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Insuffisance cardiaque

Publié le 18 avr 2006Lecture 9 min

OAP flash : penser à la néphropathie ischémique

E. DAUGAS, CHU Saint-Louis, Paris

Les œdèmes aigus du poumon (OAP) flash secondaires à une néphropathie ischémique sont peu fréquents. Cependant, les enjeux thérapeutiques impliquent que la recherche d’une néphropathie ischémique doive faire partie de leur évaluation étiologique, surtout lorsqu’ils n’ont pas de cause cardiaque évidente ou lorsqu’ils récidivent malgré le traitement d’une cardiopathie, ou lorsqu’il existe un contexte rénal évocateur (rein unique et/ou insuffisance rénale). L’écho-Doppler rénal n’est pas toujours contributif et doit souvent être complété par une angio-IRM rénale. La mise en évidence d’une sténose artérielle rénale doit faire discuter son lien avec l’OAP flash et surtout les risques encourus par le patient en cas d’angioplastie.
Ces précautions prises, la revascularisation rénale par angioplastie transluminale permet presque toujours la disparition des épisodes d’OAP.

Définitions L’OAP flash est une détresse respiratoire d’apparition brutale liée à un œdème pulmonaire hémodynamique dont l’étiologie peut être multiple, et notamment certaines formes de néphropathie ischémique. La néphropathie ischémique est secondaire à l’ischémie du parenchyme rénal en aval de sténose(s) d’une ou des artères rénales.   Physiopathologie   Le modèle expérimental de Goldblatt Le modèle « un clip–deux reins » est le modèle expérimental développé chez le chien en 1934 par Goldblatt à l’origine du concept d’hypertension artérielle (HTA) rénovasculaire. Il a ensuite été transposé au rat. Après la mise en place d’un clip sur l’une des deux artères rénales, la sécrétion de rénine par le rein ischémié conduit à une stimulation du système rénine-angiotensine (SRA) qui induit une HTA parfois sévère et une réabsorption sodée par le rein ischémique alors que le rein sain augmente sa natriurèse « en compensation ». Au cours du modèle « un clip–un rein » (ou «deux clips–deux reins ») on observe également une HTA avec stimulation du SRA et de la réabsorption sodée par le rein. Toutefois, l’absence de compensation natriurétique liée à l’absence de rein sain aboutit à une inflation hydrosodée. Celle-ci ne s’interromprait à un nouvel état d’équilibre que si elle permettait une augmentation du débit sanguin rénal qui limiterait l’ischémie et la stimulation du SRA. Cependant, dans un certain nombre de cas, un OAP de surcharge survient avant. L’ablation du clip permet le retour à un état antérieur avec une rapide déflation hydrosodée de type syndrome de levée d’obstacle. Le retour à la normale est conditionné par des facteurs pronostiques comme l’absence d’autres lésions du rein dont certaines sont secondaires à une longue durée de l’ischémie rénale.   Chez l’homme, les observations cliniques sont similaires L’OAP flash survient lorsqu’il existe une ischémie d’un rein unique ou des deux reins à la fois, ou encore d’un seul rein en l’absence de rein sain controlatéral du fait d’une autre néphropathie. Il s’agit plus souvent de sténoses athéromateuses des artères rénales que de fibrodysplasie. Les lésions aortiques sténotiques en amont des artères rénales réalisant une ischémie rénale bilatérale ont des conséquences similaires mais sont beaucoup plus rares. Il faut ajouter que l’HTA secondaire à la néphropathie ischémique génère le plus souvent une cardiopathie hypertensive avec une dysfonction diastolique du VG qui contribue aussi à la physiopathologie de l’OAP flash chez ces patients. Sténose de l’artère rénale gauche juxta-ostiale diagnostiquée par une aortographie. Étiologie   Étiologies de l’OAP flash La néphropathie ischémique fait partie des causes possibles énumérées ci-dessous : • ischémie myocardique (cause la plus fréquente), • insuffisance aortique aiguë (endocardite, dissection aortique, dysfonction prothétique...), • insuffisance mitrale aiguë secondaire (rupture de cordage, ischémie myocardique ou infarctus par dysfonction voire rupture du pilier, endocardite, dysfonction prothétique...), • rétrécissement mitral, • néphropathie ischémique, • cardiopathie hypertensive avec dysfonction diastolique du VG, • facteurs précipitants en cas de dysfonction diastolique du VG : fièvre, sepsis, anémie, dysthyroïdie, détresse respiratoire d’autre cause, trouble du rythme, poussée d’HTA.   