Publié le 27 fév 2007Lecture 8 min
Thérapeutiques antiangiogéniques : effets cardiovasculaires
M. AZIZI, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris,
Les Journées d'HTA
Les antiangiogéniques sont de plus en plus prescrits en cancérologie car ils ciblent spécifiquement les cellules endothéliales génétiquement stables et permettent ainsi d’éviter la résistance généralement induite par les tumeurs. Différents antiangiogéniques sont actuellement disponibles en cancérologie. Ce sont le plus souvent des molécules cytostatiques.
Le bévacizumab (Avastin®) inhibiteur du VEGF
Il s’agit d’un anticorps humanisé composé de 93 % de séquences humaines et 7 % de séquences murines. Il est administré par voie intraveineuse. Les données pharmacocinétiques montrent l’absence d’accumulation, des cinétiques linéaires entre 0,3 et 10 mg/kg et une demi-vie d’environ 21 jours, avec une distribution extravasculaire limitée (J Clin Oncol 2001 ; 19 : 843-50). Le bévacizumab est actuellement développé dans les cancers du côlon métastatique, du poumon métastatique, du pancréas avancé et du rein métastatique. Cette molécule s’accompagne d’une prolongation de la survie dans le cancer du côlon et du poumon métastatique, et montre un intérêt en termes de survie sans progression dans le cancer du pancréas et du cancer du rein métastatique.
D’autres molécules ciblant le VEGF-R sont en cours d’évaluation. Certaines sont en phase III comme le SU 11248 (Sutent®) le sorafénib (Nexavar®) et le BAY43-9600. Ces molécules qui agissent sur le récepteur VEGF (inhibiteurs des tyrosines kinases) sont multicibles.
Le blocage du VEGF chez l’homme se traduit par des effets cardiovasculaires et rénaux.
L’HTA
• Par ordre de fréquence, le premier effet secondaire rapporté avec le bévacizumab est l’apparition d’une HTA dose-dépendante (RR : 3-5 pour les faibles doses et RR : 8-10 pour les fortes doses), le plus souvent de grade III (définie dans certaines études par la nécessité d’augmenter le traitement antihypertenseur en cours chez les hypertendus ou de débuter un traitement chez les patients qui n’étaient pas hypertendus avec le démarrage des anti-VEGF). Cette HTA est généralement contrôlable avec des thérapeutiques antihypertensives conventionnelles et fréquemment associée à une protéinurie (cf. infra). Elle semble réversible à l’arrêt du traitement anti-VEGF. L’analyse de la littérature est rendue difficile car les essais ne rapportent ni le mode de mesure de la pression artérielle, ni les valeurs tensionnelles, ni les critères utilisés pour définir l’HTA.
• Une hypertension artérielle a également été décrite au cours de l’administration orale du BAY43-9600 400 mg x 2/j (inhibiteur de c-RAF and b-RAF kinases et de VEGFR-2, VEGFR-3, FLT-3, c-kit et du PDGF récepteur in vitro). La PAS/PAD augmente de 20/10 mmHg chez tous les patients. Cette HTA ne semble pas en rapport avec une modification évidente des hormones régulatrices de la pression artérielle (catécholamines, endothéline, urotensine, rénine, aldostérone), ce qui suggére un effet propre de l’inhibition du VEGF. La qualité méthodologique de cette étude ne permet pas de conclure avec certitude sur les caractéristiques de l’HTA.
• Le sorafénib entraîne également une HTA associée à des troubles digestifs, une asthénie importante, parfois une diminution de la FEVG, une toxicité cutanée et un syndrome mains-pieds.
Mécanismes supposés des effets cardiovasculaires et rénaux des médicaments antiangiogéniques
Les effets hypertenseurs des anti-VEGF peuvent être analysés à la lumière des effets vasodilatateur et hypotensif du VEGF.
Ainsi, au cours de l'essai VIVA, mené chez 178 patients ayant un angor d'effort stable avec des lésions coronariennes non accessibles à une revascularisation, l'administration de VEGF recombinant par injection intracoronaire et intraveineuse a réduit la pression artérielle systolique de l'ordre de 20 %. Cette baisse de pression artérielle s'est accompagnée d'épisodes de flush dépendants de la dose.
Chez le rat spontanément hypertendu ainsi que chez le rat normotendu, l'administration aiguë et chronique de VEGF abaisse la pression artérielle ; le mécanisme en est une stimulation de la production de NO, dépendant de l'endothélium. La vasodilatation et l'hypotension induites par le VEGF sont médiées par le récepteur VEGF-R2.
L'administration d'un adénovirus exprimant un antagoniste du VEGF élève la pression artérielle de 89 à 137 mmHg chez les rats normotendus, suggérant que le VEGF puisse avoir un effet tonique sur la pression artérielle.
Peu d'études chez l'homme se sont intéressées aux mécanismes de l'élévation de la pression artérielle induite par ce type de molécule. Il s'agit généralement d'études portant sur de petits effectifs de malades. Une première étude réalisée avec un inhibiteur actif par voie orale bloquant le VEGF-R2 et le VEGF-R3 et d'autres cibles chez des patients ayant un cancer a montré que l'élévation de la pression artérielle apparaît assez rapidement, dans les trois semaines suivant le début du traitement, et qu'elle est marquée (de l'ordre de 20 mmHg pour la pression artérielle systolique [PAS] et de 9 mmHg pour pression artérielle diastolique[PAD]). L'élévation de la pression artérielle semble s'accompagner d'une altération de la vasodilatation dépendante et indépendante de l'endothélium. Sur le plan biologique, ce type de molécule ne s'accompagne pas d'activation du système rénine-angiotensine aldostérone, ni d'activation du système des endothélines, de l’urotensine ou des catécholamines. L'étude réalisée par J.-J. Mourad (Bobigny) en collaboration avec B. Levy (Paris) montre qu'après six mois, les patients ont une raréfaction du nombre de capillaires cutanés induit par le bévacizumab (anticorps anti-VEGF), raréfaction qui est dépendante de la dose cumulée du médicament.
