross. Résultats Mortalité hospitalière Deux nourrissons (3,9 %), âgés respectivement de 14 et 17 mois, sont décédés au 7e jour postopératoire dans un tableau de bas débit cardiaque secondaire à une dysfonction ventriculaire gauche préexistante à l’intervention. Complications postopératoires Aucune complication postopératoire majeure n’a été notée. En particulier, il n’y a pas eu de nécessité de reprise opératoire pour saignement ni d’implantation d’un pacemaker définitif. Résultats à moyen et long termes Le suivi moyen actuel de notre population pédiatrique ayant bénéficié d’une opération de Ross est de 7,1 ans, avec des extrêmes de 1 à 15 ans. Deux décès secondaires sont survenus, respectivement 1 an et 3 ans après l’intervention de Ross. Notre série fait donc état actuellement de 47 patients survivants. Le taux actuariel de survie à 7 ans est de 96 % ; 95 % des patients suivis sont actuellement en stade I de la NYHA. Lors du dernier bilan échographique, 76 % des patients présentaient une insuffisance aortique de grade 0 ou 1, 18 % une insuffisance aortique de grade 2 et seulement 6 % une insuffisance aortique de grade 3. Deux d’entre eux ont dû subir une réintervention sur la voie aortique pour remplacement valvulaire. Au niveau de l’homogreffe pulmonaire, un gradient pulmonaire > 40 mmHg est retrouvé chez 7 patients. Une réintervention s’est imposée chez 4 patients : 2 adolescents ont dû être réopérés au niveau de la voie aortique pour apparition d’une insuffisance aortique significative sur l’autogreffe pulmonaire, respectivement 1 an et 3 ans après l’intervention de Ross ; 2 adolescents ont dû être réopérés au niveau de la voie d’éjection du ventricule droit en raison d’une dégénérescence sclérosante et sténosante de l’homogreffe pulmonaire. Commentaires Dans la population pédiatrique, les lésions de la valve aortique peuvent être fréquemment opérées sans la nécessité d’un remplacement valvulaire. La dilatation par ballonnet, la commissurotomie à cœur ouvert ou les réparations valvulaires en cas d’insuffisance aortique sont les indications premières. Les lésions associées sous-valvulaires obstructives sont aussi fréquemment traitables par résection fibromusculaire associée au geste aortique. Dans notre expérience, 70 % des patients opérés d’une intervention de Ross avaient déjà bénéficié d’une chirurgie valvulaire aortique au préalable. Quand le remplacement de la valve aortique chez l’enfant ne peut être différé davantage, l’utilisation d’une autogreffe pulmonaire selon la technique de Ross présente de nombreux avantages. En premier lieu, l’utilisation des anticoagulants peut être évitée, contrairement à l’implantation d’une prothèse mécanique, tout comme la survenue d’une dégénérescence rapide observée avec l’utilisation d’une bioprothèse. Surtout, la croissance régulière de l’autogreffe pulmonaire, parallèle à la croissance de l’enfant, fait de ce substitut le matériel de choix, supérieur à tout autre substitut valvulaire aortique, chez l’enfant en croissance. L’endocardite infectieuse aiguë est à nos yeux également une indication de choix pour l’intervention de Ross qui permet d’éviter l’implantation de matériel prothétique sur un tissu infecté. Enfin, associée à la technique de l’aortoventriculoplastie de Konno, l’opération de Ross présente également un grand avantage dans le traitement des lésions étagées de la voie d’éjection du ventricule gauche, condamnant définitivement les techniques alternatives de dérivation apico-aortique(6). Le remplacement valvulaire aortique à l’aide d’une prothèse mécanique doit cependant toujours être considéré comme une option chirurgicale tout à fait valable chez les plus grands enfants si le calibre de l’anneau aortique atteint ou dépasse 21 mm. Chez le grand enfant, on proposera plus volontiers une intervention de Ross chez la jeune fille en raison d’éventuels problèmes sous anticoagulant lors de futures grossesses(5). Résultats Les résultats actuels immédiats de l’intervention de Ross chez l’enfant sont bons. En effet, comme le montre notre expérience, un décès immédiat n’est survenu que chez deux nourrissons qui présentaient des lésions plurifocales, la technique opératoire du Ross n’étant pas en cause dans cette mortalité immédiate. L’évolution à moyen et à long termes après l’opération de Ross expose à deux risques évolutifs : l’apparition d’une insuffisance aortique par dilatation de l’autogreffe pulmonaire et celle d’une sténose pulmonaire par dégénérescence fibro-calcaire de l’homogreffe pulmonaire(4). La dilatation de l’autogreffe pulmonaire et, comme résultante, la réapparition d’une insuffisance aortique ont été décrites dans de nombreuses séries chez des patients adultes de même que dans la population pédiatrique. La présence initiale d’une bicuspidie de la valve aortique est apparue comme un facteur de risque de réintervention chez l’adulte mais n’a jamais pu être démontrée ce jour chez l’enfant(7). L’apparition progressive d’une sténose rétractile de l’homogreffe pulmonaire, qui siège préférentiellement au niveau supravalvulaire, est une complication classique mais peu fréquente après intervention de Ross. Cette complication potentielle explique la réticence de certaines équipes à proposer cette opération, argumentant le fait qu’elle transforme la maladie d’une valve en une maladie de deux valves. Cependant, chez l’enfant, l’utilisation d’homogreffes pulmonaires de grand calibre permet certainement de diminuer ce risque. Enfin, le développement actuel des techniques endoluminales de remplacement valvulaire pulmonaire (prothèse MELODY) sera certainement une technique élégante pour traiter les sténoses postopératoires de la voie d’éjection du ventricule droit après opération de Ross. Indications et contre-indications Les bonnes indications de l’intervention de Ross chez l’enfant et l’adolescent sont les suivantes : – rétrécissement aortique récidivé après valvulotomie, rétrécissement aortique valvulaire et sous-valvulaire en tunnel (Konno Ross), insuffisance aortique rhumatismale, remplacement valvulaire aortique pour endocardite aiguë. L’indication d’une opération de Ross sera discutée en cas d’insuffisance aortique dystrophique compte tenu d’une fréquente incongruence entre l’anneau aortique et l’anneau pulmonaire, et surtout du risque de voir se développer dans ce cas une dilatation de l’autogreffe pulmonaire qui peut être le siège également d’une dystrophie. Enfin, il existe deux contre-indications formelles à une opération de Ross : la maladie de Marfan et lorsque l’on rencontre en peropératoire une anomalie constitutionnelle anatomique de la valve pulmonaire. En pratique L’opération de Ross est un outil thérapeutique extrêmement séduisant dans la population pédiatrique lorsque l’indication du remplacement de la valve aortique est posée. Aujourd’hui, les modalités techniques de cette opération sont parfaitement maîtrisées, ce qui permet d’obtenir des résultats immédiats extrêmement satisfaisants. En évitant l’usage du traitement anticoagulant, en proposant un potentiel de croissance de la voie aortique et en évitant tout risque de complication brutale, l’opération de Ross présente de très grands avantages par rapport au remplacement valvulaire aortique par prothèse mécanique. Ceci est encore plus important chez la jeune fille. La qualité des résultats de cette opération ne doit pas faire oublier qu’il faut, dans la grande majorité des cas chez l’enfant, proposer un geste conservateur sur les lésions initiales de la valve aortique avant tout geste de remplacement valvulaire.

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