Prévention et protection
Publié le 11 sep 2007Lecture 8 min
Prévention thromboembolique après chirurgie majeure des membres inférieurs : quel traitement optimal ?
J. BARRÉ, département d’anesthésie et de réanimation, CHU de Reims
La prévention de la maladie thromboembolique est systématique en chirurgie orthopédique majeure depuis plusieurs décennies. Les prothèses totales de hanche (PTH) et de genou (PTG) constituent toujours le champ privilégié des essais thérapeutiques évaluant les nouvelles molécules d’anti- thrombotiques car l’incidence des thromboses veineuses profondes (TVP) asymtomatiques, diagnostiquées par la phlébographie, reste aux alentours de 10-20 %, ce qui permet de recruter 10 fois moins de sujets que dans les études cliniques. De nouvelles recommandations, commanditées par la Société française d’anesthésie-réanimation et l’HAS, ont été publiées en 2005 et répondent aux cinq questions posées ici.
On doit retenir les éléments suivants :
- les HBPM peuvent être indifféremment débutées avant ou après la chirurgie ;
- le fondaparinux est une alternative aux HBPM, à choisir en fonction du terrain et de la chirurgie ;
- les moyens mécaniques doivent être associés à la prévention médicamenteuse ;
- une prophylaxie prolongée (4-6 semaines) est à prescrire après chirurgie des prothèses de hanche et des fractures du col du fémur. En revanche, elle ne semble pas nécessaire au-delà du 14e jour chez les opérés de prothèses de genou sans facteurs de risque personnels ;
- des facteurs de risque thrombo- embolique et/ou hémorragique liés au patient ont été recensés, ils permettent d’établir une stratégie personnalisée.
Quelle est l’incidence des ETE au décours de la chirurgie orthopédique majeure ?
Les événements thromboemboliques (ETE) cliniques, décès brutal, embolie pulmonaire (EP) mortelle ou non, thrombose veineuse profonde sont ceux que le clinicien veut prévenir ; ils s’observent sur une période de 1 à 3 mois après la chirurgie ou le traumatisme. Actuellement, leur incidence a considérablement diminué non seulement grâce à la prévention systématique mais aussi aux progrès réalisés en chirurgie et en médecine.
Dans les suites des PTH, des PTG et même celles des fractures du col du fémur (FH), ils s’observent chez moins de 2 % des patients, dont 0,2-0,5 % sont des EP et 0,1 % des EP mortelles.
L’embolie graisseuse est le diagnostic différentiel de l’embolie fibrino-cruorique à évoquer lorsque les symptômes se manifestent en peropératoire ou dans les quelques heures qui suivent l’acte opératoire ; les gestes chirurgicaux, comme le scellement des implants fémoraux, engendrent une montée de pression dans la cavité osseuse, responsable de l’expulsion de la moelle vers les veines efférentes : du matériel échogène est visible dans le ventricule droit chez 90 % des opérés d’orthopédie ; les répercussions de l’augmentation de pression dans l’artère pulmonaire au niveau du cœur droit, du débit cardiaque et les éventuels emboles systémiques traversant un foramen ovale perméable ne sont pas spécifiques ; en revanche, le devenir intra-pulmonaire des emboles graisseux est tout à fait particulier car, poussés par l’HTAP, ils traversent la circulation pulmonaire en quelques heures grâce à leur petite taille (25-75 mm) et à leur grande plasticité. Cette invasion systémique retardée permet de réduire le degré de l’obstruction micro-vasculaire pulmonaire et de soulager le cœur.
Les accidents hémorragiques sont de l’ordre de 1,5 % ; les hématomes de la plaie opératoire conduisent à la réintervention dans la moitié des cas, peuvent avoir des conséquences à type de nécrose cutanée, notamment au niveau du genou, et/ou évoluer vers les complications septiques. Le nombre d’opérés requérant une transfusion reflète bien le risque hémorragique d’une molécule ou de son schéma d’administration.
