Publié le 19 avr 2005Lecture 7 min
Prévention de la sténose aortique calcifiée : une future indication des statines ?
Ch. TRIBOUILLOY et M. PELTIER, CHRU d’Amiens
Les Journées européennes de la SFC
La sténose aortique calcifiée « dégénérative » est actuellement la valvulopathie la plus fréquente dans les pays industrialisés (figures 1 et 2). Au cours de cette dernière décennie, des études expérimentales ont permis de mieux comprendre la physiopathologie de cette valvulopathie. L’actualité réside dans la mise en évidence de mécanismes d’installation et de progression de cette maladie, proches de ceux décrits dans l’athérosclérose.
Figure 1. Sténose aortique calcifiée.
Figure 2. Sclérose aortique en échocardiographie.
Les perturbations lipidiques, en particulier l’hypercholestérolémie, constitueraient un facteur important dans l’initiation des lésions valvulaires, mais aussi dans la calcification orificielle aortique. Des études cliniques rétrospectives préliminaires suggèrent, sans le prouver, l’intérêt des statines pour ralentir la progression de la sténose aortique (figure 3).
Cet effet bénéfique potentiel demande à être établi par des études prospectives randomisées et soulève l’espoir d’une thérapeutique médicale pour éviter l’évolution de la banale sclérose aortique vers la sténose aortique calcifiée serrée.
Figure 3. Evolution de la sévérité d’une sténose aortique sur 8 ans chez un patient. On note sur l’enregistrement en doppler continu du flux transvalvulaire aortique une progression de la vitesse maximale, qui passe de 2,6 m/s à 6 m/s de 1988 à 1996.
Sténose aortique dégénérative et athérosclérose
De nombreux travaux sont en faveur d’un mécanisme proche du processus athéroscléreux dans la genèse de la sténose dégénérative de la valve aortique
Données fondamentales
Les études expérimentales menées par le groupe de C. Otto ont contribué à une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques conduisant au passage de la sclérose aortique à la sténose aortique. Au stade de sclérose valvulaire, l’examen microscopique montre des lésions localisées à la face aortique des feuillets valvulaires à type d’épaississement du tissu sous-endothélial empiétant sur le tissu collagène et responsable d’une rigidité valvulaire.
Les analyses histologiques et histochimiques objectivent un aspect proche de celui observé dans l’athérosclérose artérielle (tableau 1) : présence d’infiltrats de cellules inflammatoires composées de macrophages, de lymphocytes T ; ruptures de membranes basales altérées et mise en évidence d’une accumulation de LDL oxydées, d’apolipoprotéines B et d’apolipoprotéines (a), et de lipoprotéine (a) au contact des cellules inflammatoires. Ce processus local inflammatoire actif s’accompagne d’un état inflammatoire chronique comme en témoigne l’augmentation des taux sériques de CRP et de marqueurs de l’activation endothéliale tels que la sélectine E soluble.
Par ailleurs, au stade précoce de l’atteinte valvulaire, on note déjà l’existence de plages de calcification et la présence in situ de lipoprotéines oxydées suggérant un rôle actif des lipides dans le processus de calcification valvulaire.
Données cliniques
Des études cliniques ont examiné la relation entre les données du bilan lipidique et la sclérose aortique. La majorité de ces travaux souligne le lien étroit entre des taux sanguins élevés de cholestérol total, de LDL-cholestérol, de Lp(a) et de triglycérides, et un taux bas de HDL-cholestérol, et la sclérose aortique. Cette association est indépendante des autres facteurs de risque et de la présence d’une coronaropathie associée. L’âge élevé, l’hypertension artérielle, le sexe masculin, le tabagisme, le diabète, et, à un degré moindre, l’hyperhomocystéinémie sont aussi associés à la sténose aortique dégénérative.
Cinq études longitudinales rétrospectives avec suivi échocardiographique ont recherché un lien entre la cholestérolémie et la progression de la sténose aortique et ont rapporté des résultats discordants, empêchant toute conclusion sur cette relation. Trois ont ainsi identifié l’hypercholestérolémie comme facteur prédictif indépendant de la progression de la sténose aortique, résultats non confirmés par les deux autres séries.
Cholestérol et calcification valvulaire aortique
Les similitudes entre le processus de calcification du tissu valvulaire aortique et celui du tissu vasculaire de la paroi artérielle suggèrent un lien probable entre le cholestérol et la calcification valvulaire. La présence de cholestérol au sein de nodules calcifiés extraits de plaques d’athérome a été mise en évidence. Des nodules de même type, localisés dans des cultures de cellules humaines de valves aortiques contenant une matrice minéralisée, ont été individualisés. Cette matrice minéralisée par de l’hydroxyapatite suggère un rôle direct du cholestérol dans ce processus de calcification extra-osseuse.
