Coronaires
Publié le 11 mar 2008Lecture 8 min
Traitement antiagrégant chez le coronarien : que conseiller à l'anesthésiste ?
P. ALBALADEJO, CHU Henri Mondor, Créteil
En quelques années, la gestion périopératoire des patients traités par agent antiplaquettaire a considérablement évolué pour deux raisons :
• la prise de conscience que l’arrêt de ces médicaments est associé à des accidents coronariens, en particulier chez les patients stentés ;
• une meilleure maîtrise du risque hémorragique associé aux gestes invasifs réalisés sous agent antiplaquettaire.
Le rôle de l’anesthésiste dans cette gestion du double risque hémorragique et thrombotique est d’appliquer des stratégies d’arrêt ou de maintien des agents antiplaquettaires en fonction de l’importance relative de ces risques et en toute collégialité avec les cardiologues et les opérateurs.
Le rôle de l’anesthésiste dans la gestion des médicaments antiplaquettaires est d’accorder les impératifs de la chirurgie en termes de risque hémorragique avec les impératifs médicaux qui justifient le traitement par des médicaments antiplaquettaires (figure 1).
Figure 1. Gestion du double risque.
Risque hémorragique d’un acte invasif sous agents antiplaquettaires
Le risque hémorragique chez un patient traité par un médicament antiplaquettaire, opéré de chirurgie non cardiaque, reste mal défini et n’est pas évalué objectivement pour chaque type de chirurgie. Le recul le plus important concerne l’aspirine. Dans certaines chirurgies, la question ne se pose pas en raison du risque hémorragique majeur. C’est par exemple le cas de la chirurgie intracrânienne. Pour d’autres chirurgies, l’aspirine encadre la stratégie chirurgicale (chirurgie carotidienne), ou a été évaluée pour prévenir les complications thrombotiques veineuses : c’est le cas de la chirurgie orthopédique (prothèse totale de hanche, fracture du col du fémur). Ces études ont permis de mesurer le risque hémorragique lié au maintien de l’aspirine. Mais dans l’immense majorité des chirurgies, il existe peu de données. La possibilité de réaliser une chirurgie sous médicaments antiplaquettaires dépend des capacités à réaliser une hémostase chirurgicale satisfaisante (résection endoscopique de prostate) ou bien d’utiliser une technique particulière (photocoagulation laser) et des conséquences d’un événement hémorragique (hématome de paroi, transfusion, risque infectieux, reprise chirurgicale).
Aspirine
Une revue et métaanalyse de Burger et coll. a comparé les conséquences cardiovasculaires et hémorragiques périopératoires des stratégies d’arrêt ou de maintien de l’aspirine. Quarante et une études ont été analysées (12 observationnelles rétrospectives, 19 observationnelles prospectives, 10 randomisées). Les études analysées décrivent les risques de complications principalement pour les gestes dermatologiques, d’endoscopie digestive, d’ophtalmologie, d’orthopédie, d’urologies, de chirurgie vasculaire. Les critères de jugement sont très hétérogènes et souvent spécifiques du geste invasif. Cette revue montre que le risque de complication hémorragique sous aspirine pour la chirurgie superficielle (biopsie cutanées, etc.) est nul, et que le risque est plus important pour la biopsie de prostate.
L’étude la plus importante sur l’exposition délibérée des patients à l’aspirine en périopératoire est l’étude PEP (Pulmonary Embolism Prevention). Dans le bras actif, 160 mg d’aspirine étaient administrés avant l’intervention (chirurgie de la hanche, n = 17 444) dans le but de prévenir la survenue d’événements thromboemboliques veineux. Il n’a pas été observé de surmortalité par excès de risque hémorragique. En revanche, une augmentation de la fréquence des saignements digestifs a été observée. L’étude a mis en évidence une diminution du taux d’hémoglobine de 2 g/dl et une augmentation des besoins transfusionnels (53 ml en moyenne), en particulier chez les patients recevant une héparine de façon concomitante.
Thiénopyridines
Le risque hémorragique lié à la chirurgie sous clopidogrel est mal documenté en dehors de la chirurgie cardiaque. Le risque de saignement associé au clopidogrel combiné à l’aspirine a été évalué dans la chirurgie du pontage coronaire dans l’étude CURE (Clopidogrel in Unstable angina to prevent Recurrent ischemic).
