Publié le 02 fév 2005Lecture 7 min
Traitement antithrombotique - Dernières recommandations nord-américaines et pratiques françaises
I. ELALAMY, hôpital de l’Hôtel-Dieu, Paris
Conférence de Consensus de l’ACCP (American College of Chest Physicians)
Les recommandations de la 7e Conférence de Consensus de l’ACCP (American College of Chest Physicians), publiées dans le numéro spécial de la revue Chest en septembre 2004, ont été discutées par un panel d’experts français lors d’une réunion organisée par le groupe GITA (Groupe Interdisciplinaire Trousseau sur les Antithrombotiques) de l’Hôtel-Dieu à Paris.
La réunion de consensus nord-américaine a eu lieu classiquement à Phoenix dans l’Arizona (depuis 1986) et a réuni plus de 100 participants de diverses spécialités dont quelques rares Européens pour rédiger ces nouvelles recommandations fondées sur les preuves (evidence based recommendations) pour l’utilisation des antithrombotiques. Ce travail considérable a permis d’établir un document de référence comportant plus de 560 pages et plus de 2 500 références bibliographiques avec un index thématique.
La réunion du groupe GITA s’est tenue après plusieurs étapes préparatoires. Tout d’abord, la désignation par les comités d’organisation et scientifiques de huit groupes de travail multidisciplinaires relatifs à chaque chapitre, regroupant un panel d’experts français qui ont analysé et discuté les recommandations ainsi proposées. Chaque groupe a alors adressé ses commentaires et remarques au coordinateur nord-américain du chapitre en question. Chaque rédacteur a répondu à son tour. Avec une audience de plus de 300 personnes, la réunion du GITA a alors permis une discussion et un échange entre les experts français et étrangers présents dans la salle et, via une visioconférence en direct de Hamilton, avec J. Hirsch et d’autres collègues impliqués dans la rédaction de ces recommandations.
Cette journée a été l’occasion d’un échange fructueux et dense d’experts qui se sont attachés à souligner les éventuelles discordances avec les attitudes françaises, l’adéquation avec les recommandations existantes des diverses sociétés savantes ou des autorités de santé françaises et européennes, et surtout leur applicabilité en pratique quotidienne. Les synthèses des discussions et les traductions des recommandations nord-américaines seront publiées très prochainement.
Méthodologie pour l’établissement des grades de recommandations
Les méthodologistes, assistés de praticiens spécialisés et généralistes, ont évalué systématiquement les preuves, considéré toute la portée des bénéfices, des risques, des inconvénients et des coûts associés aux stratégies proposées de prise en charge et, bien entendu, l’intérêt des patients, pour l’établissement de ces recommandations. Les améliorations apportées à l’établissement des recommandations de cette dernière conférence de l’ACCP consistent en une définition plus explicite des questions ou contextes, la transparence des critères d’éligibilité des études retenues et la spécification des intérêts et de la pertinence des recommandations.
Conjointement aux pratiques classiques de gradation des recommandations selon la puissance et la qualité méthodologique des études les supportant, la puissance d’une recommandation est basée sur la balance entre les bénéfices d’un traitement et les risques, les contraintes et les coûts engendrés.
Principaux commentaires du groupe de travail français
J.-P. Bassand, B. Charbonnier, N. Danchin, G. Helft, G. Montalescot, G. Steg, E. Van Belle
La gradation proposée par l’ACCP est différente de celle des autres conférences de consensus type ACC, ESC ou AHA, et cela peut déconcerter les cardiologues. Bien entendu, depuis la réunion de Phoenix, d’autres études cliniques importantes ont été publiées et leurs résultats impliquent déjà une actualisation de certaines propositions.
Ainsi, en cas de symptomatologie d’infarctus du myocarde ou de défaillance hémodynamique évoluant depuis 12 à 24 heures, avec décalage du segment ST ou bloc de branche gauche, l’administration d’une fibrinolyse intraveineuse est suggérée (grade 2B) (recommandation 1.1.7). Le groupe français souligne que cela est une éventualité en cas d’impossibilité d’une procédure d’angioplastie reconnue plus efficace dans ce contexte.
Alors qu’il est proposé d’associer de l’héparine non fractionnée au traitement par streptokinase (Grade 2A, recommandation 2.3.1.), le groupe français rappelle les données des études ISIS3, GISSI2 et GUSTO ; cette association n’est qu’optionnelle selon les recommandations des sociétés de cardiologie. En revanche, elle est tout à fait licite avec les autres agents fibrinospécifiques.
La recommandation 2.4.1., relative à l’utilisation conjointe de la ténectéplase et de l’énoxaparine chez les sujets âgés de moins de 75 ans à la fonction rénale préservée, est difficile à appliquer (Grade 2B). En effet, en pratique clinique, la qualité de la fonction rénale est rarement connue dès l’admission.
En cas d’IDM aigu sans décalage du segment ST, il est recommandé d’administrer de l’aspirine à la posologie de 75 à 325 mg, puis 75 à 162 mg quotidiennement (Grade 1A, recommandation 1.1.1). Le groupe remarque que 75 mg est une dose trop faible à cette phase aiguë pour assurer l’optimum thérapeutique.
