Publié le 19 avr 2005Lecture 9 min
Quels sont les critères opératoires du rétrécissement aortique serré ?
B. CORMIER, institut hospitalier Jacques Cartier, Massy
Les Journées européennes de la SFC
Le remplacement valvulaire aortique est la deuxième procédure de chirurgie cardiaque après le pontage aorto-coronaire. La population concernée est essentiellement composée de sujets relativement âgés avec un risque opératoire en rapport. Il est donc important de bien définir les critères opératoires.
Les décisions thérapeutiques sont fondées sur la connaissance de l’histoire naturelle du rétrécissement aortique.
On sait depuis longtemps que l’apparition des symptômes constitue un tournant évolutif avec une moindre survie alors que, classiquement, le pronostic des patients asymptomatiques est considéré comme favorable avec notamment un risque de mort subite faible.
Ces considérations étaient basées sur des études rétrospectives à une époque où l’appréciation de la sévérité de la sténose aortique reposait sur les données du cathétérisme invasif. Elles ont été réactualisées à la lumière d’études prospectives récentes, réalisées à partir d’évaluations itératives possibles grâce à l’échographie-Doppler, qui ont souligné que le pronostic des patients asymptomatiques est hétérogène, ce qui a amené à reconsidérer les critères de sévérité du rétrécissement aortique.
Critères hémodynamiques
Les critères classiques de quantification du rétrécissement aortique sont basés sur l’appréciation de la sévérité hémodynamique à partir d’indices obtenus lors du cathétérisme invasif ou de l’échographie Doppler, essentiellement représentés par l’évaluation du gradient de pression transvalvulaire et de la surface fonctionnelle de l’orifice sténosé.
Compte-tenu des bonnes corrélations entre l’hémodynamique invasive et le Doppler, cette évaluation du gradient de pression est actuellement réalisée de manière non invasive, la fiabilité de la mesure reposant sur une technique rigoureuse, de façon à obtenir le meilleur alignement possible entre le flux sanguin et le faisceau d’ultrasons. Les deux principales fenêtres d’exploration habituellement utilisées sont la voie apicale et la voie parasternale droite, cette dernière nécessitant l’utilisation d’une sonde Pedoff.
Un gradient moyen > 50 mmHg permet d’identifier une sténose aortique serrée avec une bonne spécificité. Cependant, l’amplitude du gradient de pression résulte de l’interaction entre le ventricule gauche et la valve aortique et la dépendance de ce paramètre vis-à-vis du débit cardiaque est bien connue.
Calcul de la surface aortique
Le calcul de la surface aortique de façon invasive par l’équation de Gorlin ou non invasive par l’équation de continuité a longtemps été considéré comme un paramètre de quantification plus fiable car intègrant le volume d’éjection systolique et paraîssant donc moins dépendant des variations de pré- ou de postcharge, de contractilité ventriculaire.
En dehors des causes d’erreur purement techniques (calcul du débit cardiaque, qualité du recueil des courbes de pression pour l’hémodynamique invasive, évaluation du diamètre de la chambre de chasse ventriculaire gauche, fiabilité de l’enregistrement du flux sous-aortique ou du flux transvalvulaire en échographie Doppler), l’utilisation de la surface aortique en pratique clinique se heurte à deux écueils.
Le seuil définissant le RA serré.
Les données de la littérature essentiellement basées sur des études hémodynamiques sont relativement hétérogènes et proposent comme critère de rétrécissement aortique serré une surface brute comprise entre 0,75 et 1 cm2. L’intérêt d’indexer ce paramètre à la masse corporelle est maintenant bien admis et les travaux les plus récents proposent comme seuil de sévérité une surface indexée de 0,5 cm2/m2 de surface corporelle mais l’on peut remarquer, par analogie avec le calcul de la masse ventriculaire gauche dans l’hypertension artérielle, que la méthode de normalisation idéale reste à définir, certains auteurs proposant l’utilisation de la taille plutôt que de la surface corporelle pour réaliser cette mesure.
