Publié le 11 sep 2007Lecture 10 min
On peut prévenir le diabète de type 2 chez les sujets à risque : essais pharmacologiques non spécifiques
B. CHANU, hôpital Jean Verdier, Bondy
Au cours des 10 dernières années plusieurs essais cliniques de prévention du diabète de type 2 (DT2) ont été réalisés afin d’évaluer soit l’effet d’une modification intensive du mode de vie, soit celui d’un médicament, chez des sujets à risque de diabète*. D’autres essais thérapeutiques, dont l’objectif principal était différent, mais qui comportaient un sous-groupe important de patients à haut risque de diabète, ont également apporté des informations.
Dix essais contrôlés et randomisés de prévention cardiovasculaire, publiés entre 1999 et 2004, ont mis en évidence une réduction significative de la survenue du DT2. Dans ces 10 essais, la prévention du DT2 était soit un objectif secondaire, soit le constat d’une analyse faite a posteriori.
Treize études contrôlées et randomisées de prévention cardiovasculaire publiées au cours des 6 dernières années (1999-2004) ont mis en évidence une réduction significative de survenue du DT2. Ces 13 études, qui n’avaient pas pour objectif principal la prévention du DT2 (il s’agissait soit d’un objectif secondaire, soit d’un constat d’une analyse faite a posteriori), méritent d’être analysées et discutées.
Études chez les patients hyperlipidémiques
WOSCOP (West Of Scotland COronary Prevention Study)
Elle a concerné 5 974 hommes hypercholestérolémiques à haut risque cardiovasculaire, pour la plupart en situation de prévention primaire, recevant soit 40 mg de pravastatine, soit un placebo. Les patients ont eu à au moins deux reprises un dosage de la glycémie à jeun après randomisation et ne devaient avoir ni antécédent de diabète connu ni glycémie à jeun > 7 mmol/l. La prévalence de l’intolérance au glucose (IGT) à l’inclusion n’est pas connue. La survenue d’un DT2 était affirmée lorsque la glycémie à jeun lors du suivi était > 7 mmol/l, sans exigence d’une confirmation.
Cent trente-neuf sujets sont devenus diabétiques. L’IMC, la glycémie basale, le taux de HDL-C et de cholestérol total, la pression artérielle systolique et le log du nombre de leucocytes et de la triglycéridémie étaient des facteurs prédictifs de diabète en analyse univariée. En analyse multivariée, l’IMC, le log des triglycérides, la glycémie et le traitement par pravastatine restaient des facteurs prédictifs. Chez les patients traités par pravastatine, l’incidence du DT2 a été de 1,9 % sur 5,5 ans contre 2,8 % dans le groupe placebo, soit une réduction du risque de survenue d’un DT2 de 30 % chez les sujets du groupe pravastatine.
Le nombre de sujets à traiter pour prévenir un cas de DT2 était ainsi de 111 pendant 5,5 ans dans une population où le risque de DT2 n’était pas a priori élevé. La diminution du taux de triglycérides plasmatiques de même que l’action anti-inflammatoire de la pravastatine pourraient expliquer cet effet. Toutefois, ce bénéfice n’a pas été établi avec les autres statines et n’a pas été confirmé par un essai spécifique.
Études chez les femmes ménopausées
HERS (Heart and Estrogen/progestin Replacement Study)
Elle a évalué chez 2 763 femmes ménopausées l’effet d’un traitement hormonal substitutif (THS) oral associant 0,25 mg d’estrogènes conjugués équins et 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone pendant une durée de 4,1 ans. À l’inclusion, 734 patientes étaient diabétiques. Cette étude a donc concerné les 2 028 femmes ménopausées non diabétiques (dont 218 présentant une IGT). La glycémie a été remesurée à 1 an et à la fin de l’étude.
Dans le groupe traité par estroprogestatif, l’incidence du DT2 a été de 6,2 % en 4,1 ans contre 9,5 % chez les patientes du groupe placebo, soit une réduction du risque de survenue du DT2 de 35 % (IC 95 % : 0,48 à 0,89 ; p = 0,006). Cet effet ne s’explique pas par une réduction de l’IMC ou du tour de taille. Le nombre de patientes à traiter pour éviter 1 cas de diabète était de 30 (IC = 18-103). Cependant, il s’agit d’une donnée provenant d’une analyse post hoc et le fait d’avoir porté le diagnostic de DT2 sur un seul dosage de la glycémie peut en avoir surestimé l’incidence. À l’inverse, l’absence de dosage 2 heures après une charge en glucose peut avoir sous-estimé cette incidence d’environ un tiers. Quoiqu’il en soit, cet effet a été insuffisant pour permettre un bénéfice en termes de prévention cardiovasculaire et la prévention du DT2 par un THS lors de la ménopause n’est soutenue que par cette seule étude, cet effet n’ayant pas été retrouvé, en particulier dans l’étude WHI. Cet effet éventuel ne permet donc pas de recommander l’utilisation d’un THS en prévention secondaire des MCV.