Les événements asymptomatiques, détectés par une phlébographie réalisée entre J4 et J8, servent de critères intermédiaires dans les essais thérapeutiques ; la comparaison des molécules ou des schémas d’administration se fait en comptabilisant les très nombreuses TVP distales ou musculaires, les quelques TVP proximales et les rares ETE. Par ailleurs, une phlébographie ou un écho-Doppler normaux avant la sortie du service de chirurgie n’excluent pas un accident clinique ultérieur car nombre de TVP surviennent tardivement, particulièrement après PTH ou fractures du col.
Le niveau du risque chirurgical varie selon l’acte opératoire, tant en intensité qu’en durée. De plus, il doit être ajusté en fonction des risques propres à chaque patient. Des facteurs indépendants de risque thromboembolique clinique ont été individualisés par analyse multivariée chez des opérés de PTH (tableau). Un risque hémorragique élevé existe chez les sujets définis comme fragiles : insuffisance rénale (clairance à la créatinine < 50 ml/min) et/ou poids < 50 kg et/ou âge > 75 ans. Le vieillard cumule donc tous les risques. Une première injection d’antithrombotique réalisée quelques heures avant ou après la chirurgie augmente aussi le saignement.
Quel est le rapport bénéfice/risque d’une prévention de courte durée (10-14 jours) avec les traitements antithrombotiques disponibles ?
Les HBPM, à dose préventive élevée, sont devenues la référence en Europe ; elles sont plus efficaces et mieux tolérées que l’héparine non fractionnée (HNF) Elles sont aussi plus efficaces que les antagonistes de la vitamine K mais leur tolérance est différemment appréciée : en Amérique du Nord, la warfarine, débutée le soir de la chirurgie, ne produit ses effets qu’à J+4-6 et les accidents hémorragiques sont peu fréquents ; au contraire, en France, une étude comparant une HBPM relayée ou pas à J+3 par l’acénocoumarol montre un excès d’accidents hémorragiques majeurs dans le groupe AVK (5,5 vs 1,4 % ; p = 0,001)
Le danaparoïde et la désirudine ont une AMM en chirurgie orthopédique mais leur emploi plus difficile fait que ces molécules sont réservées aux thrombopénies induites par l’héparine de type II.
L’aspirine, même si elle plus efficace qu’un placebo, manque de puissance et ne peut être utilisée en prévention du risque veineux.
Les moyens mécaniques tels la contention élastique (adaptée à la morphologie du sujet), la compression pneumatique intermittente de tout l’axe de la jambe ou de la seule voûte plantaire sont moins efficaces que les héparines. Néanmoins, ils apportent un effet additionnel à utiliser sans réserve ; ils ne peuvent être utilisés seuls que chez les très rares patients relevant d’une contre-indication aux anticoagulants.
Le fondaparinux, premier inhibiteur synthétique, indirect et sélectif du facteur Xa, a été étudié chez plus de 7 000 opérés d’orthopédie majeure ; il est plus efficace que les HBPM (RR = 0,55) sur des critères essentiellement phlébographiques sans que cet effet ne se traduise par un gain clinique ; il entraîne un surcroît d’accidents hémorragiques majeurs (2,7 vs 1,7 %), notamment chez les patients fragiles et lorsque la première injection est faite avant la 6e heure postopératoire.
Le mélagatran/ximélagatran, premier inhibiteur direct de la thrombine actif par voie orale, a été retiré du marché à cause d’accidents hépatiques. Son successeur, le dabigatran etexilate est en phase III pour le court terme (orthopédie), le moyen terme ( traitement des TVP et des EP) et le long terme (arythmies par fibrillation auriculaire) Le rivaroxaban, anti-Xa direct, actif par voie orale, a un développement moins avancé. Le but ultime de ces nouvelles molécules est de remplacer les AVK.
Quand débuter la prophylaxie et combien de temps la poursuivre ?
Début de la prévention
Dans le résumé des caractéristiques du produit des HBPM, il est notifié de débuter les doses préventives élevées, préconisées pour l’orthopédie, 12 h avant la chirurgie ; ce début préopératoire reposait sur le concept, jamais vérifié, du « tout se passe en peropératoire » datant des années 1980 pendant lesquelles les études d’AMM ont été conduites. Des travaux récents montrent qu’il n’y a pas avantage à commencer en préopératoire plutôt qu’en postopératoire, à H+12, en termes d’efficacité et de tolérance. Avec le fondaparinux, la première injection doit être réalisée à H+6 et même H+8 chez les sujets fragiles, la seconde au moins 12 h après la première pour améliorer la tolérance.
