Prévention et protection
Publié le 29 avr 2008Lecture 8 min
Prévention cardiovasculaire - Une pratique quotidienne ingrate mais tellement efficace !
D. THOMAS, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris
À chacune de nos réunions médico-chirurgicales, nous sont présentés des résultats spectaculaires de la cardiologie interventionnelle. Ceux-ci constituent le quotidien de collègues maîtrisant admirablement une technologie dont les évolutions au cours de ces vingt dernières années ont fait la réputation de notre spécialité. Devant ces succès impressionnants et immédiatement gratifiants, comment ne pas avoir un sentiment de frustration concernant la pratique plus prosaïque, obscure et apparemment ingrate, de la prévention cardiovasculaire. En fait, il n’en est rien.
La prévention cardiovasculaire :
- est à l’origine de l’essentiel des progrès obtenus en termes de régression de la mortalité cardiovasculaire sur ces 20 dernières années ;
- est le domaine dans lequel il y a encore le plus de ressources à court terme pour améliorer la morbi-mortalité coronaire ;
- est la pratique cardiologique susceptible d’éviter le plus d’événements et de décès cardiovasculaires parmi les sujets les plus jeunes.
Un impact majeur et dominant sur la mortalité cardiovasculaire depuis vingt ans
Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire a publié en septembre 2007 les causes médicales de décès en France en 2004 et leur évolution de 1980 à 2004. Belle surprise ! Alors qu’elles étaient en première ligne depuis des décennies, les maladies cardiovasculaires ne représentent plus actuellement que la deuxième cause de mortalité des Français, derrière les cancers. Même si les progrès des traitements et en particulier l’explosion de la cardiologie interventionnelle ont certainement participé à cette évolution, le fait que les maladies cardiovasculaires restent cependant la première cause de mortalité chez les sujets > 65 ans signifie que sont évités essentiellement des décès cardiovasculaires précoces, ce qui est en faveur d’un rôle important de la prévention.
La prévention cardiovasculaire avait déjà largement fait la démonstration de son efficacité dans d’autres pays européens. En Finlande, ont été constatées entre 1972 et 1992 des baisses de la mortalité coronaire de l’ordre de 50 % et de l’incidence de l’infarctus du myocarde de 55 % chez les hommes et de 62 % chez les femmes. Ces résultats ont été essentiellement le fruit d’une campagne de prévention vis-à-vis des comportements alimentaires et du tabagisme, fortement soutenue politiquement. En Angleterre et au Pays de Galles, sur une réduction annuelle de près de 70 000 décès cardiovasculaires constatée en l’espace de vingt ans, environ les deux tiers sont liés à la seule prise en charge des trois facteurs de risque que sont le tabagisme, l’hypercholestérolémie et l’hypertension artérielle (figure 1). La part des modifications comportementales a été importante dans ce résultat. Ainsi, la seule baisse du tabagisme qui a été de 35 % pendant cette période est considérée comme responsable de 43 % de ces vies épargnées. Par ailleurs, dans cette analyse, plus de 8 décès sur 10 évités sont le fruit d’actions de prévention primaire. Une analyse semblable réalisée en Écosse également sur vingt ans, montre que plus de 50 % des décès cardiovasculaires évités sont aussi en rapport avec des mesures préventives et essentiellement en prévention primaire.
Figure 1. Baisse de la mortalité coronaire attribuable à la modification des facteurs de risque en Grande-Bretagne et au Pays de Galles entre 1981 et 2000 (nombre absolu de décès coronaires prévenus par an). Pendant cette période ont été constatées pour l’ensemble de la population une réduction du tabagisme de 35 %, de la cholestérolémie de 4,2 % et de la PAD de 7,7 %. (d’après Unal B. et al. BMJ 2005; 331; 614-9).
La prévention, un gisement encore nettement sous-exploité
Nombreuses sont les études prospectives d’intervention concernant l’hypertension artérielle, les dyslipidémies ou le diabète qui ont scientifiquement démontré l’efficacité d’approches médicamenteuses de la prévention. Réalisées et financées pour la plupart par l’industrie pharmaceutique, celles-ci ont bénéficié d’une forte publicité de leurs résultats, avec des applications dans la vie réelle assez bien corrélées avec l’intensité de cette médiatisation. Il est ainsi révélateur que le seul facteur qui ait favorablement évolué au fil des évaluations de la prévention secondaire dans l’étude EUROASPIRE soit la cholestérolémie, de façon parallèle à une utilisation croissante des statines. Tout cela est très bien et doit être valorisé, car ayant indiscutablement contribué à l’évolution épidémiologique constatée dans notre pays.
Bien qu’apportant des résultats aussi convaincants, les études concernant les effets de modifications « strictement comportementales », comme le sevrage tabagique, le respect de règles diététiques et l’accroissement de l’activité physique, sont beaucoup moins médiatisées et donc moins connues de la population et même des médecins :
– en prévention secondaire, le fait que, chez un coronarien stable avec des lésions coronaires significatives, un programme d’entraînement physique donne à 1 an d’aussi bons résultats qu’un traitement par angioplastie coronaire, avec même significativement moins d’événements, une meilleure capacité fonctionnelle et un moindre coût, est peu connu,
– en prévention primaire, la notion que dans l’étude des infirmières américaines, les femmes ayant tout simplement une bonne hygiène de vie (absence de consommation de tabac, alimentation équilibrée, activité physique régulière et consommation modérée d’alcool) ont une réduction de 84 % de risque de survenue d’événements cardiovasculaires comparativement aux autres femmes de cette cohorte, est également largement méconnue.
Ainsi, la méconnaissance relative des gains à attendre de ces modifications comportementales est en partie responsable du manque d’investissement pour exploiter ce gisement !