Étiologies des néphropathies ischémiques avec OAP flash • Sténose artérielle d’un rein unique fonctionnel (rein unique congénital, rein unique post-néphrectomie, rein unique fonctionnel avec rein controlatéral présent mais atrophique, greffon rénal). Sténose athéromateuse ou par fibrodysplasie, • sténose artérielle rénale bilatérale athéromateuse ou par fibrodysplasie, • coarctation aortique, • anévrisme de l’aorte sus-rénale avec thrombose, • maladie de Takayashu avec sténose aortique sus-rénale ou des artères rénales, • autres aortites.   Épidémiologie Aucune donnée n’établit clairement l’épidémiologie des OAP flash secondaires à une néphropathie ischémique. Cependant, il est indiscutable qu’il s’agit d’une situation très rare. En effet, au maximum 1 % des patients hypertendus le sont du fait d’une HTA rénovasculaire. Or, parmi eux, moins d’un quart pourrait présenter des OAP flash en rapport avec leur maladie rénovasculaire. Cependant, ce diagnostic ne doit pas être négligé puisqu’il aboutit le plus souvent à une intervention thérapeutique efficace.   Tableau clinique   Il associe : • souvent un contexte évocateur (cf. étiologie), • un OAP flash volontiers récidivant, • d’autres signes de surcharge hydrosodée, • une HTA, • rarement un souffle systolique paraombilical, • une insuffisance rénale aiguë est fréquente : ses caractéristiques sont prérénales (natriurèse basse, NaU/KU < 1, urée U/urée P > 10) ; • une insuffisance rénale chronique est parfois sous-jacente avec le plus souvent les caractéristiques d’une néphropathie vasculaire ; • l’insuffisance rénale aiguë s’aggrave avec le traitement symptomatique de l’OAP et/ou l’introduction d’IEC et/ou d’ARA II ; • le plus souvent on observe un succès du traitement symptomatique de l’OAP au prix de l’aggravation de l’insuffisance rénale ; • lorsque l’ischémie rénale est très sévère, on observe un échec du traitement symptomatique standard : la natriurèse reste basse malgré de fortes posologies de diurétiques. Il faut alors envisager un traitement par ultrafiltration ou par hémodialyse standard avec alors un risque d’aggravation de l’ischémie rénale, voire de thrombose de l’artère rénale.   Stratégie diagnostique   Porter rapidement un diagnostic étiologique Devant une détresse respiratoire brutale, il s’agit de porter rapidement un diagnostic étiologique afin de mettre en place une thérapeutique spécifique, seule garantie du succès de la prise en charge. La faible prévalence de l’OAP flash secondaire à une néphropathie ischémique implique que ce diagnostic ne doit pas être évoqué en première intention. On doit d’abord démontrer qu’il s’agit d’un OAP, puis qu’il s’agit d’un OAP de surcharge et non d’un OAP lésionnel, puis démontrer qu’il s’agit d’un OAP non cardiogénique avant d’envisager le diagnostic d’OAP flash secondaire à une néphropathie ischémique. Ajoutons cependant que puisque leurs facteurs étiologiques sont communs (HTA, dyslipidémie, diabète…), néphropathie ischémique et cardiopathie(s) peuvent coexister ; d’où la nécessité de rechercher systématiquement une néphropathie ischémique comme cofacteur à l’OAP. Notons également qu’une dégradation importante de la fonction rénale avec le traitement de l’OAP doit faire suspecter l’existence d’une néphropathie ischémique. L’écho-Doppler rénal est l’examen de première intention. Il peut mettre en évidence un rein unique, l’existence d’un petit rein qui est l’équivalent d’un rein détruit et donc d’une situation de rein unique controlatéral. Il recherche des arguments en faveur d’une maladie rénale chronique (petite taille des reins, dédifférenciation cortico-médullaire, index de résistivité élevé), et des signes directs et indirects de sténose artérielle rénale. Sa valeur prédictive négative étant seulement de 85 % environ, il faut le plus souvent recourir à une angio-IRM, ou un angio-scanner rénal, voire une artériographie rénale. Cette iconographie apporte également des informations sur l’aorte sus-rénale (une éventuelle sténose) et sous-rénale (anévrisme, thrombus mural, athérome ulcéré…). Cet « état des lieux » est indispensable pour mesurer les risques encourus au cours d’une éventuelle revascularisation.   