Coronaires
Publié le 27 mar 2007Lecture 7 min
Maladie coronaire : le temps des désillusions ? Non... Le temps de la raison !
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris
Après plusieurs années et même décennies consécutives de marche en avant triomphale, les « rumeurs » les plus récentes concernant les traitements de la maladie coronaire, semblent quelque peu marquer le pas, si ce n’est même, pour certaines d’entre elles, afficher un franc pessimisme :
- le « coup de tonnerre » de la fin de l’été 2006 concernant le risque de thrombose tardive des stents actifs…
- les résultats, pour le moins « mitigés », des tentatives de thérapie cellulaire chez le coronarien chronique tout comme en phase aiguë d’infarctus…
- les commentaires, quelque peu désabusés des numéros « spécial congrès international » de la plupart des revues cardiologiques francophones, constatant, à divers degrés, que le millésime 2006 n’aura, certes, pas été une grande année !
Autant ai-je, dans ces mêmes colonnes, émis plusieurs réserves, plusieurs bémols, face au triomphalisme intempestif des premiers pas de plusieurs de ces nouvelles approches thérapeutiques, autant me semble-t-il important de ne pas nous laisser aller au péché mignon hexagonal, au syndrome du balancier de la pendule savoyarde, à savoir : passer abruptement d’un extrême à l’autre.
Déceptions…
• Il était naïf de se laisser bercer à la douce musique de Ravel et d’espérer 0 % de resténose intrastent sans autre contre-partie (mais elle n’était pas mince) que le quadruplement ou quintuplement du prix du stent…
• Il était également naïf d’imaginer, que, dès les premières tentatives, les cellules musculaires striées ou les cellules souches de la moelle s'ordonneraient, comme à la parade, dans le myocarde cicatriciel et/ou le myocarde récemment infarci pour, de façon parfaitement synchrone, retrouver une activité contractile « ressuscitant » la fonction ventriculaire gauche…
• Il était surtout naïf de penser que l’alignement des quelques mots magiques « evidence-based medecine » (médecine par les preuves en gaulois) résoudrait une bonne fois pour toutes les difficultés méthodologiques et fournirait au prescripteur une réponse claire, nette, précise, incontestable, unique et de ce fait, obligatoire à toutes ses interrogations décisionnelles !
Après plusieurs années de ce « prêt-à-penser » devenu quasiment dictatorial, les recommandations glissant peu à peu vers des obligations, quasiment juridiquement opposables, le moment est venu de constater que les études prospectives randomisées, certes, sont irremplaçables et représentent le noyau dur de nos connaissances, mais qu’elles n’apportent cependant pas de réponses à toutes nos questions, loin de là.
Les limites de l’evidence-based medicine
La déception fut peut-être plus cruellement ressentie dans le domaine du traitement de la maladie coronaire car c’est dans ce domaine précisément, que l’on attendait le plus de « l’evidence-based medecine ». Les malades coronariens sont, en effet, très nombreux, permettant la réalisation de « méga-essais » ; les critères de diagnostic et les critères de jugement sont facilement standardisables, permettant donc de bien travailler en multicentrique. Malgré ces avantages, les limites de « l’evidence-based medecine » sont peu à peu clairement apparues. L’essentiel des efforts de recherche se concentre sur les innovations thérapeutiques, que ce soit en matière de matériel médical ou de médicament, permettant d’espérer un rapide retour sur investissement, délaissant des pans entiers du traitement des maladies coronaires, telle la prise en charge du coronarien âgé.
Un manque de représentativité
Le deuxième écueil, expliquant probablement en grande partie la discordance entre les résultats parfois triomphants des premiers essais contrôlés et certaines déceptions constatées quelques années plus tard est le manque profond de représentativité des malades inclus dans certains essais. Lorsque, par exemple, dans l’évaluation comparative des méthodes de revascularisation myocardique, la population incluse dans l’essai contrôlé représente à peine 5 % de la population initialement « screenée », l’étude porte-elle sur les malades que nous traitons chaque jour ou sur des « malades de démonstration » adaptés aux contraintes méthodologiques de l’étude mais à des années-lumière de nos patients quotidiens ?
Cette relative déception est donc parfaitement explicable ; ses causes identifiables, et dans une très large mesure, curables ! Nos déceptions relatives, liées probablement à trop de naïveté, aussi bien en matière de biologie proprement dite, que de recherche du Saint-Graal méthodologique, peuvent être surmontées par le retour au bon sens et à la raison.
Comment y remédier…
Dans le domaine de la revascularisation myocardique
Une réévaluation sereine et sans a priori méthodologique, s’impose. Elle concerne aussi bien le comparatif pontage versus cardiologie interventionnelle que, au sein de la cardiologie interventionnelle, l’évaluation comparative des divers types de techniques et notamment des diverses variétés d’endoprothèses. Pour que cette évaluation représente une réelle aide à la décision, quelques principes simples peuvent être proposés.
Utiliser des méthodes d’évaluation concernant des populations représentatives de malades : mieux vaut une bonne comparaison de deux registres non randomisés qu’une étude randomisée ne concernant qu’une infime minorité de malades « éligibles ». Certes les techniques d’ajustement pour comparer des populations non randomisées ne sont pas dénuées de fragilité, mais il s’agit probablement là d’un moindre mal par rapport au colossal défaut de représentativité de la plupart des études randomisées.
