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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 29 juin 2009Lecture 9 min

Resynchronisation et QRS fins

S. CAZEAU, Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph, Paris

La resynchronisation est un traitement désormais validé pour les patients en insuffisance cardiaque symptomatique en classe NYHA III-IV, malgré un traitement médical optimisé avec une dysfonction ventriculaire gauche systolique marquée par une FE ≤ 35 %, une dilatation ventriculaire, en rythme sinusal, et avec une désynchronisation repérée à l’ECG par une largeur de QRS > 120 ms. Seule la durée du QRS > 150 ms permet « officiellement » de sélectionner un patient pour la resynchronisation.

Ce traitement est recommandé par la Société européenne de cardiologie en classe IA pour le CRTP et en classe IB pour les CRTD à la suite des résultats des grandes études de validation MUSTIC, MIRACLE, COMPANION et Care-HF. Les deux premières avaient enrôlé des patients avec un QRS > 150 ms. Les deux dernières étaient proposées à des patients avec un QRS > 120 ms, quoique la valeur moyenne du QRS des patients effectivement enrôlés était > 160 ms ! Partant de cet état, il était logique d’évaluer l’intérêt de la resynchronisation chez les patients moins symptomatiques (NYHA I-II) et chez les patients présentant un QRS fin. Chez ces derniers, il est fortement suggéré d’utiliser des méthodes d’évaluation mécanique, en particulier échocardiographiques (recommandation ESC 2007). Malheureusement, aucune étude contrôlée n’a permis jusqu’à aujourd’hui de valider les « centaines » de paramètres couramment utilisés dans les différents laboratoires d’échocardiographie. L’étude de référence est l’étude PROSPECT, qui a montré malheureusement que l’indice de Pitzalis et les indices de Doppler tissulaire dérivés des travaux de Bax et Sögaard manquaient cruellement de reproductibilité, et donc ne pouvaient être prédictifs de succès éventuel de la resynchronisation. Toutefois, cette même étude a clairement suggéré que l’utilisation des paramètres écho-Doppler (trop) simples issus du modèle de désynchronisation AV, InterV, IntraV (délai pré-éjectionnel gauche, délai interventriculaire, durée du remplissage) avaient davantage de valeur. Dans ce contexte, comment interpréter l’étude RethinQ publiée en 2007 dans le N Eng J of Medecine ? RethinQ L’étude a inclus 172 patients avec un QRS « fin » inférieur strictement à 130 ms, recrutés en raison d’une insuffisance cardiaque, et d’une désynchronisation intraventriculaire utilisant ces mêmes paramètres échographiques, dont la valeur est réfutée par Prospect ! Tous les patients ont été implantés et randomisés en deux groupes, CRT ON ou OFF. Aucun critère d’évaluation de la qualité de resynchronisation délivrée aux patients n’a été appliqué dans cette étude. Tout se passe comme si le fait d’avoir implanté le patient suffisait à dire que le traitement est potentiellement délivré. L’efficacité a été jugée à 6 mois sur un critère très discutable, la variation du pic de consommation en oxygène à l’épreuve d’effort. Comme cela était bien prévisible, les résultats n’ont montré aucune différence entre les patients témoins et les patients resynchronisés. Une lecture rapide de RethinQ permet ainsi de conclure à l’absence d’intérêt de la resynchronisation pour les patients dont le QRS est < 130 ms. En filigrane, on déduit que le seul marqueur utile à la sélection des patients est la largeur des QRS. Pour les patients à QRS « fins », la resynchronisation est inutile… Une construction pourtant bien approximative... On pourrait même aller plus loin. Rien dans la littérature publiée en 2007, ne permettait de « valider » la resynchronisation chez les patients dont le QRS était compris entre 120 et 150 ms, point particulier que la recommandation a clairement négligé ! En effet, celle-ci s’est appuyée sur les résultats positifs de Care-HF et Companion qui avaient recruté des patients à QRS respectivement > 120 et 130 ms en oubliant que les populations effectivement incluses avaient une largeur de QRS moyenne à 160 ms. La notion même de désynchronisation telle qu’elle est abondamment décrite dans la littérature actuelle est, en effet, bien restrictive et probablement incomplète car elle se focalise exclusivement sur la désynchronisation intraventriculaire. Les indices qui ont servi de base au recrutement dans les dernières études ne s’intéressent qu’aux intervalles de temps séparant la contraction de différents segments, sans prendre en compte les délais qui peuvent exister entre la systole locale et la systole globale du cœur. En d’autres termes, si deux segments se contractent à plus de 65 ms (par