Les auteurs ont constaté que le risque de saignement est clairement augmenté chez les patients qui ont continué le clopidogrel jusqu’à l’intervention. Le saignement était nettement moindre chez les patients qui avaient arrêté le clopidogrel au moins 5 jours avant l’intervention.
Hormis ces quelques études, il n’existe pas d’autres données concernant la chirurgie sous clopidogrel. Plusieurs séries de cas cliniques ont été publiés montrant l’hétérogénéité des réponses en termes de saignement.
Risque thrombotique à l’arrêt des médicaments antiplaquettaires
Un risque théorique de rebond de l’agrégabilité plaquettaire à l’arrêt des médicaments antiplaquettaires existe. La période périopératoire constitue aussi en soi une période à haut risque de thrombose artérielle en raison d’une hyperagrégabilité plaquettaire, une hypofibrinogénémie et une diminution de la fibrinolyse. Dans ce contexte, un arrêt des agents plaquettaires chez un malade atteint d’athérosclérose peut précipiter la survenue d’un événement thrombotique artériel aigu.
Chez les patients coronariens stables, l’arrêt des médicaments antiplaquettaires qu’il soit simple, motivé par un événement médical, ou programmé pour réaliser un geste chirurgical a été associé à un risque d’événement thrombotique.
Collet et coll., dans une cohorte de 1 358 patients consécutifs admis pour syndrome coronaire aigu, ont montré qu’il existe un groupe de patients (73 patients) chez qui un arrêt récent des médicaments antiplaquettaires était observé. Chez 20 d’entre eux, l’interruption des médicaments antiplaquettaires était spontanée. Chez 47 patients, les médicaments antiplaquettaires ont été interrompus pour permettre de réaliser un acte chirurgical (principalement de chirurgie vasculaire). Chez l’ensemble de ces patients, la durée moyenne d’interruption avant la survenue de l’accident était de 11,9 jours. Cette durée rend compatible l’imputabilité des mécanismes biochimiques impliqués dans le rebond d’hyperagrégabilité plaquettaire dans la survenue d’une thrombose artérielle.
Le cas particulier des patients porteurs de stents coronaires
Dans la problématique générale de la gestion périopératoire des médicaments antiplaquettaires, les stents coronaires ont une place particulière. La prévention de la thrombose d’un stent coronaire est un enjeu majeur car associé à un infarctus transmural et une mortalité élevée. Lorsque les médicaments antiplaquettaires sont interrompus, le risque de thrombose de stent est différent selon le type de stent (pharmacoactif ou nu) et le délai par rapport à la mise en place du stent.
Stents nus
Deux études ont permis d’alerter sur le risque de thrombose de stents chez les patients porteurs de stents nus à l’arrêt des APP et de délimiter cette période à risque : Kaluza et coll. rapportent une série impressionnante de patients opérés de chirurgie non cardiaque dans les deux semaines après la mise en place d’un stent nu métallique. Wilson et coll. ont recensé 8 infarctus du myocarde ou thrombose de stent nu métallique (4 % des patients) parmi 207 patients chez qui un stent a été mis en place dans les deux mois qui ont précédé une intervention de chirurgie non cardiaque. Le stent coronaire avait été mis en place chez ces 8 patients dans les six semaines précédant la chirurgie, alors qu’aucune complication n’avait été enregistrée chez les patients chez qui le délai entre la chirurgie non cardiaque et la mise en place du stent était situé entre sept et neuf semaines.
Ces cohortes ont permis de délimiter la période à haut risque de thrombose de stent à l’arrêt des médicaments antiplaquettaires à environ six semaines après la mise en place du stent.
Stent pharmacoactif
Plusieurs séries de cas ont alerté du risque de thrombose de stents actifs à l’arrêt des médicaments antiplaquettaires dans la période périopératoire. La plupart de ces cas sont survenus au-delà de la période des 6 semaines après la mise en place du stent actif.
On distingue deux catégories de patients :
– ceux qui ont interrompu les médicaments antiplaquettaires pour des raisons chirurgicales. Le plus souvent, l’aspirine et le clopidogrel sont interrompus simultanément ;
– ceux qui ont interrompu le clopidogrel et ont continué l’aspirine, soit pour un problème d’observance, soit sur prescription.
