Publié le 29 avr 2008Lecture 8 min
Chirurgie cardiaque - Une prise en charge multidisciplinaire
P. NATAF, hôpital Bichat, Paris
L’évolution progressive de la chirurgie cardiaque au cours des dernières décennies a abouti à l’élaboration de techniques opératoires fiables et reproductibles pour un grand nombre de cardiopathies. Cette évolution a cependant été fortement influencée par le regroupement d’équipes de chirurgie et de cardiologie sur un même plateau technique et par l’innovation en cardiologie interventionnelle. Les prises en charge de la maladie coronaire et du rétrécissement aortique du sujet âgé ont particulièrement bénéficié de cet état de fait.
Chirurgie coronaire
Une ascension médico-chirurgicale
Le traitement chirurgical de la maladie coronaire a été bouleversé depuis l’avènement de l’angioplastie coronaire. Le profil des patients opérés a ainsi été totalement modifié. Le dogme classique de l’indication chirurgicale formelle pour les malades porteurs de lésions du tronc commun de l’artère coronaire gauche et de lésions tritronculaires a disparu du fait des progrès de l’angioplastie (et des angioplasticiens). Actuellement, après une indispensable discussion médico-chirurgicale, il est possible de proposer une revascularisation par angioplastie aux patients pluritronculaires à condition que celle-ci soit techniquement faisable, à faible risque et qu’elle permette une revascularisation complète avec un taux relativement faible de resténose lié à la localisation, la diffusion, la complexité des lésions et au terrain (diabète notamment). L’inquiétude vient surtout du fait de la gestion du traitement antiagrégant plaquettaire et de sa durée. Le risque, notamment thrombotique, des stents actifs a été largement évoqué.
La chirurgie est toujours la bienvenue en cas de lésions ne pouvant relever des techniques percutanées (occlusions, bifurcations complexes, artères de très petit calibre, lésions très diffuses, etc.) car techniquement difficiles ou à fort taux de resténose par angioplastie.
Dans ces conditions, le chirurgien doit s’obliger à être performant en proposant une revascularisation complète et durable chez des patients autrefois considérés comme des patients à très haut risque chirurgical.
Le concept de reconstruction coronaire
Les méthodes de revascularisation myocardique par pontages coronaires ont, en effet, nettement évolué depuis l’utilisation extensive des artères mammaires internes. Les techniques de prélèvement de ces greffons et la pratique de montages artériels complexes pour une revascularisation complète du réseau coronaire ont permis au chirurgien cardiaque de s’adapter aux populations actuelles de patients ayant une atteinte coronaire diffuse, à mauvais lit d’aval et ne pouvant bénéficier des progrès de la cardiologie interventionnelle.
Le pontage mammaire
Les bénéfices de l’artère mammaire interne gauche sur l’artère interventriculaire antérieure ont été anciennement démontrés avec des résultats cliniques à long terme très satisfaisants et une perméabilité des greffons proche de 95 % à 10 ans. Les greffons veineux saphènes, classiquement utilisés mais aux résultats immédiats et à distance inconstants, ont été progressivement réservés comme greffons additionnels à une revascularisation de l’artère interventriculaire antérieure par l’artère mammaire interne gauche. D’autres greffons artériels, comme l’artère radiale ou l’artère gastro-épiploïque, ont ensuite été utilisés dans l’espoir d’une revascularisation plus durable. Ces données ont progressivement permis d’évoluer vers un concept de revascularisation « toute artérielle » du myocarde, évitant l’utilisation des greffons veineux saphènes.
La paroi élastique, les propriétés histologiques, physiologiques, pharmacologiques et hémodynamiques de l’artère mammaire et de son endothélium lui procurent une apparente protection contre l’athérome, pouvant expliquer sa perméabilité supérieure aux autres greffons artériels qui sont à paroi musculaire. Cette supériorité en termes de perméabilité a conduit à évaluer les résultats de la revascularisation myocardique à l’aide des deux artères mammaires internes droite et gauche. Les données des différentes études montrent l’intérêt de ce type de pontage double mammaire par rapport à l’utilisation de la seule artère mammaire interne gauche en combinaison à d’autres greffons veineux ou artériels.
De nombreuses avancées techniques ont fait évoluer rapidement le concept de revascularisation « toute artérielle » vers un concept de « reconstruction du réseau coronaire » par un nouveau réseau artériel, libre d’athérome, « exclusivement mammaire ».
De multiples améliorations
Les améliorations des techniques chirurgicales sont de plusieurs ordres et sont surtout liées à l’optimisation de l’utilisation des greffons mammaires internes. Certaines sont en rapport avec les techniques de prélèvement des artères mammaires internes, d’autres avec la réalisation de montages artériels avec les deux artères mammaires internes ; enfin, les dernières sont liées à la pratique d’anastomoses séquentielles ou en « kissing » sur des artères coronaires de très petit calibre. C’est la combinaison de ces méthodes innovantes qui assure actuellement une revascularisation complète « exclusivement mammaire », sur des réseaux coronaires extrêmement pathologiques, siège d’une atteinte diffuse, sur des artères de très petit calibre et donc totalement adaptée à la population de patients coronariens proposés actuellement au chirurgien.
La technique utilisant les artères mammaires en Y (l’artère mammaire interne droite étant anastomosée en Y sur l’artère mammaire interne gauche) permet une revascularisation complète du myocarde en n’utilisant que les artères mammaires sans besoin d’autres greffons saphènes ou radial. L’avantage est la possibilité de création d’un nouveau réseau vasculaire irriguant la majeure partie du myocarde en s’implantant sur des artères de très petit calibre. Les résultats immédiats et à distance de cette technique en termes de survie et d’absence de réintervention sont satisfaisants. Ces avancées techniques doivent permettre d’offrir de nouvelles options thérapeutiques aux malades coronariens autrefois récusés pour une revascularisation myocardique.