La surface dépend du débit notamment en cas de dysfonction ventriculaire avec petit volume d’éjection systolique. Ceci s’explique par :
• l’imperfection des formules utilisées : la constante K de la formule de Gorlin a été déterminée de façon empirique et si les corrélations entre les données hémodynamiques et les données anatomiques sont bonnes pour les débits usuels, certains travaux ont montré une sous-estimation grossière de la surface hémodynamique par rapport à la surface anatomique en cas de bas débit transvalvulaire, probablement en rapport avec une variation du facteur K.
• l’utilisation de l’équation de continuité suppose que l’écoulement est laminaire avec un profil de vitesse plat dans la chambre de chasse ventriculaire gauche, ce qui est confirmé par les études sur banc hydraulique pour les valeurs de débit usuellement rencontrées en situations cliniques. En revanche, en cas de bas débit transvalvulaire, le profil des vitesses de la chambre de chasse devient parabolique avec, en corollaire, une augmentation du coefficient de contraction qui est le rapport entre la surface anatomique et la surface effective ;
• le choix du paramètre considéré, à savoir la surface effective qui est la surface de la vena contracta en aval de l’orifice anatomique.
Quelques études menées sur de petits effectifs ont laissé supposer que l’évaluation de la surface anatomique par la planimétrie de l’orifice sténosé est plus fiable que le calcul de la surface effective, notamment dans ce contexte de petit volume d’éjection systolique ventriculaire gauche. En fait, la littérature récente a montré, à partir de l’évaluation des variations de surface anatomique en fonction des variations de débits obtenues par l’administration de dobutamine, que la surface valvulaire n’est pas constante pour une anatomie donnée. Cela a conduit au concept de réserve fonctionnelle en fonction de la force appliquée sur la valve.
Autres paramètres
D’autres paramètres, tels le calcul de la résistance valvulaire ou le pourcentage de perte de charge du ventricule gauche ont été proposés comme solutions alternatives sans faire la preuve d’une supériorité patente sur la mesure de la surface aortique et n’ont donc pas eu d’impact clinique. L’absence d’indice de repos fiable, indépendant du débit cardiaque, et la difficulté de différencier dans certains cas un rétrécissement aortique serré d’un rétrécissement aortique modéré associé à une cardiomyopathie autonome ont conduit à étudier la réponse hémodynamique à la perfusion de dobutamine chez les patients en insuffisance cardiaque avec bas débit, dysfonction ventriculaire gauche et faible gradient (< à 30 mmHg).
En cas de réserve contractile, une augmentation du gradient moyen devenant > 30 mmHg avec une surface aortique brute restant < 1,2 cm2 ou 0,6 cm2/m2 de surface corporelle sont des critères en faveur d’une sténose aortique serrée lorsque la valve est calcifiée.
Cette évaluation a des limites :
• les patients sans réserve contractile pour lesquels une sténose aortique serrée ne peut être éliminée et qui, dans tous les cas, ont un pronostic spontané très péjoratif ;
• les valeurs seuils en faveur d’un rétrécissement aortique significatif peuvent être discutées ;
• l’existence d’une réserve fonctionnelle valvulaire est compatible avec une sténose aortique hémodynamique, comme le montrent les travaux anatomiques documentant une amplitude d’ouverture variable des feuillets épais, rigides et calcifiés en fonction de la force exercée par le chirurgien.
Intégration de critères cliniques
En définitive, et plutôt que d’essayer vainement de définir un illusoire gold-standard anatomique ou hémodynamique, il paraît logique d’utiliser des critères cliniques pour définir la sévérité d’un rétrécissement aortique. La connaissance de l’histoire naturelle, notamment des patients asymptomatiques, a été améliorée par la possibilité de réaliser des études échographiques itératives qui ont montré que le pronostic n’est pas aussi bon que le laissaient supposer les anciennes études réalisées à partir d’études hémodynamiques.
La vitesse maximale du jet aortique au Doppler continu. L’étude prospective d’Otto a l’intérêt, compte-tenu des considérations précédentes sur les difficultés de quantification du rétrécissement aortique, d’utiliser un paramètre de quantification simple. Lorsque cette vitesse est < 3 m/s, la probabilité de développer des symptômes nécessitant une chirurgie est < 15 % à 5 ans, alors que lorsque la vitesse initiale est > 4 m/s, cette probabilité est de 70 % à 10 ans.