L’âge est un facteur de risque modifiable… si l’on s’en occupe suffisamment tôt !
L’âge semble a priori un facteur de risque non modifiable. Ceci est vrai pour l’âge d’état civil, mais non pour l’ « âge physiologique » des artères qui est directement conditionné par la durée d’exposition à différents facteurs de risque comme l’hypercholestérolémie, le diabète et l’hypertension. Aussi importe-il de « ne pas laisser s’installer » les lésions athéroscléreuses, car la partie est déjà largement jouée lorsqu’elles sont constituées. Il est plus intéressant d’éviter la survenue d’un « accident prématuré » en retardant la formation d’une lésion, que d’être réduit à essayer a posteriori d’éviter les complications d’une lésion constituée. Retardons donc l’installation de ces lésions en commençant très précocement une prévention rationnelle avec :
– la correction optimale des facteurs révélés chez les adultes jeunes : cette démarche est bien définie dans les recommandations de prévention primaire. La projection à l’âge de 60 ans de l’effet du cumul des facteurs avant de statuer sur l’intensité des mesures de prévention est un concept intéressant tenant bien compte de cet effet de la durée d’exposition ;
– la promotion, dès l’enfance et l’adolescence, des bases élémentaires des attitudes et comportements de prévention qui sont les meilleurs garants de leur maintien à l’âge adulte. Ne pas fumer, adopter très tôt les bases d’une alimentation saine et équilibrée et prendre très précocement goût à l’exercice physique, constitue le « bagage de base » de la prévention avec lequel devrait être abordé l’âge adulte. Cela constituerait un « acquis » de prévention bien plus efficace que les conseils prodigués à des adultes qui, tant qu’ils sont asymptomatiques, demeurent imperméables à toute proposition de modification de comportement.
Un facteur à part qui n’attend pas le nombre des années : le tabagisme
Une intervention précoce est d’autant plus essentielle vis-à-vis du facteur « tabac ». Les mécanismes en cause (spasme et thrombose) expliquent que les accidents coronaires aigus puissent survenir très tôt chez les fumeurs.
Parmi les sujets présentant un infarctus avant 45 ans, 80 % des hommes et 78 % des femmes sont fumeurs actifs (figure 2). Parmi les infarctus du myocarde survenant chez les moins de 50 ans (soit 21 % des infarctus pour les hommes et 8 % des infarctus pour les femmes dans la population de l’étude Alliance) et ayant un seul facteur de risque, dans environ 70 % des cas ce facteur est le tabagisme (figure 3). Ceci laisse imaginer l’impact considérable que pourrait avoir une prise en charge précoce et efficace du tabagisme parmi les adultes jeunes et encore mieux une lutte plus efficace pour éviter l’initiation au tabagisme chez les adolescents. C’est ce qu’ont démontré dans les analyses épidémiologiques britanniques évoquées plus haut.
Figure 2. Prévalence d’un tabagisme actif chez 6 448 patients ayant présenté un infarctus du myocarde ST+. La prévalence du tabagisme est majeure chez les patients < 50 ans. Alors que le tabagisme est globalement dominant chez les hommes, il y a dans cette tranche d’âge pratiquement la même prévalence chez les femmes que chez les hommes. (d’après Thomas D. et al. Étude Alliance. JESFC 2007).
Figure 3. Prévalence du tabagisme et de l’hypertension artérielle chez 2 225 patients ayant présenté un infarctus du myocarde ST+ et n’ayant qu’un seul facteur de risque. Ce seul facteur de risque est majoritairement le tabagisme chez les patients < 55 ans et l’hypertension artérielle chez les patients > 75 ans, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. (d’après Thomas D. et al. Étude Alliance. JESFC 2007).
Ces faits placent le tabagisme comme étant la grande priorité des actions de prévention primaire chez les sujets les plus jeunes, bien devant la prise en charge des autres facteurs de risque. Cette prise en charge est un devoir médical et devrait occuper une bonne partie de la consultation d’un patient fumeur, quel que soit son motif de consultation par ailleurs.
En conclusion
Mon expérience de la prévention, outre la prescription des traitements appropriés ayant fait largement la démonstration de leur efficacité dans ce domaine, vise de plus en plus à valoriser cette approche dite « environnementale » qui reste aujourd’hui un gisement encore nettement sous-exploité et prometteur de grandes ressources.
Il est nécessaire que les cardiologues se fassent largement l’écho de l’importance de ces comportements de prévention et les valorisent dans leur pratique.
Au quotidien, nous devrions tous :
- nous occuper plus concrètement de l’aide médicale au sevrage de tous nos patients fumeurs. La correction de ce facteur est une mesure prioritaire rapidement efficace et de surcroît peu coûteuse. Il est également de notre rôle de soutenir les mesures communautaires courageuses prises dans le cadre législatif pour diminuer l’exposition de l’ensemble de la population à la fumée du tabac et de participer à la prévention de l’initiation au tabagisme des jeunes ;
- contribuer à endiguer l’épidémie évolutive d’obésité par une éducation nutritionnelle à la portée de tous et par la promotion de l’activité physique. Ce sont les objectifs du Programme National Nutrition Santé* qu’il importe de faire plus largement connaître à nos patients, mais également à leur famille pour espérer avoir un impact précoce.
*Programme National Nutrition Santé (PNNS) : www.mangerbouger.fr/pnns/index.php
La Fédération Française de Cardiologie propose de nombreuses brochures destinées à l’éducation de vos patients dans le domaine de la prévention. Elles sont mises gracieusement à votre disposition. N’hésitez pas à en faire la demande : www.fedecardio.com
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