Chirurgie valvulaire et sténose aortique du sujet âgé
Le traitement classique des valvulopathies est actuellement parfaitement codifié.
Les techniques de conservation valvulaire, maintenant appliquées dans tous les centres, pallient les inconvénients des substituts valvulaires prothétiques quand elles sont réalisables.
L’inconvénient du traitement anticoagulant pour les prothèses mécaniques et le risque de détérioration des bioprothèses sont toujours d’actualité, malgré des progrès technologiques certains dans la conception des prothèses valvulaires. Une gestion différente du traitement anticoagulant par automesure est à l’étude et devrait permettre de savoir s’il est possible de limiter les risques hémorragique et thromboembolique.
Dans le cadre du rétrécissement aortique du sujet âgé (RAC), l’indication opératoire, plus que la technique chirurgicale, pose cependant de nombreux problèmes. Ces personnes âgées, porteuses de nombreuses comorbidités associées, forment un groupe très hétérogène où la décision d’intervenir ou non est souvent difficile. Aujourd’hui, la situation est rendue encore plus complexe par la disponibilité, en supplément du traitement chirurgical conventionnel, de nouvelles techniques d’implantation valvulaire percutanée.
Une approche multidisciplinaire associant cardiologues, chirurgiens cardiaques, anesthésistes et éventuellement gériatres est de plus en plus proposée pour évaluer au mieux le risque opératoire. La discussion médico-chirurgicale amène à trois situations :
- chez certains patients, il est sans doute plus raisonnable de ne pas envisager de mener plus loin la démarche thérapeutique, c’est-à-dire ceux dont l’espérance de vie est très limitée ou qui ne sont pas volontaires ;
- chez d’autres patients, il est possible de retenir la solution chirurgicale classique, à savoir un remplacement valvulaire aortique par bioprothèse par sternotomie et sous circulation extracorporelle ;
- enfin, si la chirurgie est contre-indiquée ou si le risque paraît trop élevé, on peut actuellement discuter l’implantation percutanée ou transapicale d’une prothèse valvulaire.
Dans certains cas où l’abord percutané fémoral se révéle difficile ou dangereux en raison du diamètre des prothèses incompatible avec la petite taille des vaisseaux fémoraux ou iliaque, d’artériopathie des membres inférieurs ou de lésion de l’aorte abdominale, une voie d’abord transapicale peut être réalisée. Il s’agit, par une thoracotomie limitée, sans circulation extracorporelle, de remplacer la valve aortique par une bioprothèse, par abord de la pointe du cœur.
Prothèse valvulaire percutanée.
L’expérience globale avec ces techniques porte aujourd’hui sur environ un millier de cas. La plupart des implantations ont été effectuées par voie fémorale et plus de 200 ont été réalisées par voie transapicale. Avec l’expérience, le taux de succès de l’implantation est voisin de 90 %. Des progrès restent néanmoins à faire en ce qui concerne l’optimisation du choix du type de prothèse et de sa taille, et le positionnement de la valve lors de son déploiement. Les résultats hémodynamiques à court et moyen termes sont bons avec un recul maximal de 4 ans, le plus souvent de 2 ans.
Il reste des points d’interrogation, en particulier en ce qui concerne la sécurité de la technique.
Il est nécessaire de considérer ces nouvelles techniques comme des procédures invasives comportant un risque opératoire propre et encore imparfaitement connu. Les comorbidités associées au rétrécissement aortique sont un des éléments essentiels du pronostic vital et sont une source de complications périopératoires potentielles. Les risques propres à la technique doivent être évalués sur la base d’études contrôlées. Les complications vasculaires périphériques sont toujours possibles à cause de la taille importante des cathéters introduits par l’artère fémorale qui est souvent de petit diamètre ou très calcifiée et athéromateuse chez les sujets âgés.
Par ailleurs, l’aspect tortueux des vaisseaux fémoraux, iliaques ou de l’aorte peuvent être source de non-franchissement ou de blessures vasculaires.
Pour la voie transapicale, des déchirures de la pointe du cœur immédiates ou secondaires sont possibles et devraient également être limitées par la réduction du diamètre des cathéters utilisés.
Le bon positionnement de la prothèse évitant le risque de migration, d’occlusion coronaire, ou de fuites paraprothétiques est également un élément nécessitant une réflexion technique (expérience des équipes) et technologique (matériel utilisé, système d’imagerie performant, etc.).
Enfin, la durabilité de ces substituts n’est pas encore connue, de même que la faisabilité d’une réintervention.
Comme c’est le cas pour la sélection des patients, la collaboration technique d’équipes médico-chirurgicales comprenant des chirurgiens cardiaques et des cardiologues interventionnels est essentielle pour réaliser l’implantation aortique percutanée. Cette collaboration technique doit s’accompagner d’une assistance d’anesthésistes-réanimateurs spécialisés en chirurgie cardiaque et d’échocardiographistes rôdés aux procédures valvulaires interventionnelles. Cette technique étant encore à un stade préliminaire, sa réalisation doit être limitée à des centres médico-chirurgicaux ayant une grande expérience de la prise en charge de cette pathologie, aussi bien au niveau du traitement chirurgical que des techniques interventionnelles de dilatation valvulaire.
En conclusion
Il semble, en définitive, que ce soit cette collaboration médico-chirurgicale, sur un même plateau technique, avec des praticiens formés à l’ensemble des techniques évoquées, valvulaires et coronaires, qui permettra de construire le futur de la cardiologie interventionnelle et chirurgicale.
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