Imputabilité de l’OAP à une sténose artérielle rénale Dès lors qu’une sténose artérielle rénale est mise en évidence, la principale difficulté est d’établir un lien de causalité entre la sténose et l’OAP, seule garantie de l’intérêt d’un geste de revascularisation rénale. Or, la seule démonstration formelle de l’imputabilité est la disparition des OAP flash après revascularisation, donc a posteriori. Établir a priori une telle imputabilité nécessite deux éléments : • la sténose doit s’inscrire dans un contexte où elle peut générer un OAP flash (cf. étiologie) ; • la sténose doit être significative. Une sténose est significative lorsqu’elle génère une ischémie rénale en aval. C’est le plus difficile à établir car les critères d’imputabilité ne sont pas unanimes. Ils sont les mêmes que pour l’HTA rénovasculaire : sténose > 75 % en artériographie, dilatation artérielle en aval de la sténose, ischémie rénale homolatérale à l’iconographie, perfusion rénale altérée après test au captopril (démontrée par l’altération de la perfusion rénale en scintigraphie au Mag3 ou au DTPA, envisageable uniquement si le débit de filtration glomérulaire est d’au moins 30 ml/min). Il faut ajouter la situation clinique où l’OAP flash ne régresse pas avec un traitement natriurétique bien conduit qui n’augmente pas la natriurèse (lorsque cela n’est pas expliqué par une défaillance cardiaque, une défaillance hépatique ou un syndrome néphrotique).   Stratégie thérapeutique Si l’angioplastie des sténoses athéromateuses des artères rénales est relativement décevante en matière de réduction de l’HTA et seulement en cours d’évaluation sur la protection néphronique, elle est indiscutablement efficace dans le traitement des œdèmes pulmonaires flash. S’opposent à cette efficacité les risques de la procédure. Une des complications les plus sévères est la maladie des emboles de cristaux de cholestérol qui met en jeu le pronostic vital. La décision de revascularisation est donc établie selon le bénéfice attendu, l’imputabilité de l’OAP flash à la sténose et les risques que génère cette procédure. Quatre situations existent dès lors que la sténose artérielle rénale s’inscrit dans un contexte où elle peut générer un OAP flash (cf. étiologie) : La sténose est jugée significative, l’imputabilité est donc certaine : - le risque lié à la procédure d’angioplastie est minime : proposer la revascularisation par angioplastie percutanée ; - le risque lié à l’angioplastie est majeur (athérome aortique majeur ± traitement anticoagulant, pas de radiologue expérimenté…) : ne pas revasculariser et préférer un traitement par IEC et/ou ARA II et dialyse. On ne peut pas affirmer que la sténose est significative : - le risque est minime : proposer une angioplastie et juger son efficacité a posteriori ; - le risque est majeur : ne pas revasculariser et proposer un traitement bloqueur du SRA (IEC et/ou ARA II) et juger sa tolérance sur la fonction rénale. S’il est mal toléré : discuter soit son remplacement par un autre traitement (le plus fréquemment), soit un traitement par dialyse en fonction du contexte. Œdème pulmonaire alvéolaire. Après un geste de revascularisation Un syndrome de levée d’obstacle après un geste de revascularisation par angioplastie rénale pour l’indication « OAP flash », survient d’autant plus fréquemment : • qu’il existe une insuffisance rénale ; • que cette insuffisance est d’origine prérénale (fonctionnelle et liée à l’ischémie secondaire à la sténose) ; • que l’OAP flash est imputable à la sténose. La survenue d’un syndrome de levée d’obstacle doit être surveillée car elle est de bon pronostic (c’est un élément fort pour l’imputabilité de l’OAP à la sténose), mais surtout car elle constitue à court terme un risque de collapsus qui met en jeu le pronostic vital. La levée d’obstacle nécessite une surveillance étroite (horaire) de la diurèse afin que son volume soit compensé par une perfusion adaptée (sérum salé de 6 à 9 g de NaCl/l et autres électrolytes selon des ionogrammes réguliers). Les autres complications potentielles du geste de revascularisation doivent être recherchées, en particulier la maladie des emboles de cristaux de cholestérol. Le traitement des cofacteurs (cf. étiologie) et notamment de l’HTA est souvent indispensable. Dès que possible, il doit comprendre un blocage du SRA qui doit être associé à une surveillance biologique initiale puis régulière de la créatinine (son augmentation doit être tolérée jusqu’à 30% au-dessus de sa valeur avant IEC ou ARA II) et de la kaliémie. À distance de la procédure, la surveillance clinique, biologique et iconographique a pour but d’évaluer le bénéfice apporté et de rechercher des arguments pour une récidive (nouvel OAP) qui nécessiterait une nouvelle angioplastie.   En pratique L’OAP flash secondaire à une néphropathie ischémique est rare et parfois de diagnostic difficile. Cependant, un tel diagnostic pourra conduire, en l’absence de risque majeur, à une angioplastie rénale qui permettra presque toujours la disparition des épisodes d’OAP. Il faut donc y penser.

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