De même, chez les patients ayant un syndrome coronarien aigu sans décalage du segment ST, chez lesquels le cathétérisme à visée diagnostique est différé ou le pontage coronarien est prévu plus de 5 jours après l’angiographie coronaire, il est recommandé d’administrer une dose de charge de 300 mg de clopidogrel suivi d’une posologie quotidienne de 75 mg pendant 9 à 12 mois, en association à l’aspirine (Grade 1A, recommandation 1.1.2.2). Le caractère excessif de cette recommandation est souligné en termes de durée, puisqu’il est préconisé durant 9 mois suite à l’étude CURE, et en termes de niveau de preuve, puisque les autres sociétés de cardiologie n’ont accordé qu’un grade 1B à cette proposition.
Chez ces mêmes patients chez lesquels l’angiographie est prévue dans un délai rapide (≤ 24 h), il est suggéré de ne débuter le clopidogrel qu’après l’analyse de l’anatomie coronaire (Grade 2A, recommandation 1.1.2.3.). Le clopidogrel est un traitement de première ligne en pratique (recommandations de l’ESC). Dans ces conditions, les patients ne bénéficieront pas de l’administration préalable du clopidogrel pourtant reconnue plus efficace dans ce contexte (études CREDO et CURE PCI).
Chez les patients sous clopidogrel et devant bénéficier d’un pontage coronarien, il est recommandé de suspendre le traitement 5 jours avant le geste chirurgical prévu (Grade 2A, recommandation 1.1.2.4.). Là encore, ce niveau de preuve est surestimé puisqu’une seule étude relate cela et un grade 2B est proposé par le groupe français.
Par ailleurs, l’excès d’hémorragies postopératoires en cas de chirurgie avec un arrêt de moins de 5 jours n’est pas statistiquement significatif (CURE). Un récent travail de Fox et coll. publié dans la revue Circulation confirme cela, quelle que soit la date de revascularisation chirurgicale.
Concernant la poursuite du traitement par HBPM en cas d’angioplastie chez ces patients (Grade 2C, recommandation 1.2.2.3), les experts nationaux regrettent qu’un niveau de preuve supérieur ne soit pas accordé à cette proposition, surtout après les résultats de l’étude SYNERGY.
En cas de risque hémorragique accru ou de saignement sous aspirine, il est recommandé d’utiliser de plus faibles posologies d’aspirine (≤ 100 mg) (Grade 1C+, recommandation 2.1.2). Cette recommandation est jugée peu réaliste et le clopidogrel serait une meilleure alternative.
Chez les patients en angor stable mais à risque élevé d’IDM, il est suggéré un traitement au long cours associant aspirine et clopidogrel (Grade 2C, recommandation 3.1.2). Cette recommandation apparaît prématurée en attendant les données de l’essai CHARISMA. Dans l’étude MATCH, en revanche, il existe un excès d’accidents hémorragiques lié à l’utilisation prolongée de traitement combiné.
En cas d’angioplastie, chez les patients intolérants à l’aspirine, il est recommandé une dose de charge de clopidogrel (300 mg) ou de ticlopidine (500 mg) au moins 24 h avant le geste planifié (Grade 2C, recommandation 1.2.3.1). Les experts rappellent que les thiénopyridines ne sont une alternative à l’aspirine que chez les patients ne recevant pas de stent ; dans le cas contraire, il faut prescrire une association d’antiplaquettaires. Par ailleurs, la durée de traitement en cas de pose de stents coatés (sirolimus ou paclitaxel) reste débattue et une recommandation différente ou de haut grade est discutable.
Chez les patients bénéficiant d’un pontage coronaire, il est recommandé de débuter l’aspirine (75 à 325 mg/j) 6 heures après l’intervention plutôt qu’en préopératoire (Grade 1A, recommandation 1.1.1.2). Le groupe de travail français estime que ce niveau de preuve est excessif car basé sur une seule étude.
En fait, la question pratique la plus importante concerne surtout l’intérêt de l’interruption de l’aspirine avant l’intervention car il semblerait qu’il vaille mieux la maintenir dans ce contexte.
Chez les patients ayant un pontage après un syndrome coronarien aigu sans sus-décalage de ST, il est recommandé d’associer du clopidogrel (75 mg/j) pendant 9 à 12 mois à l’aspirine (Grade 1A, recommandation 1.1.6.2). Les experts soulignent que, si l’étude CURE a bien démontré le bénéfice de cette combinaison antiplaquettaire, il n’y a pas de mention spécifique concernant les patients ayant eu un pontage.
En cas d’indication de traitement anticoagulant oral chez ces patients pontés, tel qu’un remplacement valvulaire cardiaque, il est recommandé d’associer les AVK à l’aspirine (Grade 2C, recommandation 1.2.2). Le groupe français propose de rajouter comme indication « ou en cas de fibrillation auriculaire » pour être cohérent avec les autres recommandations.
Conclusion
La fréquence des réunions de consensus appuyées sur une riche bibliographie de ce document matérialise la croissance importante des travaux consacrés à la thrombose et aux antithrombotiques. Les progrès de nos connaissances et cette aide à la décision dans le choix des conduites pratiques fondées sur des preuves ou suggérées par d’éminents experts sont les garants de l’optimisation de la prise en charge de nos patients. La réunion du groupe GITA a permis de souligner les particularités de certaines spécialités et la nécessité d’une réactualisation régulière de ces attitudes.
Ce numéro de Chest 2004 apporte une analyse actuelle exhaustive, experte et objective, des situations cliniques et de leur prise en charge la plus appropriée. Véritable document de travail et d’enseignement incomparable, il devrait être adapté au contexte local et à l’arsenal thérapeutique disponible. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce genre de document est également lu avec intérêt par d’autres acteurs de procédures différentes : les avocats.
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