Recommandations : début de la prophylaxie
- HBPM : injection postopératoire préférable surtout si anesthésie loco-régionale (grade B).
- En cas de FH et de chirurgie différée, une administration préopératoire est légitime avec un arrêt à H–12 ou mieux H-24 (grade C).
- Fondaparinux : première injection à H+6 et même H +8 chez les sujets fragiles : deuxième injection au moins 12 h après la première (grade C).
Durée de la prévention
Les PTH et PTG ont longtemps été confondues et la PTG a même été considérée comme plus thrombogène en raison de ses plus nombreuses TVP asymptomatiques résistant à une prophylaxie bien conduite. En fait, les ETE post-PTH sont plus nombreux et s’expriment pendant 3 mois (médiane de 17 jours), alors que les ETE post-PTG surviennent pendant seulement un mois (médiane de 7 jours) Une métaanalyse, comparant une prévention courte (< 15 jours) à une prévention longue (4-6 semaines) par des HBPM, montre que le traitement long diminue de façon significative le risque d’ETE au décours de la PTH (OR = 0,33 [0,19-0,56]) mais pas au décours des PTG (OR= 0,74 [0,26-2,12]) Une étude incluant des fractures du col du fémur a comparé un traitement par le fondaparinux d’une durée de 7 versus 35 jours ; la supériorité du traitement long est incontestable avec toutefois une augmentation du saignement à la limite de la significativité ; cette étude a valu au fondaparinux d’avoir la primauté dans cette indication car les HBPM, quoique couramment utilisées, n’ont jamais été évaluées pour des préventions dépassant la durée de l’hospitalisation.
Recommandations : durée de la prophylaxie
- Après PTH, il est recommandé de prescrire une HBPM pendant 42 jours(gradeA).
- Après PTG, une prescription systématique d’HBPM au-delà du 14e jour n’est pas recommandée (grade B) ; une prescription au-delà du 14e jour devra être envisagée chez les patients à risque thromboembolique surajouté (grade B).
- Après FH, il est légitime de prescrire du fondaparinux jusqu’au 35e jour (grade A).
Surveillance du traitement : que faire ?
Le dépistage systématique par écho-Doppler n’est pas recommandé par le consensus nord-américain (grade A).
Néanmoins, il est réalisé systématiquement en France dans 40 % des services d’orthopédie et/ou à l’arrivée dans les centres de rééducation. Il n’a jamais prouvé qu’il était capable de diminuer les ETE ultérieurs, ni avec la technique nord-américaine n’explorant que trois points des veines proximales, ni avec la technique européenne examinant l’ensemble des veines des deux membres inférieurs. De plus, les traitements curatifs institués à la découverte d’une TVP asymptomatique engendrent des complications hémorragiques d’autant plus nombreuses que ce traitement est débuté tôt après la chirurgie.
Toute prescription d’antithrombotique doit être précédée du calcul de la clairance à la créatinine ; en cas d’insuffisance rénale sévère, les nouveaux antithrombotiques sont contre-indiqués, et les HBPM déconseillées ; seule l’HNF à posologie adaptée au TCA est utilisable. Les traitements par HNF et HBPM demandent une surveillance de la numération plaquettaire au rythme de deux fois par semaine pendant toute la durée du traitement.
En pratique
Considérant le risque élevé de la chirurgie orthopédique majeure et la diversité des risques thromboemboliques et/ou hémorragiques liés au patient, la diversité des thérapeutiques disponibles permet une stratégie de prévention adaptée au cas par cas, comme d’accepter un surcroît hémorragique pour un patient ayant des antécédents documentés de TVP ou d’EP ou de débuter le plus tard possible la prévention chez un patient fragile. La recherche de nouvelles molécules devra mettre en exergue la sécurité hémorragique face à une incidence, devenue faible, des accidents thromboemboliques cliniques.
Les recommandations et la bibliographie sont accessibles sur le site de la SFAR.
L’auteur n’ a pas déclaré de conflit d’intérêt.
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