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Cardiologie générale

Publié le 31 mai 2005Lecture 9 min

Retour sur l'étude ALLHAT

A. CASTAIGNE, hôpital Henri Mondor, Créteil

Le JAMA du 6 avril republie des données de l’étude ALLHAT et permet qu’on rediscute les résultats de cette étude de façon un peu moins passionnée que lors de sa publication initiale.
Le motif de cette nouvelle publication est l’analyse des résultats en fonction de la couleur de la peau.

L'étude ALLHAT (Antihypertensive and Lipid Lowering treatment to prevent Heart Attack Trial) devait évaluer si des traitements modernes de l’hypertension artérielle sont supérieurs au traitement par les diurétiques dans la prévention des accidents coronaires. Des patients hypertendus (anciens pour 90 % d’entre eux) à haut risque d’événement coronaire ont été randomisés en quatre groupes : diurétiques (chlortalidone), IEC (lisinopril), inhibiteur calcique (amlodipine) ou alphabloquant (doxazosine). Pour la pureté de la comparaison, les malades non équilibrés par le premier traitement recevaient des bêtabloquants ou des réserpiniques, voire le népressol en troisième niveau. Des efforts considérables ont été faits pour que les malades de chaque groupe ne reçoivent pas un médicament d’une des autres familles étudiées.   Rappel Globalement, il n’y a eu aucune différence entre les quatre groupes sur le critère de jugement principal : la morbi-mortalité de cause coronaire ; de même aucune différence de mortalité totale ou cardio-vasculaire n’a été observée. Cependant, le groupe alphabloquant a été arrêté prématurément en raison d’un excès de poussées d’insuffisance cardiaque et d’un excès d’AVC. Enfin, il a été observé globalement plus d’événements cardio-vasculaires non mortels dans les groupes amlodipine et lisinopril que dans le groupe chlortalidone. La différence portait sur la fréquence des AVC, qui était plus importante dans le groupe lisinopril que dans le groupe chlortalidone, et sur la fréquence des poussées d’insuffisance cardiaque, qui était plus grande sous lisinopril et sous amlodipine que sous chlortalidone. Forts de ces résultats, les auteurs de cette étude distribuent depuis un message style « pensée unique » selon lequel les diurétiques sont le traitement de première intention de l’hypertension artérielle. Cette nouvelle analyse des données de l’étude leur permet de renouveler ce message en disant que leur message est vrai quelle que soit l’origine ethnique des patients inclus. La lecture attentive de ce nouvel article et du remarquable éditorial qui l’accompagne permet une interprétation, non pas contradictoire, mais un peu plus distanciée de ces résultats.   Un effectif inégalé L’étude ALLHAT a deux grandes originalités, sa taille, avec plus de 40 000 hypertendus, et la proportion de sujets noirs (35 %). Ces deux caractéristiques et le très grand nombre d’événements observés permettent de faire des analyses de chacun des groupes de traitement puis des analyses en fonction de l’ethnie des sujets. Les données du groupe alphabloquant, interrompu précocement, ne sont pas analysées ici. Résultats selon la couleur de la peau   Sur le critère de jugement principal, il n’y a pas de différence entre les trois groupes de traitement tant chez les Noirs que chez les Blancs. Un événement coronaire mortel ou non est survenu chez 9,6, 9,5 et 10,3 % des sujets noirs sous chlortalidone, amlodipine ou lisinopril. Chez les sujets non Noirs, les chiffres sont 12,5, 12,2 et 11,9 %. On note déjà sur ce résultat que le groupe lisinopril « gagne » chez les non Noirs et « perd » chez les Noirs. La mortalité totale est la même dans les trois groupes tant chez les noirs que chez les non noirs. Il en va de même pour la mortalité cardio-vasculaire. Les différences apparaissent pour les AVC ; chez les Noirs, les chiffres sont 6,0, 5,7 et 8 % sous chlortalidone, amlodipine et lisinopril. Le surcroît de risque est significatif en défaveur du groupe lisinopril. Chez les non Noirs cette différence ne se retrouve pas : 5,4, 5,2 et 5,3 %. Autre différence, la fréquence des insuffisances cardiaques nécessitant une hospitalisation : 5,5, 7,9 et 7,1 % chez les sujets noirs avec une différence significative en défaveur des groupes amlodipine et lisinopril. Dans le groupe des non Noirs, les chiffres sont 7, 8,7 et 6,7 %. À nouveau, l’amlodipine perd face à la chlortalidone mais plus le lisinopril. Il faut donc essayer de comprendre deux phénomènes : un surcroît de risque d’AVC et d’insuffisance cardiaque sous IEC chez les Noirs et un surcroît de risque d’insuffisance cardiaque sous amlodipine chez les Blancs et chez les Noirs.   