Ces cas de thromboses de stent sont survenus sur une période allant jusqu’à plus de 2 ans après la mise en place du stent. Dans les cas où les patients étaient porteurs de stents nus et de stents actifs, c’est sur le stent actif que la thrombose se produisait. Lorsque les deux médicaments antiplaquettaires étaient arrêtés simultanément, le délai de survenue de la thrombose de stent était généralement inférieur à 10 jours.
Schouten et coll., partant d’une cohorte de 574 patients stentés, ont retrouvé 192 patients opérés de chirurgie non cardiaque dans les 2 ans (33 %) suivant la pose de stent. Parmi ces patients, 5 ont présenté une thrombose de stent, 4/5 avaient été opérés précocement, et avaient tous arrêté les antiplaquettaires avant la chirurgie.
Stratégies de gestion des agents antiplaquettaires
Pour apprécier au mieux le risque lié à la gestion périopératoire des médicaments antiplaquettaires, il est indispensable de pouvoir déterminer précisément les risques liés au maintien et ceux liés à l’arrêt des médicaments antiplaquettaires. Il n’existe pas de données solides pour rationaliser ces attitudes. Une étude comparant une stratégie de maintien ou d’interruption de l’aspirine en chirurgie non coronaire (STRATAGEM) est en cours (http://clinicaltrials.gov). En attendant le résultat de cette étude, on peut envisager différentes options en fonction du risque hémorragique lié à la chirurgie.
Chez les patients à risque thrombotique intermédiaire (prévention secondaire, pas de stents), la chirurgie sous aspirine est souhaitable. Chez les patients traités par clopidogrel seul, un relais par aspirine peut être proposé si la chirurgie est réalisable sous aspirine. Lorsque cela est impossible, un arrêt des médicaments antiplaquettaires est envisagé. Il peut être simple, sans substitution, aussi court que possible (quelques jours pour l’aspirine, en considérant que chaque jour, 10 % du pool plaquettaire est renouvelé). Une substitution par du flurbiprofène ou une HBPM à dose curative a été proposée. Cependant, cette attitude n’est pas validée dans ce contexte et ne protège pas du risque d’un événement thrombotique chez ces patients. La substitution a par ailleurs l’inconvénient majeur d’allonger la durée d’interruption du traitement antiplaquettaire, avec une fausse impression de sécurité.
Chez les patients porteurs de stents nus, une fenêtre allant de la 6e semaine au 3e mois pour envisager une intervention non urgente semble raisonnable. Comme signalé précédemment, cette règle n’est cependant pas idéale puisque des cas de thrombose de stent à l’arrêt des médicaments antiplaquettaires sont décrits au-delà de la période des 6 semaines. Le maintien des médicaments antiplaquettaires en périopératoire devrait donc être envisagé. Un arrêt des médicaments antiplaquettaires peut être proposé avec ici encore une réserve sur l’efficacité de cette mesure.
Chez les patients porteurs de stents actifs, le risque de thrombose de stent semble très important 6 mois à un an après la mise en place du stent. Le report d’une chirurgie non réalisable sous aspirine doit être envisagé en priorité. Si cela n’est pas possible, un arrêt des médicaments avec substitution est une solution à haut risque. Au-delà de la première année, le risque de thrombose de stent est toujours présent.
Dans tous les cas, la reprise précoce des médicaments antiplaquettaires en postopératoire est un point clé pour prévenir le risque d’événement cardiovasculaire. Cette reprise dépend du caractère hémorragique de la chirurgie et en tenant compte du risque de récidive de saignement postopératoire basé sur l’examen clinique et/ou le débit des drainages. Il est important d’administrer une dose de charge d’aspirine ou de clopidogrel afin d’obtenir un effet rapide sur l’agrégabilité plaquettaire.
Des recommandations spécifiques pour la gestion périopératoire des agents antiplaquettaires chez les patients porteurs de stents coronaires ont été élaborées en 2006 par un groupe de travail (www.sfar.org).
Pour ces patients, la difficulté des choix, la fragilité des stratégies et la gravité potentielle des événements imposent plus encore que les prises de décision soient collégiales et consignées dans le dossier médical.
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