exemple selon « l’indice de Bax »), le patient est considéré comme désynchronisé, même si ces segments terminent leur contraction avant la fermeture de la valve aortique et donc participent pourtant pleinement au débit cardiaque (figure 1). À l’inverse, si l’ensemble des segments myocardiques d’un patient voient leurs pics de contractions synchrones pendant la diastole, ils ne seront pas considérés comme désynchronisés alors que leurs contractions ne participent pas au débit et augmentent inutilement les pressions intracardiaques pendant le remplissage (figure 2). Figure 1. Coupe apicale 4 cavités, GE Vivid 7 doppler tissulaire - tissue tracking. La contraction myocardique est hétérogène avec une désynchronisation « spatiale » entre les différents segments, qui, pourtant se contractent normalement en systole. Figure 2. Coupe apicale 4 cavités, GE Vivid 7 doppler tissulaire - tissue tracking. La contraction myocardique est homogène mais l’ensemble des segments se contracte pendant la diastole. Suivant ce même raisonnement, une resynchronisation réussie serait une resynchronisation qui rend les différents segments synchrones, même s’ils se contractent tous ensemble pendant la diastole... Or, jusqu’à preuve du contraire, une contraction myocardique diastolique sur une valve aortique fermée n’a jamais augmenté le débit cardiaque, ni diminué les pressions de remplissage (figure 3). Figure 3. Coupe apicale 4 cavités, GE Vivid 7 doppler tissulaire - tissue tracking. La resynchronisation procure une contraction myocardique homogène mais l’ensemble des segments se contracte pendant la diastole. De la notion de désynchronisation spatiale à la désynchronisation temporelle À cette définition « spatiale » de la désynchronisation entre différents segments myocardiques, on peut opposer la notion « temporelle » qui cherche à évaluer le nombre de segments se contractant effectivement après la fermeture de la valve aortique. La contraction segmentaire ne se définit plus par rapport aux autres segments mais par rapport à la référence des ouvertures et fermetures des valves. Un segment désynchronisé est un segment dont la contraction ne participe pas à l’éjection, quel que soit son délai par rapport aux autres. Suivant ce concept, un patient resynchronisé serait un patient dont le maximum de segments myocardiques ne seraient pas forcément synchrones mais se contracteraient au bon moment du cycle cardiaque, c’est-à-dire avant la fermeture aortique (figure 4). Figure 4. Coupe apicale 4 cavités, GE Vivid 7 doppler tissulaire - tissue tracking. La resynchronisation procure une contraction myocardique certes encore hétérogène homogène mais la majorité du myocarde se contracte pendant la systole. En développant le raisonnement, on imagine bien que plus le nombre de segments désynchronisés sera important chez un patient donné, plus la systole globale sera longue et la diastole, donc le remplissage sera court. Plus les délais de propagation locaux VG seront longs et homogènes par rapport au VD, plus le délai prééjectionnel gauche sera long, et plus l’intervalle interventriculaire risque d’augmenter. Ce concept temporel permet de centrer l’analyse sur des paramètres plus globaux, plus simples, plus reproductibles et accessibles en écho-Doppler classique, comme l’a bien montré PROSPECT. Il intègre la désynchronisation interventriculaire et la désynchronisation auriculo-ventriculaire dans une vision plus globale que locale du fonctionnement de la pompe cardiaque. Application de ce concept complet de la désynchronisation : l’étude DESIRE Les critères d’inclusion étaient très simples : l’étude proposait l’implantation systématique d’un CRTP à des patients en classe fonctionnelle III ou IV, à la seule et unique condition que leurs QRS soient < 150 ms puisque seuls les QRS > 150 ms sont clairement validés. L’étude a rassemblé au final 60 patients avec un QRS = 120 ± 19 ms (donc « fin »). Dans ce travail, aucune autre condition préalable n’était requise pour être implanté. En d’autres termes, la population pouvait mélanger des patients effectivement désynchronisés et d’autres non. Juste avant la procédure d’implantation, les patients ont été divisés en deux groupes, l’un considéré comme désynchronisé et l’autre défini comme non désynchronisé. Les critères de désynchronisation de l’étude DESIRE étaient la présence d’au moins un critère de désynchronisation temporelle : – à l’étage auriculo-ventriculaire avec un temps de remplissage < 40 % du cycle cardiaque ; – à l’étage interventriculaire un délai > 40 ms ; – à l’étage intraventriculaire, un délai prééjectionnel gauche > 140 ms ; – ou une désynchronisation temporelle de la paroi latérale du ventricule gauche avec