Ce mécanisme de production de la matrice minéralisée développée dans le tissu valvulaire aortique a été étudié sur un modèle expérimental de lapins hypercholestérolémiques : Rajamannan et coll. ont constaté, après un régime enrichi en cholestérol, l’apparition de lésions typiques d’athérosclérose de la valve aortique avec une expression accrue de gènes favorisant la différenciation des ostéoblastes. Il s’agit de gènes de l’enzyme de la phosphatase alcaline, de l’ostéopontine et de la Cbfa 1. L’expression de ces différents gènes est à l’origine de la transformation de fibroblastes de valve aortique en ostéoblastes. La présence de ce phénotype « osteoblast-like » chez ces lapins rendus hypercholestérolémiques pourrait expliquer le développement de la calcification valvulaire aortique.
Effets potentiels des statines sur la progression de la sténose aortique
L’effet favorable des statines étant montré sur l’athérome coronaire, l’hypothèse d’une efficacité de ce traitement pour ralentir le processus de calcification valvulaire aortique et l’évolution vers la sténose a été émise. Les premiers résultats issus de travaux préliminaires fondamentaux et de cinq études cliniques rétrospectives (tableau 2) suggèrent l’intérêt des statines dans le traitement préventif de la sténose aortique.
Les mécanismes possibles d’action des statines sur la valve aortique font appel à ceux reconnus sur la plaque d’athérome :
• diminution de la synthèse du LDL-cholestérol,
• action anti-inflammatoire,
• réduction de l’expression de certains gènes régulant le processus de calcification.
- Dans une étude rétrospective incluant des sténoses aortiques modérées, Aronow et coll. ont été les premiers à comparer la progression annuelle du gradient maximal aortique, mesurée au Doppler, chez 69 patients hypercholestérolémiques non traités par statine à celle de 62 patients hypercholestérolémiques recevant une statine. La progression annuelle du gradient était significativement plus marquée dans le groupe ne recevant pas de statines (6,3 vs 3,4 mmHg/an ; p < 0,0001). À côté des taux de LDL-cholestérol (> 125 mg/dl) et de HDL-cholestérol (< 35 mg/dl) mesurés au cours du suivi, l’absence d’un traitement par statine a été identifiée comme facteur prédictif indépendant de la progression de la sténose aortique.
- Dans une autre étude rétrospective (Novaro, Circulation 2001) incluant 174 sujets atteints de sténose aortique modérée à moyenne suivis 21 mois, les patients traités par statine avaient une réduction annuelle moindre de leur surface aortique (- 0,06 vs - 0,11 cm2/an ; p = 0,03). L’analyse multivariée a montré que l’absence de traitement par statine était le seul facteur prédictif d’une réduction de la surface orificielle aortique au cours du suivi. Dans ce travail, la réduction du taux de LDL-cholestérol sous statines était corrélée à la progression de la sténose.
- Shavelle et coll. (Lancet 2002) ont étudié la progression des calcifications valvulaires aortiques par tomodensitométrie chez 65 patients. Le taux annuel de progression des calcifications valvulaires a été plus faible dans le groupe de patients hypercholestérolémiques traités par statine en comparaison au groupe ne recevant pas ce traitement (11 vs 30 %/an ; p < 0,001).
- Enfin, deux études rétrospectives récentes (Bellamy, JACC 2002 et Rosenhek, Circulation 2004) ont aussi rapporté une progression annuelle de la vitesse maximale aortique et une réduction annuelle de la surface aortique moindres dans le groupe de patients traités par statines. Toutefois, cette influence favorable des statines sur la progression s’est ici révélée indépendante de leur effet sur la baisse du cholestérol au cours du suivi, ce qui plaide pour un effet bénéfique des statines ne s’expliquant pas par la seule réduction de la synthèse de cholestérol. La présence de cellules inflammatoires dans le tissu valvulaire aortique ainsi que de l’augmentation des marqueurs de l’inflammation dans la circulation générale, chez l’homme, ont conduit à émettre l’hypothèse d’une action bénéfique des statines sur l’inflammation active et chronique rencontrée dans ces processus de sclérose et de calcification valvulaire aortique.
Conclusion
Les statines pourraient ralentir l’évolution de la sclérose aortique vers la sténose aortique calcifiée serrée comme le suggèrent certaines données expérimentales et 5 études cliniques rétrospectives, et ainsi retarder l’apparition des symptômes et la date de la chirurgie valvulaire.
Néanmoins, ces travaux cliniques rétrospectifs ne montrent qu’une association entre la moindre progression de la sténose aortique et le traitement par statine, et n’établissent en aucun cas une relation de cause à effet pouvant justifier aujourd’hui la prescription d’une statine en présence d’une sclérose ou d’une sténose aortique. Seuls des essais cliniques méthodologiquement irréprochables pourront établir cette éventuelle relation de cause à effet. Les deux essais prospectifs randomisés actuellement en cours (ASTROMER et SEAS) apporteront probablement des éléments de réponse. Dans l’attente des résultats, la correction des nombreux facteurs de risque liés à la sténose aortique dégénérative demeure fondamentale.
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