Études chez les sujets traités par un inhibiteur du système rénine-angiotensine
Huit études sur les dix réalisées avec un inhibiteur du SRA sont convergentes, montrant une diminution de l’apparition d’un DT2 chez des patients non diabétiques traités pour HTA ou insuffisance cardiaque, ce qui doit faire envisager l’existence d’un mécanisme d’action favorable sur le contrôle de la glycorégulation (tableau).
Ces études ont concerné le plus souvent des patients hypertendus. Chez les patients non diabétiques à l’inclusion, il n’a pas été réalisé initialement de test de charge orale en glucose. On ne sait donc pas combien de patients avaient une IGT.
CAPP (Captopril Prevention Project)
Elle a concerné des hypertendus non diabétiques âgés de 25 à 66 ans. Le critère d’inclusion était une pression artérielle diastolique supérieure à 100 mmHg. Les patients ont été randomisés en deux groupes recevant pendant 6,1 années, soit du captopril (50 à 100 mg/j) pour environ la moitié d’entre eux, soit un bêtabloquant ou un diurétique thiazidique. La réduction de la survenue d’un DT2 était un objectif secondaire prédéfini. Dans le groupe captopril, le risque de survenue d’un diabète a été réduit de 21 % (IC 95 % : 6-33). Le nombre de sujets présentant une IGT à l’entrée de l’étude n’était pas connu.
HOPE (Heart Outcome Prevention Evaluation study)
Elle a concerné des patients à haut risque cardiovasculaire, âgés de plus de 55 ans, traités par ramipril (10 mg/j) ou par placebo pendant 4,5 années. À l’inclusion, 5 720 sujets n’étaient pas diabétiques. Comparé au placebo, le risque de survenue du DT2 a été réduit de 34 % (IC 95 % : 15-49) dans le groupe traité par ramipril. La proportion de sujets ayant une IGT au début et à la fin de l’étude n’est pas précisée de même que la proportion de DT2 méconnus à l’inclusion.
LIFE (Losartan Intervention For Endpoint reduction in hypertension study)
Elle a concerné des patients hypertendus présentant une HVG, âgés de plus de 55 ans, dont environ 8 000 sujets non diabétiques à l’entrée, traités en moyenne durant 4,8 ans soit par losartan (50 à 100 mg/j), soit par aténolol (50 à 100 mg/j). Comparé au groupe aténolol, le risque de survenue d’un DT2 a été réduit de 25 % (IC 95 % : 12-37) dans le groupe losartan. La méthode de détermination de la survenue d’un DT2 n’est pas clairement précisée.
ALLHAT (Antihypertensive and Lipid-Lowering to Prevent Heart Attack Trial)
Elle a concerné des hypertendus non diabétiques, âgés de plus de 55 ans, traités pendant une durée moyenne de 4,9 ans soit par lisinopril (10 à 40 mg/j), soit par amlodipine (2,5 à 5 mg/j), soit par chlortalidone (12,5 à 25 mg/j). L’incidence de survenue d’un DT2 était un objectif secondaire. Comparé au groupe amlodipine, le risque de survenue d’un DT2 a été réduit de 17 % dans le groupe lisinopril et augmenté de 18 % dans le groupe chlortalidone. Comparé au groupe lisinopril, le risque a été majoré de 43 % dans le groupe chlortalidone. Le nombre de sujets présentant une IGT à l’entrée n’est pas connu.
ALPINE (Antihypertensive treatment and Lipid Profile In a North of Sweden Efficacy evaluation)
Elle n’a concerné qu’un petit nombre de sujets (393) durant une période relativement courte (1 an). Les patients, hypertendus modérés, âgés en moyenne de 55 ans, ont reçu soit 16 mg de candésartan (en association si besoin avec de la félodipine), soit 25 mg d’hydrochlorothiazide (en association si besoin avec de l’aténolol). Alors que la glycémie moyenne et l’insulinémie moyenne à jeun ont augmenté sous hydrochlorothiazide, une légère diminution de ces paramètres a été observée avec le candésartan après 1 an de traitement. Au terme de l’étude, 8 nouveaux cas de DT2 ont été diagnostiqués dans le groupe hydrochlorothiazide contre un seul cas dans le groupe candésartan et, en dépit du faible nombre de patients, la différence est significative (p = 0,03).
VALUE (Valsartan Antihypertensive Long-term Use Evaluation)
Elle a concerné 15 245 patients hypertendus à haut risque, âgés de plus de 50 ans, traités en moyenne pendant 4,2 ans, soit par le valsartan, soit par amlodipine. Le diagnostic des nouveaux cas de DT2 reposait sur les nouveaux critères (1999) de l’OMS. Dans le groupe valsartan, 690 (13,1 %) nouveaux cas de DT2 ont été détectés contre 845 (16,4 %) dans le groupe amlodipine, soit une réduction significative de 23 %.