Quelle interprétation ? L’explication pour le lisinopril est tout à fait simple. Tout au long de l’étude, la pression artérielle a été aussi bien contrôlée sous lisinopril que sous chlortalidone chez les non Noirs. En revanche, chez les Noirs, il y a eu une différence constante de 4 mmHg pour la pression systolique et de 1 mmHg pour la pression diastolique. Les auteurs se livrent à un exercice statistique d’ajustement des résultats sur la différence de pression artérielle et disent que cette différence n’explique pas tout. Quel que soit le sérieux de cet exercice, il ne me convainc pas ; la pression artérielle enregistrée au repos pendant les consultations périodiques n’est qu’un reflet fort imparfait du contrôle tensionnel. Je préfère regarder les données de façon simple : – chez les non Noirs : pas de différence de pression artérielle, pas de différence sur les événements cliniques ; – chez les Noirs : forte différence de contrôle de pression artérielle et forte différence sur les événements cliniques. Cette interprétation est renforcée par les données d’autres études ; dans l’étude CAPPP (CAPtopril Prevention Project), le groupe captopril avait eu un moins bon contrôle tensionnel à la suite de violations du protocole, et le résultat le plus net était une différence significative sur la fréquence des AVC. À l’inverse, dans l’étude australienne comparant un traitement à base d’IEC à un traitement conventionnel, il n’y avait pas de différence quant au contrôle tensionnel et pas non plus de différence sur la fréquence des AVC. Il reste à expliquer pourquoi les IEC contrôlent moins bien la pression artérielle chez les Noirs que chez les non Noirs. Cette notion a été montrée à plusieurs reprises ; plusieurs explications ont été avancées mais la plus probable est à rechercher dans des différences alimentaires et socio-économiques : la consommation de sel est plus importante chez les Noirs que chez les non Noirs, de même que la possibilité pratique de respecter un régime pauvre en sel est d’autant plus improbable qu’on consomme plus d’aliments en conserves. Les auteurs de l’étude ALLHAT tirent la conclusion qu’il faut utiliser les diurétiques pour traiter les sujets noirs ; j’aurais plutôt tendance à dire que si l’on envisage d’utiliser les IEC, les bloqueurs de l’angiotensine ou les bêtabloquants chez les sujets noirs, il faut le faire en association aux diurétiques. Il faut aussi expliquer la différence quant à l’incidence des insuffisances cardiaques. Cette différence est observée chez les Noirs sous lisinopril mais pas chez les non Noirs. Une fois de plus, la différence de contrôle tensionnel est probablement l’explication. En revanche, le surcroît de risque est observé sous amlodipine chez tous les sujets. L’examen des courbes de survenues des événements insuffisance cardiaque et les données fournies par les auteurs permettent de hasarder une explication. Au cours de la première année de traitement, il y a eu 2 à 3 fois plus d’événements insuffisance cardiaque dans les groupes amlodipine ou lisinopril comparativement au groupe chlortalidone. Au-delà de la première année, il n’y a plus ce surcroît de risque dans les groupes lisinopril (Blancs ou Noirs). Dans le sous-groupe des Noirs, la différence acquise au cours de la première année se maintient pendant les 6 années de suivi. Dans le groupe des non Noirs, les courbes de survenue de l’événement insuffisance cardiaque se rejoignent pour arriver à une stricte égalité entre lisinopril et chlortalidone au bout de 6 ans. En revanche, dans les groupes amlodipine, les courbes continuent à diverger mais beaucoup moins vite qu’au cours de la première année : l’augmentation du risque n’est plus que de 20 % et à la limite de la signification statistique.   