un pic de contraction de ce segment pendant la diastole. L’absence de ces quatre critères permettait de classer le patient dans le groupe non désynchronisé. Les patients ont tous été implantés et suivis un an. L’évaluation des résultats a été menée à 6 mois selon un critère de morbi-mortalité. Un patient amélioré était défini comme vivant, non hospitalisé pour insuffisance cardiaque et présentant une amélioration fonctionnelle d’au moins une classe NYHA. Les patients désynchronisés à l’inclusion selon DESIRE ont été significativement plus nombreux à être améliorés que les patients non désynchronisés à l’inclusion selon DESIRE. Aucune information prédictive n’a pu être tirée de l’ECG en pré- ou en postopératoire. Le taux de succès chez les patients désynchronisés a été de 70 %, identique au taux de succès observé habituellement chez les patients à QRS larges dans les études conventionnelles. Il apparaît donc légitime de proposer une implantation à un patient en insuffisance cardiaque avec un QRS « fin » pour peu qu’il se présente avec au moins un critère de désynchronisation temporelle. L’étude a donc permis de montrer : - que l’existence d’une désynchronisation préalable est bien une condition nécessaire, ce qui allait de soi mais n’avait jamais été montré ; - que l’existence d’un QRS « fin » n’est en rien une contre-indication à l’implantation d’un système de resynchronisation, pour peu que le patient présente des anomalies dans le domaine temporel, correspondant à des troubles potentiellement corrigeables par un système de stimulation. Les QRS fins posent pourtant des problèmes spécifiques En effet, malgré l’optimisation du processus de sélection proposé, les résultats de DESIRE montrent une proportion de 30 % de patients désynchronisés non améliorés par l’implantation. Cela veut-il dire que la simple resynchronisation ne suffit pas chez ces patients, ou que le procédé thérapeutique « CRT conventionnel » qui leur a été appliqué ne pouvait leur convenir ? Il faut bien admettre tout d’abord que l’implantation d’un système de resynchronisation n’est pas aujourd’hui une thérapeutique aussi « standardisée » qu’on le voudrait... En effet, ainsi que le montre la figure 5, différentes qualités de resynchronisation peuvent être apportées en fonction de la position des sondes. Figure 5. A gauche figure l’évaluation d’une resynchronisation avec la sonde VG sur la paroi latérale et la sonde VD sur le septum moyen. La coupe petit axe est en Haut, la coupe apicale 4 cavités en Bas. A droite il s’agit du même patient quelques instants plus tard. La sonde VD a été déplacée 1 cm plus haut sur le septum. La qualité de la resynchronisation s’améliore instantanément. Il est tout à fait possible de modifier profondément la qualité de la resynchronisation en optimisant la position et le nombre des points de stimulation. L’objectif idéal suivant le concept de désynchronisation temporelle serait une configuration qui réduise la durée de la systole et donc augmente la durée du remplissage, sans diminuer la durée de l’éjection aortique. Ceci est parfaitement modélisé depuis le début des années 60, par la réduction du délai prééjectionnel gauche, et la réduction du ratio entre le délai prééjectionnel gauche et l’éjection aortique, et a été fortement suggéré par l’étude METEOR I présentée en 2007. Chez 47 patients avec un QRS « fin » implantés sous assistance échocardiographique avec comme seul objectif la réduction du délai prééjectionnel gauche, de profondes améliorations de l’ensemble des paramètres de désynchronisation ont été obtenues en modifiant pas à pas la position de la sonde VD et/ou en ajoutant un second point de stimulation VD. En pratique Les patients à QRS « fin » forment certainement une population potentiellement accessible à la resynchronisation. Néanmoins, ils montrent parfaitement les limites du modèle de la désynchronisation évaluée par un marqueur électrique grossier tel que la largeur du QRS et soulignent nettement les insuffisances du modèle « spatial » de la désynchronisation mécanique tel qu’il est utilisé aujourd’hui. Cette dernière n’est en fait qu’une désynchronisation temporelle hétérogène, touchant certains segments et non d’autres. Faut-il vraiment tenter de les resynchroniser s’ils se contractent pendant la systole ? À l’inverse pourquoi écarter a priori des patients avec une désynchronisation temporelle homogène alors qu’ils sont probablement ceux qui nécessitent le plus une resynchronisation ? Parce que cette vision de la désynchronisation suscite encore des réticences ou parce que sa resynchronisation ne peut être assurée avec les outils technologiques actuels ?

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