Les mécanismes potentiels sous-jacents au développement d'une HTA à un antagoniste du VEGF sont les suivants :
• réduction de la production de NO ou de sa fonction,
• réduction de la capacité de l'endothélium à réagir à des stimuli vasodilatateurs,
• augmentation de l'activité des stimuli vasoconstricteurs,
• réduction du nombre d'artérioles et des capillaires,
• altération structurale des lits microvasculaires,
• réduction de la compliance des vaisseaux et de leur distensibilité.
En pratique
Les recommandations pour la prise en charge de patients sous anti-VEGF sont les suivantes :
surveiller la pression artérielle fréquemment toutes les deux à trois semaines (bonne indication de l'automesure tensionnelle) ;
ce type de médicament ne devrait pas être instauré chez des patients ayant une HTA non contrôlée ;
si l'HTA ne peut pas être correctement contrôlée en utilisant des doses standard de thérapeutiques antihypertensives, le traitement par anti-VEGF devrait être interrompu ;
le traitement doit être interrompu de façon permanente si un patient a une HTA maligne ;
il faut éviter les médicaments (diltiazem) susceptibles d'interférer avec les cytochromes en particulier de la famille du 3 à 4.
La protéinurie
Le deuxième événement indésirable est la protéinurie, dont l’apparition est également dose-dépendante (RR : 1-1,5 pour les faibles doses et RR : 2-3 pour les fortes doses), avec un risque absolu plus élevé pour le cancer du rein. Elle semble isolée sans hématurie ni insuffisance rénale. Elle est le plus souvent jugée non cliniquement significative (bien que le débit de protéinurie ne soit jamais rapporté) et asymptomatique, pouvant apparaître à n’importe quel moment de l’évolution et généralement associée avec une HTA. Des cas de syndromes néphrotiques isolés sont rapportés. La protéinurie semble aussi réversible à l’arrêt du traitement anti-VEGF. À nouveau, l’analyse de la littérature est rendue difficile car les essais ne rapportent ni le débit de protéinurie, ni la fonction rénale.
Mécanismes de l'atteinte rénale sous traitement antiangiogénique
Le VEGF ainsi que ses récepteurs sont exprimés au niveau des glomérules, en particulier au niveau des cellules endothéliales adjacentes et des podocytes. Les animaux ayant une inactivation complète du gène du VEGF-A sous forme monozygote décèdent à la naissance ou dans les 18 heures suivant la naissance. Histologiquement, il n'y a pas de formation de barrière glomérulaire, et les cellules endothéliales ne sont pas fenestrées. Les animaux hétérozygotes développent, quant à eux, un syndrome néphrotique et une insuffisance rénale dans les 9 semaines qui suivent la naissance. Histologiquement, on observe la présence de glomérules distordus, avec des vacuoles cytoplasmiques vides dans les podocytes et l’absence d'anses capillaires. En microscopie électronique, il y a perte des fenestrations, nécrose des cellules endothéliales et disparition des processus podocytaires. Les deux lésions majeures sont une endothéliolyse ainsi qu'une mésangiolyse. Enfin, l'administration d'anticorps anti-VEGF chez la souris induit une protéinurie d'apparition rapide, avec des lésions des cellules endothéliales glomérulaires marquées ainsi qu'une suppression de la néphrine qui est une protéine qui joue un rôle majeur dans l'équilibration du processus du diaphragme de fente.
En pratique
Les recommandations pour la prise en charge des patients sont les suivantes :
Surveiller régulièrement la présence d'une protéinurie à la bandelette. Si la bandelette est positive, mesurer la protéinurie des 24 heures ;
La thérapeutique anti-VEGF doit être interrompue chez les patients qui développent une protéinurie de plus de 2 g/24 heures.
La thérapeutique anti-VEGF devrait être totalement discontinuée chez les patients qui développent un syndrome néphrotique nécessitant une biopsie rénale.
Le nombre de patients traités par anti-VEGF étant croissant, il est attendu que ce type de complications tensionnelle et rénale devienne de plus en plus fréquent. Une prise en charge conjointe cardiovasculaire, rénale et oncologique s'avère donc nécessaire chez ces patients.
Événements thrombotiques et hémorragiques
Il ne semble pas y avoir de risque accru d’accidents thromboemboliques veineux chez ces patients dont le risque spontané est déjà élevé.
En revanche, une analyse poolée de plusieurs essais (1 745 patients) suggère que le bévacizumab pourrait favoriser la survenue d’événements ischémiques coronariens et cérébrovasculaires (RR : 2) mais l’incidence de ces événements est rare (2-3 %). Il n’existe pas apparemment de relation dose/effet sur cet effet indésirable. Finalement, dans les cancers du côlon métastatiques, le bévacizumab a entraîné une très forte augmentation de l’incidence (RR : 6) des incidents hémorragiques (épistaxis ou hémorragie gastro-intestinale).
Autres effets secondaires
Des troubles digestifs de type diarrhées et vomissements sont observés sous bévacizumab.
À noter que, chez les patients traités par ces différents médicaments, ont été rapportés, outre l’HTA et des troubles digestifs, des sensations de froid aux extrémités, des hypoesthésies, des rhinorragies et un cas d’encéphalopathie réversible.
• Les traitements antiangiogéniques de plus en plus utilisés en cancérologie doivent être connus des cardiologues en raison de leurs possibles complications vasculaires et rénales.
• Il faudra fréquemment dépister une HTA (l’automesure a une bonne place) et rechercher une protéinurie.
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