L’évaluation doit porter non seulement sur la méthode de revascularisation proprement dite mais sur l’ensemble de la stratégie qu’elle implique y compris, bien sûr, l’encadrement pharmacologique, mais aussi, les techniques d’exploration (invasives, non invasives) ayant amené à poser l’indication initiale. Cette évaluation doit porter sur une longue durée quitte à étudier des populations de moindre ampleur et à s’armer d’un peu de patience dans l’attente de la publication des résultats… Bref, jouer « le solide et la longue durée »… voilà probablement le plus difficile.
Enfin, ne pas esquiver les populations « difficiles » et notamment oser enfin évaluer spécifiquement le rapport bénéfice/risque des techniques de revascularisation chez le coronarien âgé.
Dans le domaine de l’évaluation des nouvelles méthodes d’explorations
Et notamment des nouvelles techniques d’imagerie (scanner multibarette ; IRM,) passée l’étape de validation par rapport au « gold standard » que représente la coronarographie traditionnelle, il est urgent de soumettre à évaluation non pas isolément les techniques d’imagerie les unes contre les autres (ne pas renouveler l’opposition quelque peu artificielle et stérile entre scintigraphie myocardique et échographie de stress), mais évaluer ce qui est important pour le clinicien, c’est-à-dire, les stratégies de prise en charge découlant, par exemple, de l’utilisation d’une technique non invasive d’imagerie (scanner multibarrette) par rapport à une technique non invasive de détection de l’ischémie.
Le traitement pharmacologique de la maladie coronaire
Reconnaissons que la décennie écoulée a été particulièrement riche et féconde, notamment dans le domaine des médicaments de la thrombose et de ceux du métabolisme lipidique et de l’athérogenèse. Même si ce constat optimiste ne doit pas faire oublier certaines déceptions : l’antagonisme direct de la thrombine en ce qui concerne les modificateurs de l’hémostase et modificateurs du métabolisme du HDL-cholestérol en ce qui concerne les médicaments de l’athérogénèse.
Cette petite musique « pessimiste » que l’on entend ces derniers mois, vient des résultats de moins en moins spectaculaires des grands essais thérapeutiques contrôlés. On arrive-là au cœur du problème, aux limites de la logique d’évaluation ayant prévalu ces vingt dernières années dans le domaine du traitement du coronarien.
L’aspirine et les bêtabloquants ont été les deux premières classes dont l’efficacité, en matière de réduction de morbi-mortalité a clairement été établie. À partir de ce socle, le schéma d’évaluation a été toujours le même. Une nouvelle molécule se présente ; la population de patients coronariens est divisée en deux groupes recevant chacun aspirine et bêtabloquants ainsi que du placebo dans la moitié de la population et la nouvelle molécule dans l’autre moitié.
Si le résultat est positif, le club des molécules « validées » comporte un membre de plus… et c’est reparti pour un tour. C’est ainsi que se sont empilés sur le socle aspirine, bêtabloquants, statines, les IEC ; le clopidogrel en plus de l’aspirine ; une dihydropydridine et/ou du nicorandil en plus du bêtabloquant, etc… À poursuivre ce petit jeu, on arrive à avoir de plus en plus de mal à démontrer quoi que ce soit…
Les conséquences des interactions médicamenteuses deviennent difficilement gérables que ce soit à l’étape des essais thérapeutiques ou à celle, quelques années plus tard, de la prescription quotidienne. Enfin, tout cela aboutit à des ordonnances tellement copieuses qu’elles sont difficilement gérables par nos patients. Si l’on y rajoute que nous traitons des populations vieillissantes et que le recours aux génériques, s’il est économiquement vertueux et indiscutable, ne favorise pas « l’appropriation » par le malade de sa prescription dont la couleur des boîtes et des comprimés changent tous les deux ou trois mois. On comprend aisément le gouffre qu’il peut y avoir entre « l’evidence based medecine », les recommandations rutilantes et la réalité de l’observance thérapeutique…
Comment cependant continuer à progresser ?
Poursuivre la recherche
D’une part, bien sûr, en ne relâchant pas les efforts de re-cherche fondamentale vers la mise au point de molécules innovantes… Il est permis d’espérer qu’il y a aura un jour de nouveaux antithrombotiques plus puissants et sans surrisque hémorragique… Il n’est pas non plus défendu d’espérer qu’il y aura un jour, des médicaments susceptibles de se conjuguer aux statines afin d’améliorer encore le profil lipidique ou de prendre véritablement en charge les conséquences désastreuses du syndrome métabolique. Dans l’attente de ces classes pharmacologiques nouvelles, il est urgent d’apprendre à mieux nous servir des molécules qui sont d’ores et déjà à notre disposition.
Une prescription personnalisée ?
La priorité me paraît être de casser cette logique d’empilement, de mille-feuilles et de chercher à définir précisément les coronariens répondant le mieux à l’aspirine au clopidogrel, aux bêtabloquants, aux statines, aux IEC, aux dihydropyridines, etc. D’essayer de revenir à la physiologie, à la biochimie, voire à la génétique, non pas pour retomber dans l’erreur des critères de substitution mais pour essayer de « profiler » au sein de nos coronariens, les répondeurs préférentiels à telle ou telle classe pharmacologique pour aboutir à des ordonnances plus raisonnables de 2, 3 ou 4 médicaments correspondant à une logique de « sur mesure haut de gamme » et non pas de prêt-à-porter « indifférencié ».
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