STOP-Hypertension-2 et SCOPE
Ces deux études comparant l’une un traitement conventionnel (bêtabloquant + association hydrochlorothiazide-amiloride) à un nouveau traitement (IEC ou antagoniste calcique), l’autre le candésartan à un placebo et si nécessaire un médicament antihypertenseur administré en ouvert (le plus souvent un thiazidique) ont en revanche été négatives quant à la prévention du DT2 (différence non significative). À noter que ces deux études concernaient des patients âgés (plus de 70 ans).
SOLVD et CHARM-preserved
Ces deux études également réalisées avec un inhibiteur du SRA mais chez des sujets ayant une insuffisance cardiaque, ont également mis en évidence une diminution du risque de DT2 chez des patients recevant soit 2,5 à 20 mg/j d’énalapril (SOLVD), soit jusqu’à 32 mg/j de candésartan (CHARM-preserved) comparativement à des patients recevant un placebo.
Autres essais
Une métaanalyse de toutes les études publiées à la fin de l’année 2004 par A.J. Scheen a retrouvé 2 675 nouveaux cas de DT2 (7,4 %) chez les 36 167 pa-tients recevant un inhibiteur du SRA contre 3 842 nouveaux cas (9,6 %) chez les 39 902 patients des groupes témoins, soit une diminution du RR de DT2 de 22 % (IC 95 % : 18-26). La réduction du RR est comparable pour les deux classes thérapeutiques (IEC et ARA II) et le bénéfice est retrouvé aussi bien dans les études comparant ces médicaments avec un placebo que dans celles où ils sont comparés avec un bêtabloquant ou un thiazidique ou avec un médicament réputé métaboliquement neutre comme l’amlodipine.
Plus récemment, l’étude ASCOT-BPLA, randomisée mais réalisée selon la méthode PROBE (le médecin et le patient connaissent le traitement prescrit), a permis de mettre en évidence une réduction de 30 % du risque de DT2 chez des hypertendus traités par amlodipine (5-10 mg/j) éventuellement associé au perindopril (4-8 mg/j), comparativement aux patients traités par aténolol (50-100 mg/j) associé si nécessaire au bendrofluméthiazide (1,25-2,5 mg/j). L’effet potentiellement diabétogène des médicaments (bêtabloquant et thiazidique) utilisés dans le groupe témoin pourrait expliquer cette différence en faveur du groupe amlodipine, qui est métaboliquement neutre. Une métaanalyse récente montre, en effet, que les traitements antihypertenseurs comportant l’association d’un bêtabloquant avec un thiazidique augmentent le risque de DT2 de 20 % comparativement aux autres traitements antihypertenseurs. Cependant, 64 % des patients du groupe amlodipine ont reçu du perindopril, ce qui suggère la possibilité d’un effet préventif de ce médicament.
Un effet des inhibiteurs du SRA sur les activités kinases activées par l’insuline a été évoqué à l’origine de ce bénéfice. Il s’ensuivrait une amélioration de la sensibilité à l’insuline et une diminution des besoins en insuline, préservant ainsi la fonction bêtapancréatique. Il a été également montré que le blocage du SRA par un IEC ou un ARA II augmente le taux d’adiponectine, probablement en favorisant le recrutement des préadipocytes et leur différenciation vers des adipocytes de petite taille. Ces petits adipocytes fonctionnels, sécrètent l’adiponectine en plus grande quantité que ceux de grande taille, dont le fonctionnement est altéré, favorisant la survenue d’une insulinorésistance et une altération de la fonction bêtapancréatique.
Une évaluation rigoureuse de cette protection éventuelle contre la survenue d’un DT2 est actuellement en cours dans l’étude DREAM (Diabetes Reduction Assessment with ramipril and rosiglitazone Management), l’étude NAVIGATOR (Nateglinide and Valsartan in Impaired Glucose Tolerance Outcome Research) et les études ONTARGET (Telmisartan Alone and in combination with Ramipril Global Endpoint Trial) et TRANSCEND (Telmisartan Randomised Assessment Study in ACE-I Intolerant Patients with Cardiovascular Disease).
Au total
Si la possibilité d’une prévention du DT2 par les médicaments agissant sur le SRA n’est pas définitivement établie, 8 études sur 10 sont convergentes, ce qui doit faire envisager l’existence d’un mécanisme d’action sous-jacent. Il convient cependant de garder à l’esprit les limites méthodologiques de ces études (notamment en raison du faible taux de survenue du DT2 et de l’absence d’une évaluation précise de la glycorégulation des sujets à l’inclusion).
Conclusion
Les essais pharmacologiques de prévention non spécifiques semblent indiquer qu’il est possible de prévenir le DT2.
Les études réalisées notamment avec les inhibiteurs du SRA chez des sujets hypertendus ont montré que ces deux classes thérapeutiques (IEC et ARA II) permettent de diminuer le risque de DT2, y compris chez des sujets qui n’avaient pas d’IGT ni un risque élevé d’être diabétique.
Cet effet préventif sur le DT2 apparaît d’autant plus intéressant que ces médicaments ont montré qu’ils peuvent diminuer le risque de survenue d’événements cardiovasculaires, indépendamment de leur action sur les chiffres de tension artérielle.
L’auteur n’ a pas déclaré de conflit d’intérêt.
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