L’importance des calcifications valvulaires en échographie et la vitesse de progression de la valvulopathie sont deux autres paramètres qui, combinés, permettent également d’identifier les patients à haut risque de développement de symptômes.
Dans l’étude de Rosenhek incluant des patients ayant un pic de vitesse supérieur à 4 m/s, l’existence de calcifications importantes et l’augmentation du pic de vitesse > 0,3 m/s dans l’année ont permis d’identifier un sous-groupe de patients ayant une haute incidence d’événements cardio-vasculaires (79 % des patients ayant ces deux paramètres ont été opérés ou sont devenus symptomatiques dans les deux ans suivant l’inclusion).
L’épreuve d’effort : parallèlement à ces critères écho-Doppler, l’intérêt de cette technique chez des patients asymptomatiques est maintenant bien validé. Si cette épreuve reste contre-indiquée chez les patients ayant un rétrécissement aortique serré et des symptômes caractéristiques, ses nombreux intérêts ont été démontrés par une littérature exhaustive chez les patients asymptomatiques :
• la possibilité d’apprécier de façon objective la capacité fonctionnelle des patients et, dans certaines études, 40 % de ceux qui se prétendaient asymptomatiques ou qui avaient des signes fonctionnels vagues ou non caractéristiques (asthénie etc.) ont développé des symptômes typiques à l’effort ;
• intérêt pronostique : la mise en évidence d’une faible capacité à l’effort ou d’une réponse hémodynamique inappropriée, en particulier l’absence de montée tensionnelle ou un sous-décalage du segment ST majeur sont des facteurs pronostiques péjoratifs.
À ce titre, l’étude d’Amato est particulièrement instructive : 66 patients asymptomatiques avec une surface valvulaire < à 1 cm2 ont été évalués par épreuve d’effort : celle-ci s’est avérée positive chez 44 patients (67 %) qui sont tous devenus symptomatiques avec un délai moyen de 15 mois ; quatre morts subites sont survenues dans cette étude chez des patients qui avaient une épreuve d’effort initiale positive.
La connaissance du pronostic du rétrécissement aortique dit modéré avec une surface brute pouvant atteindre 1,2 cm2 a également progressé ; l’étude de Kennedy a clairement montré le pronostic péjoratif des symptômes dans ce groupe de patients avec un pronostic similaire à celui des sténoses considérées comme sévères à partir de critères hémodynamiques. Dans une étude récente, Rosenhek a également montré que le pronostic des patients asymptomatiques ayant un pic de vitesse compris entre 2,5 et 3,9 m/s est hétérogène, et que la mortalité des patients ayant des calcifications aortiques importantes et une évolutivité du pic de vitesse sur les études itératives est quasiment doublée par rapport aux témoins.
En conclusion
L’évaluation clinique est la pierre angulaire de l’appréciation de la sévérité d’un rétrécissement aortique en l’absence de gold-standard hémodynamique ou anatomique. L’évaluation des patients doit donc être basée sur des critères composites : l’affirmation du caractère serré du rétrécissement aortique ne pose pas de problème en cas de symptomatologie clinique caractéristique avec des signes d’obstruction indiscutable en échographie Doppler.
Chez les patients asymptomatiques, le pronostic dépend du degré de sténose apprécié sur le pic de vitesse, sur l’évolutivité de la valvulopathie lors des études itératives et sur l’importance des calcifications. L’épreuve d’effort a une valeur pronostique importante et permet également de préciser de façon objective le statut fonctionnel. Elle paraît particulièrement intéressante lorsque l’interrogatoire est difficile ou les signes fonctionnels non spécifiques.
Enfin, dans le cadre particulier des patients en insuffisance cardiaque avec bas débit, la documentation d’un faible gradient < 30 mmHg est compatible avec un rétrécissement aortique serré lorsque la valve est calcifiée et qu’il existe une dysfonction ventriculaire gauche importante. L’étude de la réponse hémodynamique à la perfusion de dobutamine a une valeur diagnostique, quant à la sévérité de la sténose, et pronostique quant à la survie spontanée et postopératoire.
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