Une augmentation initiale de l’insuffisance cardiaque liée au protocole Pourquoi observe-t-on, dans les mois qui suivent le début du traitement par le lisinopril ou l’amlodipine, une augmentation brutale des poussées d’insuffisance cardiaque ? Les dossiers d’enregistrement des médicaments de cette classe et les précédentes études cliniques ne font pas état d’un tel phénomène. La réponse est probablement à chercher dans le protocole lui-même. Rappelons que 90 % des patients inclus étaient des hypertendus traités ; après tirage au sort, on a débuté le traitement assigné par le sort sans autorisation de donner des diurétiques aux patients des groupes amlodipine et lisinopril. Dans l’année qui a suivi, on a observé 1 % d’événements insuffisance cardiaque dans le groupe chlortalidone et 2,5 % dans le groupe lisinopril et amlodipine. On peut raisonnablement émettre l’hypothèse que certains de ces hypertendus traités antérieurement par des diurétiques n’ont pas apprécié de se retrouver privés de ces produits qui sont indiscutablement les plus efficaces pour prévenir les poussées d’insuffisance cardiaque. Je dirais même que le résultat aurait pu être pire. Cette explication de bon sens commence à faire son chemin tant dans la discussion de l’article du JAMA que dans l’éditorial d’accompagnement où les auteurs formulent extrêmement poliment que l’étude ALLHAT n’est pas un essai randomisé sur le traitement « initial » de l’hypertension — comme il est habituellement présenté — mais une étude de substitution de produits non décrits jusqu’à présent par des produits bien décrits décidés par randomisation. Les mêmes auteurs soulignent que le choix des médicaments utilisés en deuxième ligne en cas d’efficacité insuffisante du traitement initial avait plus pour « objectif de préserver la pureté de l’essai que de se rapprocher de la pratique clinique habituelle ». Si l’ensemble des études disponibles montre que les inhibiteurs calciques sont associés à une augmentation modeste mais constante du risque d’insuffisance cardiaque, il semble déraisonnable d’étendre cette propriété aux IEC.   Que peut-on garder de cette nouvelle analyse des données importantes de cette énorme étude ? Une stratégie basée sur les diurétiques, et en particulier la chlortalidone, et utilisant les bêtabloquants comme traitement complémentaire a un rapport efficacité/tolérance qui n’a été surpassé dans aucun essai thérapeutique. Les deux cas où un traitement basé sur les sartans (étude LIFE) ou l’amlodipine (étude ASCOT) est gagnant sont des cas où le traitement initial de comparaison était le bêtabloquant, les diurétiques n’étant donnés qu’en deuxième intention. Il n’est pas impossible que l’ordre dans lequel sont donnés les médicaments ait une importance. Même si l’amlodipine et le lisinopril n’ont pas « battu » la chlortalidone, on peut relever que le protocole ne les favorisait pas. D’une part, on ne sait toujours pas quel était le traitement antérieurement reçu par les malades de ces deux groupes. D’autre part, l’interdiction qui était faite à ces patients de recevoir des diurétiques est loin de la pratique recommandée dans les consensus. Enfin, la réponse tensionnelle aux IEC dépend de la couleur de la peau. Voilà qui n’est pas totalement nouveau ; il faut donc chez ces patients se garder d’utiliser des bloqueurs du système rénine sans y associer des diurétiques. De même, lorsqu’on utilise les inhibiteurs calciques, il faut se méfier d’une dysfonction ventriculaire gauche sous-jacente et, en cas de doute, adjoindre des diurétiques. Voici donc les diurétiques à toutes les sauces ; traitement de base indiscutable ; traitement obligatoire en association avec les IEC chez les sujets noirs ; traitement obligatoire en association aux inhibiteurs calciques dès qu’existe une suspicion de dysfonction VG. Mais l’étude ALLHAT ne permet pas d’aller plus loin et ne disqualifie certainement pas l’amlodipine et le lisinopril, qui, dans des conditions défavorables voulues par le protocole, ont fait jeu égal sur le critère de jugement principal et la mortalité.

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